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HUMEUR Rodin devant sa glaise

« Qui vous coiffe ? Vous n’êtes pas venue depuis des lustres, alors allez savoir.» Il soulève une mèche, recule, évalue la coiffure et repère en cinq secondes l’état du chantier. Sévère, il lance : « La frange, là, c’est vous qui l’avez coupée ? » Cramoisie de furie rentrée, vous rêvez de l’incorporer au plancher. La coupe a été faite par son célébrissime confrère. Mais il tape encore : « Ça ne vient pas de chez nous ça. C’est pas le style de la maison. C’est triste, vieillot. Ne commettez plus jamais cette erreur.» La honte.
Derrière, les fidèles, les loyales ricanent. La fausse Liz Taylor qui rôtit sous les infrarouges embrasse la «tragédie capillaire»: «Franchement vous vous êtes mutilée, chère. » Elle passe quinze fois par mois pour un petit coup de peigne. Réclame d’elle-même un bain d’huiles essentielles. Toutes les semaines.
Figaro plante sa troisième banderille. Il attrape vos cheveux, les ramasse en tas et demande catastrophé : « Mais qu’est-ce que je vais pouvoir faire avec ça ?» Vous répliqueriez bien : « Les couper, par exemple.» Mais vous n’osez pas. C’est un raseur.
Il vous froisse le côté bâbord, le mouille, le tord. Rodin devant son tas de glaise. Van Gogh truellant un paysage. Au fond, cet endroit s’appelle « atelier ».
Vous commencez à somnoler quand le visagiste de choc arrête tout. Il se redresse, vous toise et lance : « Je ne vous sens pas. Parlez-moi de vous. » Gros succès chez ses fans. Liz Taylor – beurrée de boue – glousse. Barbara Cartland – en papillotes – pouffe. Joan Collins – hérissée de rouleaux – lâche et son portable et les problèmes de Monaco. Toutes à l’écoute... d’une nouvelle proie. Vous vous abîmez dans un silence de glacière. Il vérifie les ciseaux qui exhalent un bruit de grand pic. Les « copines » déçues reprennent leur babil : « Tu savais que la luposuccion de Marie a mal tourné (rire de gorge). La pauvre, elle a les cuisses en tôle ondulée.» «Non!» «Mais si, puisque je te le dis. Nadine les a vues lundi.» «C’est bête. À propos, qui a vu les “truc much” ?» «Ah, tu ne sais pas qu’elle a quitté Sami, pour son banquier ? Elle est aux Antilles, il est sous lexotanil. Ah ! mon petit Rabih, enfin vous voilà. Bon, vous me glonflez tout ça. J’ai un dîner ce soir. Très officiel.»
Toujours planté, le sadique soupire: «Bon, comment je les taille ?» «En silence.» Il ne l’a pas volé. Taylor, Cartland, Collins et compères guettent le clash. Il sourit. Vous commencez à l’amuser. Il effile, il sculpte, il opte pour une coupe d’été, à crans désinvoltés. Vous penche la tête en avant, s’approche et chuchote : « Vous avez des cheveux blancs ; on va les planquer. » Dans le miroir, vous lui balancez le sourire n°18, celui que vous réservez à la politique séduction. Il riposte avec une dose de supermodeling et dodeline : « Brushing ou touching ? Brushing, je vous les lisse mèche par mèche, vous sortez coiffée. Touching, c’est n’importe quoi, mais cela fait vamp. » En rectifiant la nuque, il souffle les dernières recommandations : « La caissière va tenter de vous refiler le “volumateur” et la brume solaire: répondez non.» Il vous époussette, vous raccompagne, se fend d’une courbette. Sous leur masque d’argile, les troies pies agonisent.
«Écœurant», murmure Collins juste un peu trop haut.

May MAKAREM
« Qui vous coiffe ? Vous n’êtes pas venue depuis des lustres, alors allez savoir.» Il soulève une mèche, recule, évalue la coiffure et repère en cinq secondes l’état du chantier. Sévère, il lance : « La frange, là, c’est vous qui l’avez coupée ? » Cramoisie de furie rentrée, vous rêvez de l’incorporer au plancher. La coupe a été faite par son célébrissime confrère....