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Exécutif - La politique fiscale du gouvernement à nouveau au centre d’un vaste débat La proposition Hariri sur la TVA suscite de vifs remous dans les milieux politiques et économiques

La proposition du Premier ministre, Rafic Hariri, de relever le taux de la TVA de 10 à 16 pour cent en contrepartie de l’abolition de treize impôts, dont l’impôt sur le revenu, a fait l’effet d’une bombe dans les milieux politiques, économiques et syndicaux. D’une manière générale, les réactions sont très peu enthousiastes, pour ne pas dire hostiles, certains experts allant même jusqu’à souligner que de telles suggestions, dont les retombées et la portée n’échappent à personne, ne sauraient être improvisées et devraient, bien au contraire, être le fruit d’une vaste concertation et d’une étude approfondie.
Au plan politique, l’ancien chef du Législatif, Hussein Husseini, a vivement critiqué la proposition de M. Hariri, affirmant qu’elle revient à faire assumer aux classes défavorisées toutes les charges fiscales, au bénéfice des plus nantis. « La clique au pouvoir, a déclaré M. Husseini, a détruit la classe moyenne et poussé à l’émigration les cadres et les personnes compétentes. Cette clique s’en prend maintenant aux plus démunis. »
Abondant dans le même sens, M. Sélim Hoss a souligné que la proposition de M. Hariri ne sert que la catégorie de riches et ne présente aucun intérêt pour les pauvres et les classes moyennes. « L’impôt sur le revenu est progressif, a notamment déclaré M. Hoss. Les faibles revenus des petits employés ou des membres des professions libérales ayant des rentrées modestes sont soit exemptés de l’impôt soit faiblement imposés. Ce sont les riches qui paient les tranches élevées de l’impôt progressif. L’abolition de l’impôt, sur les revenus des riches et des grands propriétaires terriens ainsi que sur les sociétés commerciales, industrielles et immobilières se fera au détriment des pauvres et des classes moyennes », a conclu M. Hoss.
Seule voix discordante, celle du député Jean Oghassepian, membre du bloc parlementaire de M. Hariri, qui a appuyé le projet du Premier ministre, soulignant qu’il aurait pour avantage de combattre la fraude fiscale en obligeant tous les Libanais à payer un impôt sur les produits de consommation. Affirmant qu’une telle suggestion ne porte nullement préjudice aux classes défavorisées, M. Oghassepian a souligné que ce projet aurait pour avantage de mettre un terme « aux épreuves subies par les citoyens dans leurs rapports avec l’Administration publique pour ce qui a trait à l’estimation des impôts et taxes qui devraient être payés ».

L’argumentation du RDCL
Au plan économique, le comité administratif du Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprise libanais (RDCL) a tenu hier, sous la présidence de M. Armand Pharès, une réunion extraordinaire consacrée à l’examen de la proposition du Premier ministre. À l’issue de la réunion, le RDCL a publié un communiqué soulignant les points suivants : il est surprenant qu’un projet d’abolition de l’impôt sur le revenu soit suggéré alors qu’un mécanisme de mise en application d’un impôt unifié sur les revenus a été mis au point ; le RDCL rejette toute nouvelle imposition ou toute augmentation des impôts si elles ne s’accompagnent pas de la diminution ou de l’abolition de certaines taxes en vigueur ; le manque de stabilité sur le plan fiscal a des retombées négatives sur les investissements et il risquerait de faire fuir les investisseurs, ce qui aurait pour conséquence d’accroître le chômage ; il est nécessaire d’élaborer un système fiscal pour le long terme, conformément à une stratégie fiscale claire qui permettrait de jeter les bases d’une politique de développement prenant en considération les réalités socio-économiques. En conclusion, le RDCL se dit disposé à débattre de toute proposition concernant le système fiscal, d’autant qu’il possède des études et des rapports sur le sujet, préparés par les commissions ad hoc du RDCL.
De son côté, dans une déclaration à L’Orient-Le Jour, M. Fadi Abboud, président de l’Association des industriels, s’est étonné de l’annonce d’un projet de relèvement de la TVA alors que « la mise en application de la taxe n’est pas encore totalement maîtrisée par les organismes de contrôle de l’État ». Selon lui, « actuellement, pour 50 % des importations par voie terrestre et 30 % des importations par voie maritime, la taxe n’est pas payée de manière adéquate ».
M. Abboud pense qu’un relèvement de la taxe ne peut que toucher le secteur des industriels. Il rappelle que ceux-ci s’approvisionnent en matières premières auprès de grandes sociétés mondiales et payent la TVA pour ne se faire rembourser que lors de la vente du produit fini. Mais cela n’est-il pas compensé par l’abolition de l’impôt sur le revenu ? « M. Hariri a parlé de la suppression de cet impôt pour les individus, mais n’a rien précisé pour l’ensemble des sociétés », fait-il remarquer.
D’autre part, M. Abboud estime que relever une taxe sur la consommation dans un pays qui connaît une récession « va à l’encontre de tous les principes économiques ». « Mais, poursuit-il, nous sommes habitués à ces méthodes qui consistent à annoncer le pire pour faire passer le mauvais. Ce qui signifie qu’on pourrait se retrouver finalement avec une TVA de 12 ou 13 %. Ce qui est malheureux, c’est que le débat n’est jamais ouvert avant l’annonce d’une mesure prochaine. On lance un ballon d’essai et on observe les réactions. »

Un encouragement
à la contrebande
Pour Paul Ayanian, président de l’Association des commerçants de Bourj Hammoud, « tous les importateurs payent actuellement la TVA ». Mais, selon lui, « un relèvement de la taxe aurait des conséquences désastreuses sur le pays, parce qu’il encouragerait la contrebande, notamment par la frontière libano-syrienne ». « Avec le renchérissement des produits de consommation, la marchandise en provenance de Syrie sera nécessairement moins chère, surtout que nos voisins ne payent pas la TVA », explique-t-il. « Cela entraînera une véritable paralysie du marché au Liban », ajoute-t-il.
M. Ayanian soulève un autre point essentiel : la cherté de vie qui touchera le citoyen découragera également le touriste. Le shopping, les hôtels et les restaurants reviendront certainement plus cher. M. Ayanian dénonce par ailleurs le timing de la mise en vigueur et du relèvement de la TVA. « Nous vivons dans un pays qui peut toujours se considérer en état de guerre et dans une situation sécuritaire régionale délicate, souligne-t-il. De plus, la crise économique sévit toujours. Nous avons à plus d’une reprise demandé aux responsables d’envoyer des observateurs sur les marchés pour constater l’ampleur du marasme économique. »
Les pertes des commerçants ne pourraient-elles pas être compensées par la suppression de l’impôt sur le revenu ? Comme M. Abboud, M. Ayanian pense que « cet impôt ne sera certainement pas aboli dans le cas des grandes sociétés ».
Quelle est la réaction de Ghassan Ghosn, président de la Confédération générale des travailleurs du Liban (CGTL), à la bombe lancée par le Premier ministre ? « Notre réaction est d’emblée négative », dit-il. « Vous savez, nous sommes allergiques au mot même d’impôt, souligne M. Ghosn. Toutefois, avant de nous prononcer de manière définitive, nous attendons d’avoir toutes les données : nous serons alors capables d’estimer si la suppression des autres impôts, dont celui sur le revenu, compensera le relèvement de la TVA pour les ouvriers et les foyers à revenus limités. »
Rappelant que la CGTL devra tenir une conférence le 16 août pour débattre de la situation économique et financière du pays, M. Ghosn a souligné qu’il ne renoncera pas à la revendication essentielle : le réajustement des salaires. « Nous avons calculé que le paiement des impôts et des taxes représente actuellement 30 % du salaire moyen », constate-t-il.

Le point de vue des experts
L’expert économique Roger Melki adopte pour sa part un point quelque peu nuancé. « Ce n’est pas blanc ou noir, souligne-t-il. L’imposition d’une nouvelle taxe nécessite une vision globale et cohérente. L’improvisation en matière de fiscalité est inadmissible. La gestion et le contrôle de l’impôt sur le revenu au Liban est coûteux. Il s’agit en premier lieu pour le Trésor d’évaluer la rentabilité de la création d’un impôt. » Pour M. Melki, le principe du relèvement du taux de la TVA est acceptable « mais il ne saurait être perçu d’une manière unifiée pour tous les produits ». « L’impôt sur le revenu des sociétés est mal déclaré, mal contrôlé et mal géré, souligne-t-il. L’abolition de l’impôt sur le revenu pourrait ainsi permettre de lutter contre la corruption au sein de l’Administration. »
M. Louis Hobeika a déclaré de son côté : « Avant de décider d’augmenter les recettes, il faut commencer par rationaliser les dépenses de l’État. Le gouvernement a recours au relèvement du taux de la TVA pour deux raisons : il doit honorer les engagements pris lors de Paris II, notamment en ce qui concerne le respect d’un déficit budgétaire de 24 % au maximum. Ce qui n’est pas le cas puisque, à ce jour, les ministres concernés avancent des projections de déficit de 33 %. D’ici à la fin de l’année, cette proportion pourrait atteindre les 40 %. La TVA est une taxe plus facile à gérer et à collecter que l’impôt sur le revenu, qui n’est prélevé qu’à la fin de l’exercice financier. »
M. Hobeika estime que « le relèvement du taux de la TVA touche les personnes à revenu limité ». « L’abolition de l’impôt sur le revenu ne pourrait pas absorber l’impact négatif qu’aurait cette taxe sur le pouvoir d’achat des personnes à revenu limité puisque la première tranche du salaire à concurrence d’un million de LL est exempté de l’impôt sur le revenu, les autres tranches étant soumises à un impôt progressif, précise-t-il. Le relèvement du taux de la TVA pénalise les personnes à revenu limité. La nouvelle imposition va entraîner une hausse des prix qui sera mal perçue par les touristes au moment où les pays voisins du Liban sont en train de réduire le niveau des taxes et des impôts. »
La proposition du Premier ministre, Rafic Hariri, de relever le taux de la TVA de 10 à 16 pour cent en contrepartie de l’abolition de treize impôts, dont l’impôt sur le revenu, a fait l’effet d’une bombe dans les milieux politiques, économiques et syndicaux. D’une manière générale, les réactions sont très peu enthousiastes, pour ne pas dire hostiles, certains experts...