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CONGRÈS DE LA PENSÉE ARABE - Une séance d’ouverture qui a réuni les trois présidents dans un même hommage Un constat d’échec unanime et une question : qui est responsable de la situation désastreuse du monde arabe ?(PHOTOS)

Ce que l’anniversaire de l’indépendance du Liban n’avait pas réussi à faire, le second congrès de la pensée arabe qui s’est ouvert hier, à l’hôtel Phoenicia, l’a réalisé : réunir le président Émile Lahoud, le chef du Législatif, Nabih Berry, et le président du Conseil, Rafic Hariri. C’est donc ensemble qu’ils sont montés hier à la tribune pour recevoir un hommage spécial de la part du fondateur de l’association, l’émir Khaled el-Fayçal, soucieux de remercier le Liban, en la personne de ses responsables, pour avoir accueilli le second congrès de son association, destiné à essayer de dessiner l’avenir du monde arabe, à une étape particulièrement cruciale de l’histoire de la région.
L’émir Khaled el-Fayçal avait annoncé que son initiative constitue une alliance des hommes d’argent et des intellectuels pour tenter de construire l’avenir arabe. Et le congrès, qui s’est ouvert hier, a montré effectivement, par l’ampleur des moyens mis en œuvre, que les hommes d’argent étaient bien là. Quant aux intellectuels, c’est une autre affaire. Car, bien que l’association de la pensée arabe ait convié plus de mille personnes, entre intervenants de l’ensemble du monde arabe, jeunes et experts dans tous les domaines de la pensée, les noms figurant sur le programme appartiennent à des personnalités reconnues dans la région et plutôt connues pour être en bons termes avec les autorités dans leurs pays respectifs.
Point d’opposants donc parmi les invités de l’association et aussi lucide que puisse être leur constat sur la situation dans le monde arabe, elle tourne toujours dans le même cadre, une espèce de cercle vicieux, dans lequel, malgré les bonnes volontés, nul ne parvient à sortir.

Pourquoi les peuples
arabes ne demandent
pas de comptes ?
D’ailleurs le phénomène le plus étonnant, tout au long de cette première journée du congrès, c’est que responsables et spécialistes ont tous convenu que l’expérience arabe a échoué jusqu’à présent et que, dans les pays arabes, le pouvoir et l’argent sont entre les mains d’une petite partie, alors que le niveau général de vie est en train de baisser dangereusement et que l’illettrisme augmente à pas de géant. Dans ce cas, une question s’impose, que M. Ghassan Tuéni a eu le grand mérite de poser, sans d’ailleurs obtenir une réponse claire : qui est responsable de cet état de fait et pourquoi aucun responsable arabe n’a été contraint de rendre des comptes devant son peuple ? C’est d’autant plus curieux que des intervenants comme le secrétaire général de la Ligue arabe, M. Amr Moussa, le chef du Législatif libanais M. Nabih Berry, des députés égyptiens, des ministres arabes ont parlé comme s’ils n’étaient pas à des postes de responsabilité et comme s’ils ne détenaient aucun pouvoir. Alors, où se situe le pouvoir dans le monde arabe et comment évoquer un changement, alors que tous les régimes en place ne songent qu’à se maintenir et préparent leur relève ? Impossible de répondre pour l’instant, et en tout cas pas dans le cadre de la première journée du congrès.
Pourtant, dans l’immense salon aux dorures impressionnantes de l’hôtel Phoenicia, il y avait un réel effort de permettre une réflexion en profondeur. Des jeunes de tous les pays arabes avaient été conviés et ils ont eu quelques minutes de parole. Une initiative des plus louables, mais le chemin demeure encore long.
La première journée du congrès aurait dû commencer tôt. Puisque, selon le programme, les inscriptions devaient commencer à 8h et se prolonger jusqu’à midi. Or, comme il se doit, les participants se sont tous présentés à 11h30, provoquant une cohue sans précédent au bureau d’enregistrement. Les rencontres étaient alors aussi impromptues que drôles. Le président de l’Ordre des médecins, M. Mahmoud Choucair, découvre ainsi que lui et le député du Hezbollah, Mohammed Raad, ont le même bandage à la main droite. Tous deux auraient glissé, mais séparément, et se seraient tordu le poignet.
La séance d’ouverture et l’ensemble du congrès sont entièrement filmés par la chaîne arabe ART, appartenant à M. Saleh Kamel, qui vient de vendre ses actions dans la LBCI à l’émir al-Walid ben Talal. Lequel émir, qui se trouvait à Beyrouth, mercredi, n’a pas jugé bon de rester pour assister à l’ouverture du congrès, préférant laisser la vedette à ses cousins, Khaled et Turki el-Fayçal.
À midi, le président Émile Lahoud est le dernier à entrer dans la salle et le congrès pouvait commencer. Pendant la présentation des intervenants et le discours de Mme Bahia Hariri, présidente du comité d’organisation du congrès, Lahoud et Hariri, assis côte à côte, se tournent presque le dos, Lahoud bavardant avec Berry et Hariri discutant avec l’émir Khaled. Puis ils se décident enfin à échanger quelques mots, retransmis par les écrans géants, et toute la salle semble pousser un soupir de soulagement. Les présents peuvent enfin se consacrer à écouter les intervenants.
D’abord, le ministre de la Culture, M. Ghazi Aridi, qui prononce un discours de vrai militant. Des propos d’ailleurs déjà entendus, mais dans cette tribune, ils prennent une dimension nouvelle. Selon lui, il existe bel et bien une collusion entre les politiques américaine et israélienne, destinée à prendre pour cible le monde arabo-musulman. Mais, toujours selon lui, cette fois, les Américains et les Israéliens visent aussi la pensée arabe qui cherche sérieusement à construire un avenir stable, à travers le dialogue islamo-chrétien et islamo-arabo-vaticanais. « Il y a aussi une tentative de détruire la mémoire et l’identité palestiniennes et on nous jette en permanence deux mots à la figure : démocratie et terrorisme, qui n’ont pas un véritable contenu », ajoute le ministre de la Culture qui propose 15 points pour améliorer la situation arabe.

L’émir Khaled : Offrir
une opportunité de dialogue
L’émir Khaled prend ensuite la parole pour rappeler que ce congrès se propose de fournir une chance de dialogue entre les intellectuels et les dirigeants de l’ensemble du monde arabe.
Ensuite, le président Lahoud et l’émir Khaled offrent leurs récompenses aux 9 Arabes choisis pour avoir fait avancer la science, l’art ou simplement les lois et la situation en général dans le monde arabe. Parmi eux deux Libanais, M. Georges Jurdak et M. Ghandi Nakhlé. Mais la plus applaudie est la petite fille syrienne, Douaa Bastati, qui a réussi à surmonter son handicap.
La première séance de travail commence ensuite. Elle réunit une tribune de premier choix : M. Ghassan Tuéni comme modérateur et MM. Amr Moussa et Nabih Berry, ainsi que l’émir Turki el-Fayçal comme intervenants.
M. Tuéni commence par s’élever contre le fatalisme et le désespoir. Cet homme qui a passé sa vie à lutter peut bien, lui, donner des leçons aux autres. Mais il pose surtout la question suivante : si nous sommes responsables de ce qui nous arrive, pourquoi n’avons-nous jamais demandé des comptes à nos responsables ?
Question à laquelle Nabih Berry se gardera bien de répondre, faisant un admirable état des lieux (désastreux par ailleurs), mais dans lequel on se sait nullement qui est le responsable de cette situation. M. Tuéni ne se privera pas de le relever.
Le chef du Législatif libanais depuis plus de dix ans relève ainsi que dans le monde arabe la démocratie est pratiquement absente, ou alors elle est présente au compte-gouttes, alors que les dirigeants veulent montrer aux étrangers qu’ils détiennent tous les pouvoirs. Ils n’acceptent pas le partage et les droits politiques, sociaux et économiques des citoyens s’en ressentent. Berry confie qu’il n’ose plus espérer une unité arabe, ni même une solidarité. Tout au plus souhaite-t-il désormais une certaine coordination arabe. Il précise toutefois que la démocratie ne peut être imposée de l’extérieur et que chaque pays a sa spécificité, alors que le concept de démocratie est assez vaste pour absorber tous les particularismes.
Mme Ikbal Doughan de l’association féminine libanaise lui demande comment le monde arabe peut aspirer à la démocratie, alors que les femmes n’y ont pas leurs droits et M. Berry abonde dans son sens et déplore le machisme des sociétés arabes.
Le secrétaire général de la Ligue arabe, M. Amr Moussa, dresse lui aussi un constat d’échec. « Nous avons failli, dit-il, États, peuples, institutions et individus. Les sociétés arabes ont régressé, l’illettrisme a augmenté et la quasi-absence de traduction de et vers l’arabe montre que nous vivons dans des sociétés fermées. »
M. Moussa propose ensuite des mesures concrètes pour améliorer la situation et précise que le projet de réforme de la Ligue arabe a déjà été soumis aux présidents tunisien (dans le pays duquel se tiendra le prochain sommet arabe) et libanais. « Mais ce n’est là qu’une partie de la solution. Toute la question est de savoir s’il existe une volonté politique de faire de la Ligue une institution efficace ? Si la réponse est non, il n’y aura pas d’avenir arabe, mais des avenirs différents pour les pays arabes. »
M. Tuéni relève aussitôt la nécessité de favoriser la culture démocratique, qui est le contraire d’une culture élitiste et qui produit une société culturelle, aux antipodes des sociétés des prisons qui sont le modèle actuellement offert dans le monde arabe.
L’émir Turki el-Fayçal, ambassadeur d’Arabie saoudite à Londres, précise de son côté que la démocratie est un moyen, non un but. Elle vise à assurer le bien-être des peuples, et si certaines lacunes dans le système peuvent apparaître, elles comptent peu dans la mesure où, dans son essence, elle doit permettre au citoyen d’exprimer sa volonté. Selon lui, non seulement l’islam prévoit le principe de la consultation, mais aussi, dans les valeurs qu’il défend, il y a le respect de l’homme et de sa volonté. Il n’est donc pas en contradiction avec la démocratie. « Il faut toutefois trouver le moyen de demander des comptes aux gouvernants, dans les systèmes particuliers et au sein de la Ligue arabe, ajoute-t-il. Qui a en effet demandé des comptes à Saddam Hussein lorsqu’il a envahi le Koweït ? » L’émir conclut en estimant que l’avenir ne peut qu’être meilleur quand on voit les visages pleins d’espoir et d’attente.
Les jeunes, justement, ont dû attendre la séance de l’après-midi pour que deux d’entre eux, une jeune fille de Qatar et un jeune homme du Liban, puissent s’exprimer. « Nous voulons des autorités qui prennent des décisions », ont-ils dit, avant d’ajouter : « Pour nous, la Ligue arabe représente 22 personnes et non 22 États. Quant au terrorisme, il est causé par la pauvreté et l’ignorance. Ce n’est donc pas la faute de ceux qui se laissent enrôler, mais celle de leurs États. »
Aujourd’hui, les séances prévues seront clôturées par un débat avec le président du Conseil libanais, M. Rafic Hariri, dans l’espoir que les jeunes aient cette fois aussi une chance de s’exprimer.
Scarlett HADDAD
Ce que l’anniversaire de l’indépendance du Liban n’avait pas réussi à faire, le second congrès de la pensée arabe qui s’est ouvert hier, à l’hôtel Phoenicia, l’a réalisé : réunir le président Émile Lahoud, le chef du Législatif, Nabih Berry, et le président du Conseil, Rafic Hariri. C’est donc ensemble qu’ils sont montés hier à la tribune pour recevoir...