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CONFÉRENCE - Feux braqués sur un inventeur fou et un philosophe romantique Starck, le pape du design, dans tous ses éclats (photos)

Dans une interview accordée à une revue allemande, Philippe Starck avait décrété que la connaissance de pays étrangers n’avait aucun intérêt pour lui, sauf vivre en dehors de ses propres codes et principes ; de s’abstraire à son propre contexte ; faire l’expérience d’un manque culturel dont on sort anéanti ou adulte et consacrer son temps à fouiller les poubelles (qui ne mentent pas), visiter les bars sadomaso, explorer les aspects les plus cachés de l’homme et analyser les signes inconscients de la société. Il l’a fait à Tokyo et aux USA. À Beyrouth où il est de passage, le pape français du design a privilégié une autre option : celle de la séduction pure et dure, pour dire ses passions et montrer comment on peut mener sa révolution pour l’amour du beau, de l’usuel, de l’accessible. Sous des dehors légers, un peu farfadets, quelque peu déjantés, le créateur-lutin qui n’aime rien tant qu’« apporter du bonheur » a dévoilé avec éclat l’humaniste. Sa conférence donnée à l’Assembly Hall, accompagnée d’une projection de diapositives, était un véritable show et une vraie performance sur l’audace et l’éthique... de l’objet.
Son père, ingénieur aéronautique, ne faisait que le lui répéter : « La recherche dans tous les domaines est un devoir de la vie, une sorte d’obligation. Inventer est notre mission. » Cette exhortation paternelle, Philippe Starck s’est attaché à la respecter. Vouloir toujours créer, être créatif, sera son pari. Aujourd’hui à 54 ans, ce maître de l’esthétique, philosophe et volontaire, a acquis un statut qui le place parmi les grands. Une réussite construite sur des choix de passion et de raison, un parcours intégrant architecture, décoration intérieure et design. Sa renommée est surtout liée à cette dernière activité, à ses créations de chaises, de fauteuils, de tables, de bateaux, de motos, de lampes, de montres, de brosses à dents, d’objets divers, mais aussi à des pâtes pour Panzani, ou encore à la maison préfabriquée vendue par correspondance. Mais la liste est longue. Starck touche à tout et ne sait plus s’arrêter. Il est un bloc d’énergie brute, inépuisable qui trace une trajectoire sans ruptures ni temps morts. Méthodiquement, il construit sa mémoire et la rapidité de l’information concernant son activité contribue au développement d’un phénomène de culte pour les nouvelles générations qui collectionnent « du Starck » ; pour les imitateurs qui travaillent « à la Starck » ; pour les médias qui l’intronisent « pape du design ».

I love people
and I love my wife
À 25 ans , avec la réalisation de la boîte de nuit Les bains-douches fréquentée par toute la « jet set », et, en 1982, avec la décoration des appartements présidentiels à l’Élysée où il introduit un de ses meubles les plus osés, le fauteuil Richard III, tranquillement bourgeois dans sa version en aluminium, Philippe Starck est déjà l’un des architectes d’intérieur les plus célèbres de la décennie. Aujourd’hui, à 54 ans, il est une légende et un des designers les plus reconnus dans le monde. À la fois une star, un inventeur fou et un philosophe romantique qui, lors de la conférence, ponctuait ses phrases d’un éloquent « I love people and I love my wife. »
Mais quel est le rôle du designer selon Starck ? Raymond Loewy, un des pères du métier, avait dit : « La laideur se vend mal. » Starck ajoute que « le design n’est qu’un complice de l’industrie et de la production afin que les choses se vendent mieux. Mais, aujourd’hui, le problème est avant tout celui de la légitimité du produit à exister ». Le designer français ne dessine pas l’objet pour l’objet, ne prône pas le « beau » à tout prix. Pour lui, il est fondamental que le produit soit « bon » pour la personne qui doit vivre avec ; « il doit amener un service nouveau, une compétence nouvelle. Il doit être simple et utile, s’intégrer dans le quotidien et durer dans le temps... sinon autant se retourner vers des objets déjà existants ». Lui, qui avait un jour dénoncé les objets ou les meubles offrant 20 % de service pour 80 % de matière inutile, a réussi à orienter la recherche et l’industrie vers des outils qui permettraient d’inverser le processus pour avoir 80 % de service. « Cette volonté de faire disparaître l’inutilité au profit de l’honnêteté est basée sur un axe fort qui s’appelle la dématérialisation », explique-t-il en insistant sur la volonté de faire décroître le volume de l’objet au profit de sa masse de compétences, de sa masse d’honnêteté et de sa masse d’affectivité. « Quand on observe mes meubles, on retrouve, je crois, les mêmes courbes tendues (plus intéressantes qu’une courbe carrée), le même soin pour l’économie et de fait, le non-jugement sur la forme. La forme dérive (...) surtout d’une fonction et de sa solution. » Et d’ajouter que son luxe, actuellement, est de « faire mon travail le plus honnêtement possible ». Il ne cherche en aucun cas à être producteur mais à offrir des prestations de service pour « aider la société à mieux vivre ». Aussi, inclut-il dans son menu de réalisations une chaîne de restaurants, les Bon, et une compagnie de nourriture biologique (OAO) présentant une gamme « de produits sains pour développer un corps et un esprit sains qui évolueront vers plus d’intelligence et d’amour ». La terre tournerait même plus rond s’« il y a des génies comme Einstein qui apporteraient à la société une montagne de bienfaits, d’autres qui ajouteront leur grain de sable et d’autres encore, comme moi, des brosses à dents. L’important, c’est que tout le monde participe au développement de la société et à son progrès ».

La vie peut être autre chose
La « moralisation » des grandes entreprises est également l’un des objectifs de Starck. « Pendant quatre ans, mon principal travail de directeur artistique chez Thomson était de permettre à la société de rendre service et de mettre toutes ses compétences au profit d’un service... D’ailleurs , une des choses que j’avais réalisées chez Thomson était de changer son nom. Thomson, qui s’appelait TMC (Thomson Consumer Electronic) est devenu Thomson Multimedia. Les responsables pariaient sur le succès des technologies du Multimedia, et moi, sur les multiples vecteurs d’expression qu’une société morale doit avoir. Nous avons d’ailleurs lancé le slogan, “Thomson de la technologie à l’amour”, mettant en évidence une technologie qui ne serait pas une fin en soi, mais un moyen, et que le but réel et final, c’est l’humain, avec un paramètre fondamental, l’amour. » Et Starck d’ajouter : « Mon rôle est essentiellement celui d’un agitateur politique qui se sert du design et de l’architecture pour dire : regardez, la vie peut être autre chose ! Réveillez-vous, planchez sur votre avenir, travaillez pour votre ville, coopérez au développement de votre société. Toute réalisation participe d’une civilisation. »
C’est toutefois la démocratisation du design qui a été son cheval de bataille. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Starck s’est évertué à « dés-élitiser » les objets de qualité pour les mettre à la portée de monsieur tout-le-monde. En valorisant la production en nombre, en ennoblissant le mot « populaire » et en cassant les prix, il a rendu accessible des objets qui auparavent étaient réservés à une élite. Sa première chaise « best-seller » coûtait 1 000 dollars, aujourd’hui, la dernière (en plastique) se vend à neuf dollars. En Asie et aux USA, ses produits se consomment à volonté, sans modération. « C’est ma grande victoire. »
Chapitre architecture, Philippe Starck travaille sur des intuitions raisonnées. Il inscrit son style dans ce qu’il appelle le « fonctionnalisme postfreudien », une théorie selon laquelle la beauté de l’œuvre dépend de son adaptabilité et de son harmonie avec son contexte géographique, historique et culturel. De Paris à New York, en passant par Londres, Madrid, Barcelone, Milan ou Amsterdam, Starck, avec une déconcertante aisance, plante ses décors en jouant de l’illusion et de la réalité ; la fiction et le vrai. Douées d’une forte charge novatrice et symbolique, ses réalisations (dont Nani Nani, Tokyo) sont conçues pour « fouetter les esprits, donner des émotions, susciter l’intérêt des gens – aujourd’hui de plus en plus passifs, de plus en plus spectateurs – et en faire des acteurs et des actants ».
Prenant à titre d’exemple le Café Costes, réalisé à Paris en 1984, il dévoile, par ailleurs, sa logique sur la gestion de l’espace conçu au « service des clients et du personnel ». Il assure que la chaise à trois pieds n’a pas été fabriquée par esprit de provocation, mais pour faciliter la circulation du serveur et lui éviter de se prendre une fois sur quatre les pieds dans ceux de la chaise (avec trois pieds au lieu de quatre, le risque est réduit d’une fois ; alors faites vos calculs pour une cinquantaine de chaises !) Les services qu’il veut rendre aux gens sont aussi d’ordres « spirituel » et « existentiel ». La grande horloge dominant l’escalier du café n’a d’autres fonctions que d’« inciter les gens à méditer sur le concept du temps ».
Entre-temps, ce créateur aux multiples facettes a lancé les modes et marqué de sa griffe l’air du temps. Avant lui, les brosses à dents étaient dissimulées au fond d’un tiroir ou dans un gobelet, et les objets design semblaient hors de portée. Aujourd’hui, on s’offre donc avec grand chic et petit chèque « un beau (produit) d’essence culturelle ? » « Non, un bon d’essence humaniste », tel est le credo de Starck. L’art fait des éclats.
Prix , expositions et musées

Chevalier des Arts et des Lettres et Officier des Arts et des Lettres, Philippe Starck collectionne les prix :
– Oscar du Luminaire pour la lampe Easylight, 1980.
– Prix au concours international pour la salle de lecture au Musée des Sciences du Parc de la Villette, Paris.
– Créateur de l’année 1985.
– Trois prix au Neocone de Chicago pour ses meubles, juin 1986.
– Delta de Plaia, Barcelone 1986.
– Vainqueur avec la chaise Costes, New York, 1986.
– Platinum Circle Award pour le Café Costes : Chicago, 1987.
– Prix pour le cendrier Ray Hollis, Tokyo, 1987.
– Prix pour la chaise J.Lang, 1987.
– Grand prix national de la création industrielle , 1988.
– Oscar du design pour le bateau Beneteau , 1988.
Les années 90 s’annoncent également fastes :
– 100 design, prix de l’édition USA, et 990 interior design Award-Hall of Fame et AIA Honor Award pour ses hôtels, New York.
– Première communication du Brooklyn Museum pour Outstanding achievement in contempory design, New York, 1992 et 1992 Honor Award décerné par l’American Institute of architects.
– Top Ten. Prix européen pour le design du meuble rembourré, pour la chaise produite pour la Driade, allemagne, 1993.
Expositions au Centre Georges Pompidou, au Grand Palais, au musée des Monuments Français, à la Villa Medici, Rome, au Kunstmuseum, à Düsseldorf, mais aussi Francfort, Chicago, Los Angeles, au Horshschule Museum, à Vienne puis à Londres, au Design museum...
Des collections permanentes présentant ses œuvres au musée des Arts Décoratifs (Paris); à Brooklyn museum (New York); Design Museum (Londres); Centre Georges Pompidou et Vitra Design Museum, Suisse.
Question shocking

En réponse à une question autour de rumeurs concernant son éventuelle bisexualité, Philippe Starck a déclaré, imperturbable, que « non... je ne le suis pas. Quoique j’aie le cœur assez grand et ouvert pour aimer tout le monde... Mais je n’ai pas entrepris cette expérience... »

May MAKAREM
Dans une interview accordée à une revue allemande, Philippe Starck avait décrété que la connaissance de pays étrangers n’avait aucun intérêt pour lui, sauf vivre en dehors de ses propres codes et principes ; de s’abstraire à son propre contexte ; faire l’expérience d’un manque culturel dont on sort anéanti ou adulte et consacrer son temps à fouiller les poubelles...