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Deux courants de pensée s’affrontent au sein du camp loyaliste

Hippocrate dit oui, Galien dit non. Ou l’inverse. Les lahoudistes se défendent de toute politisation du projet de réforme, et de lutte contre la corruption, initié par le chef de l’État. Mais un tel thème peut difficilement échapper à l’intérêt, sinon au contrôle, d’une caste politique dont beaucoup d’intérêts se trouvent directement en jeu. D’autant plus que Pakradouni, ministre d’État pour le Développement et la Réforme administratifs, qui colle de près aux vues présidentielles, suscite un regain de rivalités sous-jacentes. En soutenant que la réhabilitation administrative doit prendre le pas sur les privatisations. Un clin d’œil, de défi, appuyé en direction des haririens. Pour qui, bien évidemment, l’économique, qui est en quelque sorte leur apanage sinon leur chasse gardée, passe avant tout. Si l’on veut élever un peu le débat, on peut dès lors considérer qu’au sein du pouvoir, deux écoles de pensée s’affrontent.
Loin de la théorie, des politiciens du cru qui ne gravitent pas dans l’orbite de Baabda se posent une double question : pourquoi avoir tant tardé à parler de réforme ; et pourquoi s’en souvenir à ce moment précis... À leur avis, les motivations du régime seraient d’ordre tactique. En liaison avec les échéances successives de la présidentielle et des législatives. Pour ces professionnels méfiants, voire sceptiques, il est en effet évident que la réforme n’est tout simplement pas réalisable, dans les conditions actuelles du système comme du pays. Ils ajoutent que le pouvoir est bien placé pour le savoir, après le retentissant échec antérieur de l’expérience Hoss. Mais les lahoudistes réfutent ces assertions avec indignation, en répétant que la réforme est un objectif en soi, n’a aucun rapport avec les élections ni avec la politique vécue au quotidien. Les protestations au sujet de la dissociation entre le (long) chantier de la normalisation qui s’ouvre avec l’électricité et la question de la reconduction peuvent être considérées comme sincères, au bénéfice du doute. Par contre, il est peu probable qu’il n’y ait pas de lien entre la dynamique lahoudiste engagée et la guéguerre avec les haririens. Car les allusions des dirigeants sur la nécessité de sanctionner les pourris mais aussi les présumés corrupteurs « aussi haut placés qu’ils soient » sont par trop transparentes.
Il reste qu’il y a réforme et réforme. Lors de Paris II, le précédent cabinet Hariri s’était engagé à en développer une. Seulement, plutôt que d’épuration et de lutte contre la corruption politico-administrative, on entendait par là une restructuration, une modernisation, un élagage de l’Administration, afin de la rendre efficiente. Et aussi, ou plutôt surtout, une compression des dépenses budgétaires, par l’éradication de la gabegie. Cela dans la mesure où le système dit du partage des parts de gâteau, que les haririens ne vont pas jusqu’à remettre en question, le permet. Par contre, l’objectif déclaré des lahoudistes est de donner un grand coup de balai, un grand coup de pied dans la fourmilière. C’est du moins ce qu’ils promettent, sans encore en venir aux actes. Qui d’ailleurs ne dépendent pas d’eux, mais du Conseil des ministres et du Parlement.
Pour tout dire, on se retrouve aujourd’hui dans une situation de parité bizarre : tout comme le volet économique, cher aux haririens, a été exploité (et bloqué) à des fins politiques, le dossier de la réforme se trouve englué dans le marais des contradictions entre gens du pouvoir. Répétons-le, deux projets s’affrontent. Les lahoudistes paraissent avoir l’avantage, pour le moment. Parce que avec l’appui sous-jacent des décideurs, ils parviennent à rogner le domaine de l’adversaire. En affirmant que la responsabilité doit être partagée, donc les décisions aussi, dans l’économique. Ils précisent que ce champ d’action est ouvert à la présidence de la République autant que le politique ou le sécuritaire. Sans admettre que la réciproque soit vraie en ce qui concerne le président du Conseil ! D’où un retour à l’adage local qui consacre la loi du plus fort : « Ce qui est à moi est à moi, et ce qui est à toi est à toi et à moi. »
Dans ces conditions, les haririens ne sont plus aussi enthousiastes qu’auparavant pour le redressement économique. Et les lahoudistes, qui savent que leur intervention dans ce cirque précis ne peut pas vraiment faire avancer les choses, emboîtent le pas à Pakradouni quand il veut reléguer les privatisations au second plan, au profit de la réforme. Un non-sens, pour les haririens, qui y voient une regrettable initiative susceptible de torpiller Paris II.
Quant aux opposants, ils notent avec flegme que les équations au sein du pouvoir sont maintenant modifiées. Ainsi que les équilibres et les rapports de force. À leurs yeux, il y a fort à craindre que le projet de réforme, louable en soi, ne soit voué à un fiasco total en définitive. Même ou surtout s’il se montre assez utile pour assurer la reconduction : on le jetterait alors au panier, comme un citron dûment pressé.

Philippe ABI-AKL
Hippocrate dit oui, Galien dit non. Ou l’inverse. Les lahoudistes se défendent de toute politisation du projet de réforme, et de lutte contre la corruption, initié par le chef de l’État. Mais un tel thème peut difficilement échapper à l’intérêt, sinon au contrôle, d’une caste politique dont beaucoup d’intérêts se trouvent directement en jeu. D’autant plus que...