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Les pratiques des dirigeants minent l’État plus que les failles constitutionnelles

Le ver est-il dans le fruit, c’est-à-dire dans la Constitution de Taëf ? Ou en surface, sur la peau, c’est-à-dire dans les fantaisies irrégulières des dirigeants ? La controverse est aussi vieille que la présente république. Pour la simple raison que celle-ci n’a presque jamais fonctionné normalement.
Mentor écouté, Fouad Boutros publiait, il y a déjà quelques années, un article intitulé « Le pourrissement du système politique par les pratiques. » Depuis lors, rien n’a changé, si ce n’est en pire. L’ancien ministre écrivait en substance : « Les rapports tendus, parfois même teintés de violence, entre les cadres du pouvoir n’auraient pas suscité d’intérêt si, par leur interaction avec d’autres facteurs, ils ne constituaient une faille profonde dans l’édifice des institutions, un défaut dans leur marche. Les points de vue des différents acteurs politiques divergent quant à la délimitation des responsabilités en matière de dérive. Mais ils se retrouvent pour reconnaître que la Constitution est prise à la légère, facilement violée dans son esprit comme dans sa lettre. L’on est porté à croire que les débordements successifs découlent d’une mentalité, de penchants qui tendent à affaiblir les fondements de l’État. Seuls les naïfs ne réalisent pas que la kyrielle des pratiques politiques à l’ombre de Taëf présente les prémices d’un glissement continu du système pouvant, si l’on n’y prend garde, l’altérer dans ses spécificités et dans son esprit même. Les systèmes n’évoluent pas seulement par la modification des textes mais, parfois et sans y toucher, par la répétition de pratiques déterminées qui prennent valeur d’usages ce qui entraîne l’évaporation des textes. » Il relève ensuite, toujours en substance, que « le tuteur-arbitre, quand il estime devoir intervenir, limite son rôle à l’assainissement des rapports personnels entre les officiels, pour ménager la stabilité du pouvoir, sans s’occuper des failles dans le fonctionnement des institutions. Certains pensent qu’il faut amender les articles de la Constitution régissant les relations entre les pouvoirs. Certes, cette mesure est nécessaire et devra être prise en temps dû, mais elle ne répond pas aux exigences de l’heure. Car la cause du mal actuel réside dans la mentalité de la classe dirigeante, que la révision constitutionnelle ne changerait pas. La dérive n’est pas liée à la Constitution ».
Dans ce sens, comprend-on ensuite, que, bien évidemment, la loi fondamentale ne prévoit nulle part que les autorités libanaises cèdent le pouvoir pour se soumettre à une tutelle. Ni que l’on peut mélanger entre les pouvoirs ou que l’on doit traiter l’entente ainsi que l’équilibre politique par le mépris, comme cela se fait et se voit. Ce qui est également le cas pour la pluralité, l’alternance, les droits, la solidarité sociale et les libertés en général. La déliquescence risque d’aboutir à l’anarchie ou à un régime autoritariste, prévenait enfin l’ancien ministre.
Pour d’autres également, une révision de la Constitution ne réglerait pas le problème des mauvaises pratiques. Les textes ne peuvent pas amender les mentalités. La Constitution d’avant-guerre faisait l’objet de plaintes et de protestations multiples. Surtout, en fait, parce qu’elle était souvent mal respectée dans son esprit, c’est-à-dire que les comportements des responsables étaient abusifs. Il n’y avait d’ailleurs pas de grogne sensible visant la Constitution lorsque le pouvoir se tenait bien si l’on peut dire. Donc, selon ces personnalités, si Taëf est attaqué ou critiqué, c’est surtout à cause des mauvais usages adoptés, des conflits relationnels et non des textes. Les querelles entre le président de la République et le chef du gouvernement amènent un pôle parlementaire à rappeler ce mot de Saëb Salam : « Tout foyer divisé se détruit, et si le maître de céans ne bâtit pas sa demeure de ses propres mains, les maçons n’y pourront rien. » Or la maison libanaise est non seulement divisée au niveau de sa direction, mais encore sans maître de céans unique. Il est difficile dans ces conditions d’édifier un État de droit et des institutions. Tout comme il est difficile d’entreprendre une quelconque réforme administrative ou politique pour faciliter le redressement économique. Si la Constitution était bien appliquée, si le pays n’était pas gouverné sous la férule des rancunes entre ses dirigeants, on ne se plaindrait pas tantôt d’un pouvoir abusivement parlementariste et tantôt de la troïka ou des décideurs, qui n’auraient plus à intervenir. Le même pôle parlementaire se demande ensuite si ceux qui se jouent du sort du Liban ont intérêt à ce qu’il ne se dégage pas du cercle des secousses, que les présidents restent en conflit, que les gouvernements soient toujours piégés et sans cohésion interne.
Le ministre Marwan Hamadé pense pour sa part que le Liban est doté d’un système de cohabitation, non seulement entre les présidents, mais aussi entre les communautés, ce que certains appellent la coexistence. Cela implique que si les liens sont rompus au niveau de la direction, la coexistence s’en trouve affectée au niveau de la base.

Émile KHOURY
Le ver est-il dans le fruit, c’est-à-dire dans la Constitution de Taëf ? Ou en surface, sur la peau, c’est-à-dire dans les fantaisies irrégulières des dirigeants ? La controverse est aussi vieille que la présente république. Pour la simple raison que celle-ci n’a presque jamais fonctionné normalement.Mentor écouté, Fouad Boutros publiait, il y a déjà quelques années,...