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Actualités

L’État, butin de guerre

Les matchs sportifs qui se transforment en échauffourées. Un concert d’amateurs qui s’achève en chahut. Nous assistons à l’exacerbation du confessionnalisme le plus sectaire, le plus rétrograde, le plus grégaire. Au sommet de l’État, les responsables sont engagés dans une sorte de course de vitesse, de curée de nature confessionnelle, sur les rouages de l’État considérés comme butin de guerre. La volonté explicite d’éliminer le confessionnalisme politique figurant dans le Document d’entente nationale semble avoir abouti, concrètement, à enraciner encore plus profondément le confessionnalisme dans les mœurs.
Il y a peut-être une explication – partielle – à ce qui nous arrive. C’est que le refoulement du religieux au nom d’une idéologie totalisante provoque un défoulement détourné du religieux, une exacerbation de ce sentiment sous sa forme la plus fruste, la plus primaire.
Dans une société pluraliste comme la nôtre, le fait qu’on n’accorde pas au religieux la place qui lui revient, comme source d’identification personnelle, entraîne une exacerbation de ce sentiment et un surcroît de divisions, plutôt qu’une intégration nationale bien comprise. On peut s’en faire une idée en regardant ce qui se passe dans le service du drapeau. Le reniement du religieux, au nom de l’intégration nationale, n’a pas réussi à éliminer les distinctions confessionnelles, qui sont toujours très vives.
Il faudrait sans doute voir dans cette volonté de renier la réalité des engagements religieux la raison pour laquelle tarde tant ce livre d’instruction religieuse qu’on devait mettre entre les mains de tous les Libanais, pour leur apprendre l’essentiel de ce que les autres croient. Au nom de cette volonté d’intégration nationale mal comprise, tout un pan de notre culture nationale est occulté, nous grandissons à côté les uns des autres, en ignorant tout de ce que pense et ressent cet autre qui est différent de nous. Et nous finissons presque par tout ignorer de nous-mêmes.
Ce phénomène, il faut craindre qu’il ne se manifeste aussi à l’échelle nationale. Nous nous complaisons dans le sentiment que nous ne sommes pas une nation, parce que nous renions ce qui fait l’essence de notre identité, le dialogue des cultures et des religions. Mais si nous ignorons tout de la culture des autres communautés avec lesquelles nous vivons, il n’est pas étonnant que nous tardions à être un peuple, vivant des identités nationales d’emprunt, cherchant nos références qui à l’Occident, qui en Syrie, qui en Iran.
La diffusion insidieuse de l’idéologie totalisante dans les diverses instances nationales répond certainement d’une partie de la curée à laquelle nous assistons. Des centres de pouvoir communautaires demeurent, sous-jacents, et se livrent une lutte à mort pour prendre le contrôle de la vie nationale. Ils s’expriment comme ils peuvent, c’est-à-dire anarchiquement.
Il nous faut pourtant tirer les leçons de ce qui se passe. Pour apaiser le confessionnalisme, qui est l’expression sociale de l’identité religieuse, plutôt que de la refouler, il faudrait en reconnaître l’importance, en montrant aux Libanais que, tout comme le religieux peut se dégrader dans le confessionnel, ils peuvent aussi faire le chemin inverse, ascendant, et remonter du communautaire grégaire aux valeurs, aux droits de l’homme, à la justice, au respect de la personne, de ses droits politiques, de ses croyances, de sa différence, sans se renier.
On en revient à ce qui se passe au niveau national. L’intégration nationale ne se fait pas par coercition. L’armée n’est pas l’endroit premier où se fait l’intégration nationale. Celle-ci se fait dans la famille, dans une école publique bien comprise, grâce à une chaîne de télévision publique qui serait une forme d’école. Certes, dans ce type d’écoles, on n’investit pas comme dans un restaurant. On n’y investit pas en argent. Mais on y investit dans l’édification d’une identité nationale bien comprise, pluraliste, apprentissage de la liberté.
En fin de compte, l’intégration se fait aussi tous les jours dans la rue, dans les bureaux, devant les guichets, les embouteillages. Elle se fait partout où la justice est respectée, où les droits sont obtenus sans effort, sans ingérences, où l’homme est respecté, où un bulletin de vote a un sens.
Nous vivons un moment d’engourdissement du sens national où nous regardons nos dirigeants sans réagir à l’aberrante réalité que nous avons sous les yeux. Le conflit de personnes et de communautés comme paramètre politique. Plus de haute politique, plus d’objectifs nationaux, la petite politique qui fait office de grande et la grande évacuée sans que personne ne réagisse. L’armée affectée à la sécurité intérieure. La sécurité intérieure affectée à des tâches insignifiantes, à la répression. Il y a là peut-être autant d’effet pervers de la décision que nous avons prise de nous ignorer, pour dépasser un confessionnalisme politique auquel nous avons faussement attribué nos malheurs.
Fady NOUN
Les matchs sportifs qui se transforment en échauffourées. Un concert d’amateurs qui s’achève en chahut. Nous assistons à l’exacerbation du confessionnalisme le plus sectaire, le plus rétrograde, le plus grégaire. Au sommet de l’État, les responsables sont engagés dans une sorte de course de vitesse, de curée de nature confessionnelle, sur les rouages de l’État...