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FESTIVAL DE BEITEDDINE - « Mère Teresa et les enfants du monde », de Maurice Béjart Éloquence et poésie des corps(photo)

C’est sous l’ombrelle de la tendresse, de la paix, de l’amour, de la générosité, de la créativité et d’un profond sentiment de fraternité humaine, sans discrimination sociale ou raciale, mais aussi dans une impalpable poésie où le corps a toutes les souplesses, les grâces et l’innocence que se déroule le spectacle Mère Teresa et les enfants du monde de Maurice Béjart, inaugurant le Festival de Beiteddine édition 2003, présenté par la Compagnie M et la prima donna brésilienne Marcia Haydée. Grand public et atmosphère un peu agitée pour occuper les dernières places vides avant le lever de rideau en plein air dans la nuit veloutée du Chouf.
Dans la lumière bleutée des «sunlights » axés sur les vieilles pierres des trois arcades de la façade du Palais des Eaux et dans un silence où l’on peut entendre les étoiles palpiter, commence alors une lente et grave procession des jeunes danseurs. Groupés en une couronne au milieu de la scène nue ils seront les enfants du monde, ce souffle de vie qui dessinera les grandes lignes de la pensée de la religieuse albanaise, prix Nobel de la paix. Une jeunesse rayonnante pour dire le manque d’amour, tenter de réduire les souffrances et exprimer le besoin de fraternité humaine dans notre planète livrée souvent à la folie des hommes et leur soif de possession. Gestuelle puisant sa source d’inspiration à divers horizons (tout comme les danseurs originaires de neuf contrées différentes) et où la danse devient un langage cosmopolite et universel pour dire la beauté du monde, les joies de la création, le plaisir d’aider et de donner.
Vivent sur scène, non Calcutta et sa misère, non l’Inde et ses mégalopoles grouillantes, mais les préceptes (simples et humbles comme chez tous les saints et les élus de Dieu, tels sœur Emmanuelle ou le père Ceyrac) de mère Teresa par le truchement de Marcia Haydée dont l’accent latino-américain, délicieusement maladroit et ensoleillé en français, donne une singulière saveur à ces phrases vibrantes d’un franc humanisme cravachant la conscience tranquillement assoupie des repus et des « assis » (pour reprendre une terminologie rimbaldienne !) : « Dieu est partout et en tout, et nous sommes ses enfants… Prenez le temps d’aimer, de donner, de lire, de… danser… Aidez-nous à devenir meilleurs ». Voilà quelques propos, tirés au hasard, de ce bouquet de sentences et jugements reflétant la sagesse et la philosophie de celle qui s’est donnée sans réserve aux plus pauvres des pauvres. Mais par le même biais, le génial chorégraphe iconoclaste s’empare, telle une lumineuse allégorie, de la souffrance du danseur pour l’incorporer dans cette cause des damnés de la terre… Souffrance cachée à travers une discipline de fer et des coulisses secrètes ne révélant que la joie et la beauté de ce qu’il est donné à voir sous les feux de la rampe et par-delà le masque du labeur.
Tableaux sans ornementation inutile, d’une grande force visuelle, d’une beauté sobre et tranchante où l’éloquence des corps, dans son dépouillement et son absolue maîtrise, atteint des moments d’une grande émotion, frémissante et pure. Des pointes délicates aux bonds les plus hauts, des positions zen ou yoga aux pirouettes les plus périlleuses, des farandoles libres à la Matisse aux poses lascives et indolentes, l’art de Béjart, étonnamment riche et mobile, sensuel et éthéré, est immense et éclate dans toutes les directions.
Part léonine de la musique et des silences ! Montage musical saisissant, provocateur, séduisant, jetant des embranchements multiples et faisant des virées surprenantes entre les rythmes marqués de la pop music, les dynamiques compositions d’Hugues le Bars, les chants folkloriques du Rajastan au lyrisme étrange et voilé, les accords larmoyants et ondulants d’une cithare, la grâce de Mozart et l’architecture tout en finesse de Bach. Et parfois même le silence pour mieux écouter les voix intérieures, les orages qui viennent et la paix qui s’installe.
Un spectacle dense et grave, d’une grande portée visuelle et morale. Ici la danse n’est plus seulement un vain divertissement mais un touchant message d’amour et une admirable leçon de vie. Une belle et audacieuse démonstration que même le ballet, loin de séparer corps et esprit, art et aspirations profondes, peut aborder les thèmes les moins familiers, avec éclat, dignité, sobriété et émotion. Un grand moment qu’on n’oubliera pas de sitôt.

Edgar DAVIDIAN

Maurice Béjart, une absence remarquée

Un spectacle fabuleux mais aussi une absence remarquée. Maurice Béjart n’était pas des nôtres. Mais à travers un message écrit (que nous reproduisons ici même), le célèbre chorégraphe souligne toute son amitié au pays des Cèdres : « Liban où j’ai tant appris et tant exploré, de cette force inhérente à une terre souvent décrite comme un lieu de rencontre des cultures, des grandes civilisations, est en vérité le centre, où tout existe d’une façon nouvelle et authentique, les rencontres des cultures diverses s’accomplissent là parce que c’est une terre de créativité, d’inspiration nouvelle, de naissance d’un monde. Nombril ! J’aime le Liban, divers mais unique, avec un visage miroir qui capte l’âme des cultures, mais, “phare de l’Orient”, crée une synthèse de vie qui n’est que Liban. Je me sens “moi” et multiple au Liban, à qui je dois tant pour son essence originale. »
C’est sous l’ombrelle de la tendresse, de la paix, de l’amour, de la générosité, de la créativité et d’un profond sentiment de fraternité humaine, sans discrimination sociale ou raciale, mais aussi dans une impalpable poésie où le corps a toutes les souplesses, les grâces et l’innocence que se déroule le spectacle Mère Teresa et les enfants du monde de Maurice...