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CONFÉRENCE - À l’occasion du forum culturel Home Works II Adonis, un poète lanceur de flammes (photo)

Depuis plus de quarante ans, Adonis ne cesse de briser les règles de la tradition poétique dans le but de rendre sa modernité à la culture arabe. Au théâtre al-Madina, où il a donné une conférence sur la ville de Beyrouth, le poète a, cette fois, brisé le silence autour de plusieurs vérités (certaines bonnes à dire), choquant, révoltant, amusant ou provoquant l’enthousiasme dans une salle bondée, venue écouter le plus célèbre poète arabe vivant.
« Beyrouth, aujourd’hui : ville réelle ou simple nom historique ? » : c’est ce thème qu’a abordé Adonis, une heure et demie durant, dans une langue arabe dense, mais allant droit au but.
Pour le poète d’origine syrienne (il a obtenu la nationalité libanaise dans les années soixante), il existe deux interprétations de la création d’une ville : celle de Michel Serres expliquée dans Les origines de la géométrie ; il s’agit de la vision romaine.
Et d’autre part, celle de saint Augustin.
« Selon la première, indique le conférencier, Rome aurait été fondée sur une tête décapitée. Le tueur Romulus et la victime, le frère jumeau, Remus… Le sang, le crime, le sacrifice, c’est sur ces fondements que les murs de Rome ont été érigés. »
Et de poursuivre : « Selon saint Augustin, à l’origine de la ville réelle, celle qu’il désigne par la ville de Dieu, nul sacrifice ou crime. Mais plutôt la résurrection, celle du Christ. En d’autres termes, la ville n’est pas fondée sur la mort mais sur la vie. » À partir de ces deux interprétations, Adonis s’interroge:
« Où se manifeste le mieux l’habilité des Libanais (et des Arabes en général), dans le fait de donner la vie ou de donner la mort ? En célébrant la vie ou en creusant des tombes ? La culture libanaise (et arabe en général) serait-elle basée sur l’idée suivante : la vie et le temps ne passent que là ou le sang a été versé ? » Ironique, cinglant parfois, mais se voulant conforme à la réalité, Adonis tire à boulets rouges sur divers thèmes concernant Beyrouth. Voici quelques-uns, en résumé :

L’architecture
de la ville de Beyrouth :
« Elle ne possède pas ne serait-ce que le minimum de créativité et d’individualité.
En gros, Beyrouth est une imitation ou un copiage galvaudé. Nul doute qu’il existe des exceptions. Mais tellement minimes. Pas de plan urbain de la ville. Il s’agit d’une démolition de l’espace. Tout comme le confessionnalisme détruit l’espace culturel et humain de Beyrouth…
Beyrouth, aujourd’hui, ressemble à une multitude de boîtes à compartiments hermétiquement fermés et sombres. Chaque quartier se considère comme le nombril de la ville. On se retrouve alors devant une multitude de nombrils sans corps réel. Les habitants de ces quartiers boîtes ne sont que des loques qui se trouvent dans un point géographique intitulé Beyrouth. Lequel devient ainsi une vision, non une ville. »

L’Université libanaise :
« Cette institution étatique est supposée être la meilleure. Mais elle reflète en réalité la dissolution de la culture nationale, l’effondrement de la patrie, de sa culture, de son système éducatif et politique. »

La culture :
« Comme l’architecture de la ville, la culture à Beyrouth est un amalgame de cultures. Des sources culturelles diverses qui s’opposent sans se retrouver. La religion est le premier élément fondateur de ces cultures.
« Beyrouth est une mosaïque : un assemblage de ruelles, de communautés et de cultures. »

Le confessionnalisme :
« Les institutions étatiques, culturelles et politiques du pays n’évaluent pas l’individu en fonction de ses capacités et de ses connaissances, mais en fonction de son appartenance confessionnelle. »

Le centre-ville :
« Bien qu’elle ne contienne aucune œuvre d’art (dans le sens strict du terme), cette partie de la ville, de par son espace architectural, son agencement urbanistique et son esthétisme, procure un sentiment de plénitude, confirmant la vision d’une ville construite dans le but de servir l’homme et de lui procurer le repos physique et mental.
Ainsi, tous les jours, des gens de toutes les confessions, de tous les milieux sociaux et de tous les âges s’y retrouvent pour se promener et se détendre. Il s’agit là d’un salutaire déchirement du tissage communautaire et confessionnel de Beyrouth. Mais tous ces gens ne font que se croiser : aucune interaction culturelle entre eux. Espérons que ce lieu trouvera un moyen de dépasser son mercantilisme fondateur pour s’orienter plus vers l’échange culturel. »

Définition
de la ville contemporaine :
« Elle renferme, d’abord, des valeurs communes intouchables. Parce que la ville n’est la propriété privée de personne en particulier. La ville appartient à ses habitants. La ville doit être fondée sur la démocratie. Pour préserver cette propriété collective et sauvegarder la liberté des individus. Et, finalement, il doit y avoir un équilibre entre le public et le privé. » Vision pessimiste et sombre de Beyrouth ? « Avec tout cela, cette ville a manqué d’être, durant les années soixante et début 70, la capitale culturelle arabe », estime Adonis, le poète lanceur de flammes, provocateur de consciences.

Maya GHANDOUR HERT
Depuis plus de quarante ans, Adonis ne cesse de briser les règles de la tradition poétique dans le but de rendre sa modernité à la culture arabe. Au théâtre al-Madina, où il a donné une conférence sur la ville de Beyrouth, le poète a, cette fois, brisé le silence autour de plusieurs vérités (certaines bonnes à dire), choquant, révoltant, amusant ou provoquant l’enthousiasme dans...