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COLLOQUE - Quatre intervenants dans le cadre de l’expophoto « al-Quds al-sharif » Fugitives images de paix d’un Orient à jamais révolu (Photo)

Dans le cadre de l’exposition photographique « al-Quds al-sharif » (1890-1925) qui orne les cimaises du musée Nicolas Sursock, quatre intervenants et pas des moindres ont participé au colloque « Photographies et mémoires d’Orient », organisé par le CCF et l’Institut français du Proche-Orient. Le RP Jean-Michel de Tarragon de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem a présenté l’œuvre du père Antonin Jaussen (1871-1962). Pierre Fournié, conservateur en chef du patrimoine auprès du ministère français des Affaires étrangères, a fait un exposé sur « l’iconographie de Beyrouth et du Mont-Liban, 1839-1914 ». Henry Laurens, professeur au Collège de France, a décliné « l’iconographie du général Gouraud », et Lévon Nordiguian, directeur du Musée de la préhistoire à l’Université Saint-Joseph, celle du RP Joseph Delors dont le concept photographique a été mis au service d’une mission au Mont-Liban.
Accompagnant les conférences, une projection de photographies a permis une plongée de trois heures dans l’histoire. Dans les terres bibliques saturées de prières et de rêves. Dans l’Orient aux paysages baignés de soleil et de lumière, que les missions religieuses, scientifiques, diplomatiques et militaires ont pu sauver de l’oubli en le fixant sur pellicule.
Tout d’abord, la compilation du père Antonin Jaussen, archéologue, ethnologue et professeur des langues sémitiques à l’École biblique et archéologique de Jérusalem. Ses clichés avaient pour objectif d’illustrer les articles ou les monographies régulièrement publiées par le couvent Saint-Étienne. « La collection ne se voulait ni paysagère, ni politique, ni pieuse. Sa caractéristique est de ne pas refléter une “école” esthétique particulière ni un projet colonial implicite, mais d’épouser les recherches exégétiques et archéologiques des professeurs de l’école », explique le conférencier, le père Jean-Michel de Tarragon. Mais Jaussen était « trop imprégné de l’Orient » pour rester impassible devant la beauté de la nature. Ses photographies, prises lors de ses expéditions archéologiques au Hijaz, en Jordanie et en Syrie, témoignent d’un activisme jamais rassasié. En 1914, recruté comme officier interprète par les services de la marine française, il sillonne l’Arabie saoudite, l’Irak et l’Égypte, un fusil dans une main, sa boîte magique dans l’autre. Son objectif saisit des paysages, des scènes militaires, portuaires, rurales, les traditions bédouines, les coutumes vestimentaires et... Lawrence d’Arabie qu’il va croiser partout. Son souci didactique conjugué à sa « sympathie » et à sa « connaissance profonde » de l’Orient transparaît avec bonheur dans toute son œuvre. Pour le regard qui s’y pose, elle est une somme d’évocations et les reflets d’un monde à jamais révolu.

Un ailleurs, à la fois proche
et... infiniment lointain
Prenant à son tour la parole, M. Pierre Fournié a présenté une esquisse chronologique de la photographie au Liban (1839-1914). Il devait indiquer que le premier daguerréotype de Beyrouth a été fait en 1839 par Goupil-Fesquet et figure en bonne place dans les Excursions daguerriennes. D’autres prises de vue de la ville et de la montagne apparaissent également dans une collection de daguerréotypes datant de 1840 et de calotypes remontant à 1850 et appartenant au Quai D’Orsay et à la Bibliothèque nationale de Paris. Dans le lot aussi, des clichés inédits de Choueifat, d’une maison à Tripoli (on croit savoir que c’est une des premières photos prises dans le Nord), un portrait de Youssef bey Karam signé Gustave Le-Gray ; un nu fixé sur pellicule par Édouard Aubin et destiné, selon M. Fournié, à un atelier parisien. Mais c’est toutefois à partir de 1860 que des photographes de profession comme Bonfils, Dumas et Charlier Bézier décident de s’établir dans la région. Ils mettront à la disposition des voyageurs un grand choix d’images du Liban. Ils seront suivis par des autochtones tels que Georges Sabounji, Dimitri Tarazi Abraham et Boghos Sarafian. Mais « c’est le développement urbain de Beyrouth et l’activité de son port qui est le principal sujet traité par les photographes», a signalé le conservateur en chef du patrimoine auprès du ministère français des AE, ajoutant que Baalbeck arrive en deuxième position, suivie par Kadisha et les Cèdres, alors que la production relative aux portraits et aux scènes de métier présente de grandes lacunes.
L’iconographie du général Gouraud, haut-commissaire de France, est pleine de sens politique et de présence concrète. « Elle est la parfaite illustration du pouvoir de la France et de sa présence au Liban et en Syrie », a dit M. Henry Laurens. Et de souligner que « l’armée française était à cette époque la plus moderne et la plus puissante au monde ». Les archives du général rassemblent, entre 1919 et 1922, des milliers de clichés centrés sur les dispositifs militaires et sur ses activités (recevant des hôtes de marque comme Sir Herbert Samuel en mai 1921, l’empereur d’Annam en 1922, Mgr Hoyeck, des notables syriens ou libanais, visitant des lieux touristiques, inaugurant des établissements scolaires ou hospitaliers, passant en revue les troupes sénégalaises et annamites, etc). Témoignages précieux, ces recueils de photographies immortalisent des événements historiques, des personnages illustres et des scènes enfouies dans les replis du drapeau.
Les documents photographiques laissés par le RP Joseph Delors constituent également un fond précieux de notre passé. Né en 1873 à Limonest, dans la région lyonnaise, le prêtre a passé l’essentiel de sa carrière religieuse au Liban où il a fondé des dizaines d’écoles dans les villages et les hameaux les plus démunis du Mont-Liban. La présentation de son œuvre faite par M. Lévon Nordiguian s’appuie sur l’exposition qui aura lieu le 22 novembre, dans la crypte de l’église Saint-Joseph, et sur laquelle nous y reviendrons plus longuement. Disons toutefois que la compilation laissée par Delors couvre les cazas de Batroun, le Ftouh, le Kesrouan, Homs et des villages chrétiens du Qalamoun. Selon M. Nordiguian, trois raisons ont poussé le père Delors à prendre des photos. « Graver le souvenir d’événements aussi exceptionnels que les premières communions ou les croisés eucharistiques ; sensibiliser les éventuels bienfaiteurs à l’œuvre qu’il réalisait, mais peut-être aussi, la photographie était un des rares plaisirs qu’il s’offrait dans sa vie de mortification. » Sa production ouvre la porte sur un ailleurs, à la fois très proche et infiniment lointain : Jounieh, Maameltein, Harissa, Daroun, Jdeidet Ghazir, Nahr Ibrahim... des paysages happés par la marche du modernisme et les vicissitudes du temps. Il ne reste que la photo souvenir. Vaine, éternelle, fugitive image de paix et de rêve.
Dialogue des cultures

Était notamment présent à ce colloque, M. Marc-Antoine Authman, directeur général du Crédit Agricole Indosuez, qui a financé la numérisation de plus de 15 000 négatifs sur verre appartenant à la photothèque de l’École biblique et archéologique de Jérusalem et dont 71 clichés, datant pour la plupart de la fin du XIXe siècle, ornent les cimaises du musée Nicolas Sursock. Pour L’Orient-Le Jour, Mme France Mazin, directrice des relations extérieures du mécénat du Crédit Agricole, a souligné que l’entreprise œuvre « à donner corps et illustration à la thématique du dialogue des cultures et de permettre aux talents et aux potentialités multiples des différents pays de s’exprimer et de s’exploser ». Elle a également indiqué qu’après Casablanca et Beyrouth, l’exposition « al-Quds al-sharif » sera présentée à Tunis, Djeddah, Abou Dhabi et Dubaï.

M.M.
Dans le cadre de l’exposition photographique « al-Quds al-sharif » (1890-1925) qui orne les cimaises du musée Nicolas Sursock, quatre intervenants et pas des moindres ont participé au colloque « Photographies et mémoires d’Orient », organisé par le CCF et l’Institut français du Proche-Orient. Le RP Jean-Michel de Tarragon de l’École biblique et archéologique...