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ÉMIGRATION - À Paris, la nouvelle vague fait des vagues Gai, Gai, Marions-Nous !* (photo)

Les pieds sur terre et un pied-à-terre, c’est le pied. Migration des jeunes : nous avons presque tous, désormais, un pied en France. Ces répondants se font à l’occasion (heureuse) correspondants. Et c’est ainsi que mon aîné et moi avons le plaisir, aujourd’hui, de vous inviter à un rituel devenu assez fréquent. À savoir, une noce libanaise à Paris. Un lent cheminement d’abord :
Le marié est franco-libanais. La mariée, libano-libanaise. Il vit en France depuis 15 ans. Elle s’y trouve depuis trois. Elle a quitté le Liban poussée par ce sentiment de « no future », si peu haririen, qui étreint une jeunesse aussi dégoûtée que découragée.
La première rencontre? Le déménagement d’un pote. Un tel chantier tourne toujours au rassemblement de meute. Les copains ramènent leurs copains, les copines leurs amies. Et souvent, ce qui doit arriver arrive. L’élan de solidarité vire à la consanguinité nationale. Parfois, s’il y a du coup de foudre dans l’air, le jour même. Parfois à distance. Dans le cas qui nous occupe, tout a été bouclé en trois petits mois. Parce que notre héros, ayant la nationalité française, voulait déclencher le compteur le plus vite possible. Pour que l’élue de son cœur l’obtienne (lui et sa carte) dans les meilleurs délais. Avant que les règlements tournoyants ne tournent au rouge.
La proche parentèle (père, mère et deux frères) de la mariée réside toujours au Liban. Elle a en outre une sœur qui poursuit des études de médecine en Caroline du Sud. Une vraie galère, un dur parcours du combattant, pour faire venir tout ce petit monde en France. D’abord, l’ambassade a bien voulu accorder un visa aux parents, mais pas aux garçons. Pourquoi? Parce que, procès d’intention, ils pourraient une fois sur le sol français resquiller et n’en plus repartir. Il a fallu plein de formalités et d’attestations pour prouver que les deux jeunes gens avaient au Liban des emplois stables, qu’ils y étaient trop bien enracinés, y avaient beaucoup trop d’intérêts et d’attaches pour songer à décrocher. Parallèlement, leur sœurette se démenait courageusement auprès du Quai d’Orsay même, pour plaider sa cause et la leur. Finalement, la bureaucratie a cédé de mauvaise grâce, le miraculeux «passe-droit» a été délivré, comme Paris en 44.
Quant à la «sister» de Caroline, c’était encore plus éprouvant. Les Américains lui ont fait comprendre que si elle quittait leur territoire, elle pourrait faire, pieusement, une croix dessus. De plus, et encore une fois, l’ambassade de France au Liban a renâclé, trouvant sans doute tout ce remue-ménage, tout ce soudain «déménage» familial, éminemment suspect. Heureusement, le directeur d’hôpital de la «carabine» (féminin de carabin) a empoigné pour elle sa Winchester. En avisant les autorités que si cet élément de valeur importé devait repartir, toute la Caroline du Sud comme du Nord en tomberait malade. Et comme cette contrée profonde est le cœur même de l’Amérique, donc du monde, ce serait bientôt la fin des temps. Très sensibles, depuis Bush, aux messages messianiques apocalyptiques, les Américains ont à leur tour cédé. Et l’obstacle français a pu être levé à coups de crises de larmes versées au Quai d’Orsay. Le tout relevant du film de suspense: l’étudiante en médecine, qui avait entamé ses formalités trois mois plus tôt, n’a reçu son visa que le mardi précédant le mariage, fixé au vendredi!
Et du côté du marié? Pour le déplacement, c’était plus facile: toute la famille avait la nationalité française. Bien qu’assez dispersée: la maman et une sœur à Beyrouth, une autre sœur à Paris et un frère à Lille. L’épreuve pour le futur (encore le futur? Décidément, on n’échappe pas à Hariri!) s’est cristallisée autour de l’organisation des cérémonies de conjungo et de la réception-cocktail qui devait suivre. Plus difficile qu’on ne pense. Surtout qu’en bon Libanais, il faut toujours «en mettre plein la vue», pour éviter tout reproche sournois, perfide, de radinerie. Et pour faire honneur à la mariée, comme à sa propre famille. Aux yeux des invités libanais. Mais aussi, et surtout, aux yeux des amis français. Pour leur montrer, mille tonnerres de Brest, ce qu’est un vrai mariage libanais! Il fallait donc faire en sorte que les deux mondes, l’Orient et l’Occident, se retrouvent, s’y retrouvent et aient chacun son compte. Autant dire, faire deux mariages en un.

Un grand jour épique
Le mariage en lui-même s’est déroulé de façon très traditionnelle. Avec une messe mixte dite en français et en arabe par des prêtres libanais. En l’église Saint-Julien Le Pauvre, juste en face en face de N-D de Paris. Cérémonie sobre.
Par contre, pour bien marquer le coup, les mariés avaient décidé de donner un grand banquet de noce sur une péniche qui longerait paresseusement la Seine en suivant les quais de Paris. Et ce durant toute la nuit. Idée très attrayante sur le papier. Mais dont la réalisation s’est révélée plutôt ardue. Jugez-en:
En France, tout est compartimenté: l’équipage du bateau naviguait rien d’autre. Le traiteur fournissait le dîner de base et le service, mais n’assurait ni les couverts, ni les nappes, ni les boissons. Il a donc fallu pour les pauvres mariés et leurs amis:
– se procurer tous genres de boissons alcoolisées et autres pour 80 convives. Les entreposer quelque part dans Paris en attendant le mariage. Les charger sur l’embarcation fluviale deux heures avant le cocktail. Retransporter au petit matin les caisses allégées;
– acheter 80 couverts (deux assiettes, 2 fourchettes, deux cuillères, deux couteaux et trois types de verres différents pour chaque invité. Laver le tout. Le stocker quelque part en attendant le mariage. Le disposer à bord, également deux heures avant le cocktail. Le reprendre à la fin de la soirée (le bateau devant être impérativement et totalement vide la nuit même);
– trouver des nappes et des napperons pour toutes les tables. Les laver, les sécher et les transporter au bateau;
– assurer des chandelles et des fleurs pour décorer les tables. Remodeler les cires et les disposer ainsi que nappes, napperons et bouquets;
– ramener les gâteaux d’une pâtisserie au bateau;
– laver et nettoyer le bateau à la fin de la soirée !
Ce n’est décidément pas pour rien que les «wedding planners» existent…

Amalgame et différence
En ce qui concerne le «mix» culturel, les Français apprécient énormément la cuisine libanaise. Et nos vins, vivement applaudis même par les «connoisseurs», comme ils se baptisent (au champagne de préférence). Ce qui est toujours un pont (et un sujet de discussion) entre deux cultures. Par contre, les tenues vestimentaires constituaient un signe assez distinctif: les Français étaient habillés tout à fait normalement (en habits du dimanche, mais sans plus). Alors que les gentlemen libanais avaient sorti le grand jeu: gourmette en platine par-ci, chaîne en or par-là, cigares à tout va, briquets Dupont, montres Rolex, et l’on en passe. Les dames libanaises étaient bien sûr en grande tenue (Christian Lacroix, Yves Saint Laurent…). En revanche, un groupe de jeunes, amis du couple, l’ont jouée «decontrakt»: jeans usés et chandails col roulé. Attitude vestimentaire quand même impensable lors d’un mariage pour des Français à la fois moins voyants, moins show off et plus conformistes.
Un autre signe distinctif culturel s’est cristallisé dans la musique jouée durant la soirée. Français et Libanais s’alternaient aux commandes et, là aussi, on retrouvait bien les deux mondes. Alors que les Français passaient leurs traditionnelles chansons «à boire» (Viens boire un p’tit coup à la maison ; Tomber la chemise; À la queue leu leu ; La danse des canards) et s’amusaient comme des petits fous sous l’œil légèrement goguenard des Libanais, ceux-ci se déhanchaient avec entrain sur les derniers tubes de Amro Diab ou de Ragheb Alamé. Mais tout le monde se mit d’accord autour de «classiques» comme le rock and roll, le twist ou la samba. Et la fusion chorégraphique des deux groupes put enfin avoir lieu de façon naturelle.
Globalement, ce mariage-type a été une réussite au niveau de l’intégration. Certaines «connexions» ont même été établies entre deux ou trois jeunes Français et autant de jeunes demoiselles libanaises, ou l’inverse. Tout ce petit lot charmant se voyant, peut-être déjà, la bague au doigt, l’occasion faisant le larron ou lui donnant des idées…
Cela étant, c’est une vraie vague nuptiale libanaise qui déferle actuellement en France. Rien que pour ce mois-ci, nous avons reçu quatre invitations. Et ces mariages-là découlent, en grande majorité, de rencontres faites lors de mariages précédents! Comme quoi, le mouvement perpétuel existe. Nous l’avons rencontré. Et nous vous souhaitons le même bonheur.

Jean & Marwan ISSA

* Titre français d’Oliver The Eighth, Laurel & Hardy, 1934, avec Lloyd French à la réalisation.
Les pieds sur terre et un pied-à-terre, c’est le pied. Migration des jeunes : nous avons presque tous, désormais, un pied en France. Ces répondants se font à l’occasion (heureuse) correspondants. Et c’est ainsi que mon aîné et moi avons le plaisir, aujourd’hui, de vous inviter à un rituel devenu assez fréquent. À savoir, une noce libanaise à Paris. Un lent cheminement...