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Analyse Comment réclamer le « rééquilibrage » libano-syrien sans s’aligner sur l’opposition chrétienne Le double défi de Walid Joumblatt

Les discours de Walid Joumblatt sont des chefs-d’œuvre de montage intellectuel et sémantique dont les parties abstraites égalent en importance les portions visibles, voire les dépassent souvent.
En apparence, le ton des interventions de M. Joumblatt tient davantage de la diatribe passagère – et saisonnière – que du propos réfléchi. Sans parler du désordre le plus total qui enveloppe le contenu de ces textes où les mots et les idées se succèdent sans lien, s’entrechoquent, se contredisent, s’annulent.
En apparence seulement. Car, à défaut d’appartenir à la lignée des grands orateurs au verbe clair et bien structuré, à la tonalité savamment étudiée dans le grave et l’aigu, à la parfaite maîtrise du temps musical – qui est également celui de l’émotion politique –, le chef druze n’en développe pas moins un art de la communication à la fois très personnel et efficace.
Il peut passer du coq à l’âne, dire la chose et son contraire, enjamber les décennies, frapper à droite et à gauche – sans oublier le centre –, M. Joumblatt ne se départit jamais d’un fil conducteur, aussi ténu soit-il, y compris dans ses interventions les plus improvisées.
Ce lien est d’ailleurs assez révélateur du personnage, dans la mesure où il exprime un effort constant de synthèse chez un homme qui, à l’instar de beaucoup de ses concitoyens, se débat au milieu des contradictions, tant sur le plan politique que culturel et socio-économique. Ce n’est certainement pas l’état actuel du monde, avec notamment l’éruption du volcan proche-oriental et la prolifération des Cassandre du « choc des civilisations », qui va mettre fin à ces contradictions.
Il est de coutume chez les observateurs politiques, lorsque M. Joumblatt hausse le ton de manière subite, ainsi qu’il l’a fait dimanche, d’en déduire que le chef druze souhaiterait obtenir satisfaction auprès des « décideurs » au sujet d’une doléance quelconque. Une telle explication n’est peut-être pas entièrement fausse, elle est même tout à fait pertinente pour la plupart de nos hommes politiques, mais elle ne suffit assurément pas à expliquer ces accès de fièvre si caractéristiques du style de Walid Joumblatt.
C’est qu’en réalité, ce n’est nullement de fièvre passagère qu’il s’agit chez lui, mais d’une dialectique permanente, quasi obsessionnelle, entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud, la ville et le village, la mer et le désert, l’Occident et les Arabes, les lumières et les ténèbres, le socialisme et la bourgeoisie éclairée.
Un exemple : trois jours après l’adoption du Syria Accountability Act par la Chambre des représentants américaine, le chef du PSP remet sur le tapis la question du rééquilibrage des relations entre Beyrouth et Damas. Fondamentalement, l’homme politique n’a donc pas changé d’opinion à ce sujet, depuis ce fameux octobre 2000 où, prenant appui notamment sur le retrait israélien du Liban-Sud, intervenu quelques mois plus tôt, il avait provoqué la colère de plus d’un ami de la Syrie à la Chambre en soulevant déjà ce problème. Entre-temps, il y eut bien sûr le 11 septembre, et Walid Joumblatt, plus prompt que d’autres à en évaluer les conséquences sur la région, a dû – progressivement – revoir en quelque sorte sa copie.
Mais il semble bien que cette révision ait davantage touché la forme que le fond du problème, comme cela transparaît clairement dans les propos qu’il a tenus dimanche. « S’il est nécessaire de rééquilibrer les relations libano-syriennes, c’est pour l’amélioration des conditions de la confrontation », avait-il déclaré. Qu’on ne s’y trompe point: le seul mot qui compte dans cette phrase, le seul qui ait été entendu par qui de droit, c’est le verbe « rééquilibrer ». La « confrontation » n’est là que pour en atténuer quelque peu la portée.
Quant à la longue tirade qui précède, où il est question pêle-mêle du « colonialisme » des États-Unis, de la lutte nationaliste de 1958, de l’accord du 17 mai 1983, etc. elle constitue plus qu’une entrée en matière : c’est une carte de visite que M. Joumblatt présente pour dire qu’il est mieux habilité que d’autres à prôner le rééquilibrage.
En fait, c’est bien là que se trouve le dilemme (la dialectique) du chef druze : lutter pour affaiblir la tutelle syrienne sur le Liban mais lutter aussi pour que ce combat cesse d’être l’apanage des chrétiens, et en particulier des partisans de Michel Aoun.
Depuis trois ans, quelles qu’aient pu paraître ses contradictions, ses retournements de veste, Walid Joumblatt n’a pas dérogé à ce double défi. Il devra pourtant tenir compte de cette malédiction inhérente à la politique libanaise qui fait que certains thèmes ou certaines postures sont définis d’emblée comme étant « chrétiens » et d’autres comme étant « musulmans ».
Élie FAYAD
Les discours de Walid Joumblatt sont des chefs-d’œuvre de montage intellectuel et sémantique dont les parties abstraites égalent en importance les portions visibles, voire les dépassent souvent.En apparence, le ton des interventions de M. Joumblatt tient davantage de la diatribe passagère – et saisonnière – que du propos réfléchi. Sans parler du désordre le plus total...