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VIE POLITIQUE - Le patriarche maronite accuse la justice « d’ouvrir et de fermer à volonté » le dossier Aoun De Villepin à Sfeir : Le Liban et la Syrie doivent chacun respecter la souveraineté de l’autre

Paris, de notre envoyé spécial Habib CHLOUK
C’est une journée chargée qu’a vécue hier le patriarche maronite, Mgr Nasrallah Boutros Sfeir à Paris, au sixième jour de sa tournée européenne, qu’il a entamée par la France. Un sixième jour qui a également été l’occasion, pour le maître de Bkerké, d’affirmer clairement, et sans ambages, qu’on « ne peut que louer (l’ancien Premier ministre Michel Aoun) pour son sentiment national », tout en accusant la justice de son pays « d’ouvrir et de fermer à volonté » le dossier du général en exil. L’occasion également pour Dominique de Villepin de réaffirmer son soutien à la souveraineté du Liban par rapport à la Syrie.
Hier, à 13h45 heure de Paris, c’était au tour du ministre français de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, de recevoir, place Bauveau, Mgr Sfeir, en présence, entre autres, du vicaire patriarcal général, Mgr Samir Mazloum, ainsi que du vicaire patriarcal à Paris, Mgr Saïd Saïd. Un entretien d’une vingtaine de minutes, au cours duquel les deux hommes ont évoqué les derniers développements sur la scène locale (libanaise) et régionale, s’arrêtant particulièrement sur les problèmes qu’encourent les Libanais nouvellement installés en France afin de régulariser leur situation. Abordant en outre le rôle que le président, le gouvernement et le peuple français peuvent jouer pour aider le Liban à retrouver sa santé, et faire en sorte qu’il cesse de payer les pots cassés des solutions proposées pour le règlement du conflit régional. Interrogé sur les Libanais qui souffrent de l’irrégularité de leur situation, Nicolas Sarkozy a assuré qu’il allait remédier à cela « prochainement ».

Le cas Aoun devant
les journalistes
Dans la matinée, le patriarche maronite a tenu une conférence de presse au Club de la presse arabe.
À propos de l’ancien Premier ministre, Michel Aoun, Mgr Sfeir a déclaré que ce dernier « est un Libanais qui a assumé ses responsabilités lorsqu’il était au Liban. Aujourd’hui, il publie des communiqués et fait ce qui lui semble bon pour libérer le Liban, il s’adresse même aux Nations unies, et nous ne pouvons que le louer pour son sentiment national. Nous réclamons la même chose, mais il a sa manière pour ce faire, et j’ai la mienne. Nous sommes d’accord sur le fond, mais pas sur la forme », a-t-il dit.
Au sujet du dossier du général en exil, et des poursuites engagées par la justice contre lui le 25 septembre dernier en raison de ses propos devant le Congrès US jugés nuisibles aux relations libano-syriennes, le chef de l’Église maronite a rappelé que « dès le début, il y avait un dossier concernant le général Aoun. Il aurait fallu ouvrir ce dossier et le poursuivre jusqu’au bout, en inculpant ou en innocentant (Michel Aoun) – ce qui n’a pas été fait. On ne peut pas ouvrir et fermer un dossier à volonté. On attend que le général Aoun fasse de temps en temps une déclaration pour exhiber de nouveau ce dossier : je ne crois pas que ce soit la meilleure façon d’administrer la justice », a déploré le patriarche Sfeir.
Refusant ensuite tout amendement de la Constitution, « on ne peut pas en disposer comme on le souhaite et on n’a pas à le faire, sauf en cas de force majeure, c’est-à-dire si nous sommes dans l’impossibilité de faire autre chose », Mgr Sfeir, interrogé sur le point de savoir s’il allait nommer des candidats à la présidentielle de 2004 comme il l’avait fait en 1998, a demandé au journaliste de « voir ce que cela avait donné ». Soulignant que cela avait été « bien inutile ».

« Pourquoi je ne me rends pas en Syrie... »
À la question de savoir pourquoi il ne se rend pas en Syrie, étant donné qu’il s’emploie à retrouver régulièrement la communauté maronite aux quatre coins de la planète, Mgr Sfeir a déclaré qu’il avait été invité plusieurs fois à se rendre en Syrie, et qu’il n’a pas d’objections à ce niveau. « Sauf qu’un voyage en terres syriennes ne se pose pas comme une simple visite pastorale. C’est éminemment politique, et il reste un problème qui n’a toujours pas été résolu. Et tant que cela restera ainsi, je ne pourrais pas me rendre en Syrie. Parce que si les choses demeurent en l’état, les Libanais en général et les chrétiens en particulier perdraient l’espoir – et c’est ce que je refuse », a-t-il martelé. Interrogé ensuite à propos des États-Unis, il a répondu que les Américains cherchent d’abord « leur propre intérêt, et si leur intérêt coïncide avec celui d’autres pays, alors ceux-ci sont bien servis. Sinon, c’est peine perdue ».
Au sujet de la situation politique libanaise, le patriarche a déploré la taille trop élevée des circonscriptions électorales, souhaitant que le découpage se fasse à l’instar de celui qui prévalait au temps du président Fouad Chéhab. « Aujourd’hui, trois grands blocs gouvernent le pays, et tous les autres n’ont aucune voix au chapitre. Cela n’est pas la démocratie. Il faut une loi électorale qui permette aux Libanais d’élire les députés qu’ils souhaitent voir siéger au Parlement, que celui-ci représente la nation, et que le chef de l’État satisfasse les revendications du peuple », a assuré Mgr Sfeir. Demandant en outre que l’accord de Taëf soit appliqué « dans le but de combler ses lacunes ». Et ces failles sont nombreuses, selon le patriarche : les décrets qui pourrissent des mois au fond des tiroirs, l’autodissolution de la Chambre, etc.
Signalons que le maître de Bkerké a également répondu, séparément, aux questions de TF1 et de la chaîne de télévision iranienne al-Aalam. À la question de savoir si sa tournée européenne a pour but de défendre les chrétiens, Mgr Sfeir a souligné qu’elle visait à expliquer et expliciter la situation du Liban, précisant que si aujourd’hui ce dernier souffre de l’émigration des chrétiens et des musulmans, « il était hier le pays de la liberté, un refuge pour les opprimés ».
Mgr Sfeir a indiqué ne pas avoir évoqué avec le président Chirac la question du Syria Accountability Act, déplorant néanmoins la présence armée syrienne au Liban, ainsi que son influence. « Notre intérêt commun est d’arriver à établir la meilleure des relations, sauf que nous souhaitons que chaque pays remplisse ses devoirs, qu’il soit indépendant et qu’il puisse disposer d’une libre décision ».
Dans l’après-midi, le patriarche a reçu, à l’hôtel Raphaël où il réside, le député du Metn, Michel Murr. Puis l’ancien ministre du cabinet Aoun, le général Issam Abou Jamra, accompagné d’une délégation du CPL.

Le message de Dominique
de Villepin
C’est à 18h30 heure de Paris que Mgr Sfeir a été reçu, au palais du Luxembourg, par le président du Sénat, Christian Poncelet. En présence, entre autres, de NN.SS. Samir Mazloum et Saïd Saïd, ainsi que du président du groupe interparlementaire France-Liban, le sénateur Adrien Gouteyron. Au terme de leur entretien, les deux hommes ont procédé à un échange de cadeaux. « Lorsque le Liban souffre, nous savons qu’il souffre parce qu’une faction présente sur son territoire n’a toujours pas été désarmée, et cela ne doit pas durer », a dit le n° 2 français, qui a évoqué une rencontre « d’amitié, et non pas politique ».
Enfin, vers 20 heures, heure de Paris, le patriarche maronite a été reçu au Quai d’Orsay par le chef de la diplomatie française, Dominique de Villepin. Trente minutes au cours desquelles les deux hommes ont effectué un tour d’horizon complet de la situation au Liban et dans la région, s’arrêtant encore une fois sur le soutien que pourrait apporter Paris à Beyrouth, sur les plans politique et économique.
Mgr Sfeir a ensuite été l’invité d’honneur du dîner qu’a organisé pour lui le ministre français des AE. Un dîner auquel assistaient entre autres l’archevêque de Paris, Mgr Jean-Marie Lustiger, l’ancien chef de l’État, Amine Gemayel, les ambassadrices du Liban à Paris et auprès de l’Unesco, Sylvie Fadlallah et Samira Daher. Dominique de Villepin en a profité pour rappeler les relations historiques entre la France et le Liban en général, la communauté maronite en particulier, insistant sur l’indépendance du Liban et la paix dont il est censé jouir. « La relation entre le Liban et la Syrie doit être bâtie sur un respect total de la souveraineté de l’autre. Il faut redéfinir cette relation en harmonie avec l’accord de Taëf et la légalité internationale », a-t-il ajouté. Espérant que la présidentielle de 2004 et les législatives de 2005 soient une occasion pour le Liban « de réaffirmer son respect des bases constitutionnelles et des valeurs démocratiques », et appelant à la poursuite de l’opération de privatisations pour booster la crédibilité du Liban à l’étranger.

« 2 000 » personnes
rue Copernic
La veille – mardi, donc –, l’ambassadrice du Liban en France, Sylvie Fadlallah, avait organisé une réception en l’honneur du patriarche Sfeir, dans les locaux de l’ambassade, rue Copernic. Un hommage auquel assistaient, entre autres, le ministre de la Culture, Ghazi Aridi, ainsi que bon nombre d’ambassadeurs arabes et de personnalités politiques françaises.
L’ambassadrice a commencé son discours de bienvenue à l’adresse du patriarche maronite, en affirmant que sa présence témoigne d’abord de « la permanence » des liens que les prédécesseurs de Mgr Sfeir ont su tisser, depuis des temps immémoriaux, entre l’Église maronite et la France. Sylvie Fadlallah en a profité pour citer le patriarche Howayeck, « venu plaider la cause d’un Liban rassemblant en son sein les communautés et les régions qui ont fait son histoire », soulignant que les relations que le patriarcat maronite a su cultiver avec la France « n’ont jamais été mises au seul service de la communauté maronite », mais à celui du Liban et de tous les Libanais. « Le patriarcat maronite s’est toujours fait l’ardent défenseur d’une patrie commune, indépendante et définitive pour tous les Libanais, et il demeure, comme l’atteste votre activité quotidienne, le centre d’un rayonnement très grand, une voix de sagesse et d’apaisement en toutes circonstances », a déclaré l’ambassadrice du Liban en France.
Et après avoir salué les relations franco-libanaises, « un pôle de stabilité sur lequel on peut bâtir l’avenir en confiance », elle a rendu hommage « à l’homme de paix et d’entente » qu’est le patriarche Sfeir, qui « a maintenu la flamme de l’unité libanaise, prêché l’entente là où poussait la discorde, appelé sans relâche à l’union autour de la patrie et à la nécessité du dialogue et illustré de la meilleure manière la conviction de Jean-Paul II que le Liban est plus qu’un pays – qu’il est un message », a martelé Sylvie Fadlallah.
Paris, de notre envoyé spécial Habib CHLOUKC’est une journée chargée qu’a vécue hier le patriarche maronite, Mgr Nasrallah Boutros Sfeir à Paris, au sixième jour de sa tournée européenne, qu’il a entamée par la France. Un sixième jour qui a également été l’occasion, pour le maître de Bkerké, d’affirmer clairement, et sans ambages, qu’on « ne peut que louer...