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Actualités

Nous n’allons pas vous étonner

par George A. Papandréou
et Chris Patten*

Lorsqu’en septembre 1946, Winston Churchill a prononcé ces mots : « Je vais maintenant vous dire une chose qui va vous étonner : la première étape vers la reconstitution de la famille européenne doit être de faire de l’Allemagne et de la France des partenaires », il a mis le doigt sur les futurs fondements de la communauté européenne. Cette communauté est ensuite devenue Union, et avec la décision historique prise en décembre dernier d’admettre 10 nouveaux membres en son sein, l’UE s’étendra à toute l’Europe, concrétisant ainsi les ambitions de ses pères fondateurs de réunir tous les peuples de notre continent au sein d’une Union toujours plus étroite.
Mais avec le succès viennent les responsabilités. Nous ne vous surprendrons donc pas en vous disant que, lorsque les 25 ministres des Affaires étrangères de l’UE élargie rencontreront leurs 10 collègues d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient en Crète, le 26 mai, leur principale tâche consistera à veiller à ce que les avantages découlant de l’élargissement de l’Europe soient partagés avec tous nos voisins du bassin méditerranéen.
Nous devons aider nos partenaires méditerranéens à surmonter les problèmes qu’ils rencontrent et à parvenir à la stabilité, à la paix et à la prospérité. Pour ce faire, les pays du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient doivent poursuivre leurs efforts en matière de transition dans trois domaines fondamentaux.
Le premier, le plus important, est celui de la démocratisation. Un récent rapport du Pnud sur le développement humain dans le monde arabe (un rapport écrit par des Arabes pour des Arabes) souligne que les lenteurs de la démocratisation et des réformes déçoivent les attentes des jeunes générations des pays méditerranéens. La communauté internationale n’a pas toujours usé de son influence avec cohérence dans ce domaine : la crainte que des élections libres ne portent des fondamentalistes au pouvoir dans certains pays a constitué un frein aux perspectives de pluralisme. L’évolution vers des institutions démocratiques respectant pleinement les droits de l’homme doit venir des pays méditerranéens eux-mêmes. Certains États ont déjà accompli des progrès considérables à cet égard ; d’autres sont moins avancés. L’Europe aide à développer une société civile plus libre, et elle peut continuer à le faire. Nous n’avons aucunement l’intention de donner les recettes de plats que nous n’allons ni cuisiner ni déguster. Mais notre expérience vécue par les nouveaux pays adhérant à l’Union européenne est une chose dont nous sommes fiers et que nous sommes prêts à partager avec nos partenaires.
La deuxième transition concerne l’économie. Chaque année, des millions de personnes à la recherche d’un emploi rejoignent le marché du travail dans les pays méditerranéens. L’amélioration de l’éducation et la croissance économique durable sont des conditions primordiales pour leur offrir davantage d’opportunités dans leur propre pays. À défaut, l’émigration constituera la seule solution pour des milliers de personnes prêtes à risquer leur vie pour traverser la Méditerranée à la recherche d’un meilleur avenir pour elles-mêmes et pour leur famille.
Les onze accords conclus entre l’Union européenne et nos partenaires établissent un cadre de relations privilégiées entre les deux rives de la Méditerranée. Seule la Syrie négocie encore un accord d’association avec l’UE. Nous espérons que nous serons rapidement en mesure de trouver un terrain d’entente et que le gouvernement syrien confirmera sa volonté d’accélérer le processus de réformes politique et économique, dans un pays qui revêt une grande importance tant pour le processus de paix au Moyen-Orient que pour le partenariat euro-méditerranéen.
Le libre-échange et les régimes d’investissement plus ouverts prévus dans le cadre de ces accords ne devraient pas tarder à produire leurs effets. L’investissement privé devrait progressivement gagner en importance. La nouvelle facilité d’investissement gérée par la Banque européenne d’investissement contribuera à créer les 40 millions de nouveaux emplois nécessaires au cours de la prochaine décennie. Mais l’amélioration de la gouvernance économique, le renforcement des institutions et de leur fiabilité ainsi que la mise en place de cadres réglementaires stables et ouverts sont également essentiels pour garantir une croissance économique solide et suffisamment forte. C’est la raison pour laquelle, dans sa récente communication sur l’Europe élargie, la Commission européenne propose aux nouveaux voisins de l’Union européenne un accès progressif aux avantages découlant du marché unique européen, lié aux progrès réalisés en matière de réformes politique et économique. La troisième grande transition est d’ordre social et culturel. Des deux côtés de la Méditerranée, nous connaissons très peu la culture de l’autre, son histoire et sa religion. Un gros effort doit être consenti pour combler ce déficit en matière de compréhension et de perception. L’année dernière, nous avons convenu d’établir une fondation euro-méditerranéenne destinée à promouvoir le dialogue entre les cultures et les civilisations. Et dernièrement, nous avons proposé la création d’une Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne. Ces deux institutions devraient permettre d’améliorer l’impact, la visibilité et les possibilités de confrontation des initiatives, utiles mais éparses, déjà menées dans la région. Les traditions et les cultures musulmanes, juives et chrétiennes convergent toutes en Méditerranée. La Fondation et l’Assemblée parlementaire euro-méditerranéennes contribueront à faire ressortir de cette rencontre un dialogue productif et une plus grande tolérance. Les progrès vers la paix et la stabilité dans la région sont cruciaux pour la réussite à long terme de ce programme de réformes ambitieux. La guerre et les conflits ont trop souvent été les vecteurs indésirables du changement au Moyen-Orient et dans les pays qui bordent la Méditerranée. Mais ces changements n’ont pas apporté la stabilité, car trop souvent ils reposent sur la force. L’histoire de l’Europe fourmille d’exemples montrant la précarité de l’ordre lorsqu’il n’est pas fondé sur le compromis et le consensus. Notre expérience atteste également des avantages d’une coopération pacifique et démocratique. Les ministres vont se rencontrer en Crète dans un contexte de guerre récente en Irak et de poursuite de la violence en Israël, en Palestine et ailleurs dans la région, notamment au Maroc et à Ryad, que le terrorisme a durement frappés il y a quelques jours. Nous devrons mettre nos divisions et nos divergences de côté pour œuvrer ensemble dans un cadre international afin de promouvoir la sécurité, la stabilité et la coopération dans l’ensemble de la région. La « feuille de route » pour la paix au Moyen-Orient, présentée à l’initiative de l’Union européenne, des États-Unis, de la Russie et des Nations unies, fournit une chance réelle de parvenir à l’objectif de voir deux États, Israël et la Palestine, coexister pacifiquement. À ce moment-là seulement, nous pourrons exploiter pleinement le potentiel de coopération de la région méditerranéenne, en nous appuyant sur sa riche histoire et sa grande diversité.
L’Europe a pour ambition, en Méditerranée, de transformer son ancien pouvoir en influence positive, d’aider à faire naître la confiance entre tous les pays et de faire partager son expérience de la consolidation de la paix par la coopération économique. Il s’agit là des mêmes instruments qui ont donné sa forme à l’Europe. Nous sommes donc confiants dans le fait qu’ils serviront également à instaurer progressivement la stabilité et la prospérité dans les relations euro-méditerranéennes, tout en rapprochant nos sociétés. Le contexte international actuel d’insécurité et d’instabilité rend impératif de réaliser des progrès substantiels dans cette direction lors de la réunion ministérielle qui se tient en Crète.

(*) George A. Papandréou, ministre grec des Affaires étrangères, est le président en exercice du Conseil des ministres de l’UE. Chris Patten est le commissaire européen chargé des Relations extérieures.
par George A. Papandréouet Chris Patten*Lorsqu’en septembre 1946, Winston Churchill a prononcé ces mots : « Je vais maintenant vous dire une chose qui va vous étonner : la première étape vers la reconstitution de la famille européenne doit être de faire de l’Allemagne et de la France des partenaires », il a mis le doigt sur les futurs fondements de la communauté...