Pavla, à ne pas confondre avec Paola, tient au « v » de son prénom comme à la prunelle de ses yeux vifs. Elle se rappelle pourtant que, quand elle était jeune, les gens pensaient qu’elle portait le nom d’une cigarette ! Née à Beyrouth d’un père grec et d’une mère italienne, Pavla Riga a vécu au Liban tout en prenant ses vacances à Santa Marguerita et Florence, « des lieux magiques », se souvient-elle. Avant de raconter des histoires, elle a appris l’histoire et la géographie. Avant de lire des images, elle a appris à lire des cartes, à en dessiner, puis elle est devenue cartographe. Seulement voilà, la jeune mariée universitaire devenue madame Nagib Trad tombe enceinte. Alors, adieu compas, colle, feuille blanche et encre de Chine. Et vive la maternité. Les années passent, les trois enfants grandissent, l’envie de reprendre le chemin du travail la démange. Légitime. Pour cela, Pavla reprendra le chemin de l’école, qui la mène au Collège protestant où elle fit elle-même toutes ses études scolaires et où se montait une bibliothèque. Une Française, Mme Hélène Laisne, qui en était le principal artisan, repart l’année suivante. « Laissez-moi venir en tant que bénévole ! » propose-t-elle, sérieuse. Inspirée par son prédécesseur qui l’avait fait une ou deux fois avant elle, la jeune bénévole ouvre un livre, laisse s’échapper une magie qui comble l’air et les enfants de bonheur, et se met à raconter une histoire. La magie agit sur les élèves mais c’est elle qui tombera sous son sceau.
L’histoire de ces histoires
« Pour savoir raconter des histoires, il faut lire plein de contes, en aimer vraiment un, se l’approprier et surtout le visualiser. Il faut que l’enfant puisse voir le paysage et le personnage principal, une sorte de bandes dessinées. Il faut mettre le ton, c’est un peu comme au cinéma. » Perfectionniste, Pavla lit, répète et peut raconter la même histoire des dizaines de fois, en y ajoutant à chaque fois une nouvelle musique, mais toujours venant du cœur. « J’aime vraiment raconter des histoires. Elles doivent être travaillées pour couler de source et cela prend beaucoup de temps. Le travail consiste aujourd’hui à faire plein de jeux autour d’une lecture de contes et, surtout, à faire aimer écouter. » Passionnée, elle ne s’est pas arrêtée aux portes de la bibliothèque de l’école, avec qui elle s’est, au bonheur des petits et de leurs parents, liée pour de nombreuses années. Elle décide de partir plus loin partager ses contes, car, un jour, « je suis tombée par hasard sur un village dans le Hermel, j’y ai rencontré Ismaïl Chahine, qui possède là-bas une bibliothèque de livres en français et qu’il offre gratuitement à qui veut. C’était une jolie bibliothèque, avec des livres bien rangés mais qui ne servaient à rien ». La conteuse décide alors de prendre son bâton de pèlerin et de se rendre tous les week-ends du printemps et de l’été dernier à ce petit bout de monde, en bus, en taxi, mais qu’importe, raconter des histoires, « montrer les livres, les faire aimer » à des enfants qui, pour la plupart, ne parlaient pas le français ! Puis elle leur dit : « Dessinez ce que vous avez entendu. » C’est ainsi qu’ils vont découvrir Picasso, les impressionnistes et le surréalisme.
« Après cette première expérience, il y eut un deuxième village, encore plus loin, qui s’est intéressé à mes histoires. Mais là, les enfants se sont réunis chez des gens que je connaissais » et c’est reparti ! « Je sais que ça fait cliché, mais l’histoire est vraie, ma grand-mère italienne avait l’habitude de me raconter des histoires. J’en ai retrouvé certaines dans la culture traditionnelle libanaise. Quand je les racontais au Hermel, tout le monde les connaissait ! » Il y a quelques mois, Pavla s’est essayée au théâtre dans Tailleur pour dames. « Ça n’a rien à voir avec les contes où l’on peut rester soi-même. Au théâtre, on devient un autre personnage. » Son rêve demeure de renouveler dès que possible l’expérience du Hermel et d’écrire des nouvelles pour enfants, à l’image de celles qu’elle affectionne. Elle cite Le magicien des couleurs, Chien bleu et se met à raconter. Sans livre, dans un petit café de Beyrouth, on se sent brusquement hors du temps, retombé en enfance, ravi. Certains dessinent des moutons, d’autres racontent des histoires. Mais c’est toujours pour la même belle cause. Nous permettre de rêver encore un peu...
Carla HENOUD
Les plus commentés
Retour des Syriens : Assad s'impose dans le débat
Nasrallah : Israël n’a réalisé aucun de ses objectifs dans cette guerre
Crise migratoire : un faux dilemme pour le Liban