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Peu de chances de préserver l’harmonie sans des amendements constitutionnels

Le climat d’entente qui a marqué la dernière réunion du Conseil des ministres était manifestement artificiel. Pour la raison classique qu’il découlait de pressions syriennes elles-mêmes motivées par une difficile conjoncture régionale. Dès lors, les risques de reprise des clashes subsistent. Pour y parer efficacement, un seul moyen : introduire des réformes politiques impliquant une relecture consensuelle de certains articles de la Constitution.
Il est clairement apparu, en effet, que le seul respect des textes existants, effort méritoire consenti par tous, ne suffit pas. Car ces dispositions sont elles-mêmes branlantes, tronquées, incomplètes. Confuses, elles ouvrent la voie à des interprétations contradictoires, source de nouvelles polémiques. Le constat n’est pas nouveau: il avait été établi, presque d’entrée de jeu, par le premier président de la présente République, Hraoui. Mais, comme on sait, son appel pressant pour une révision s’était heurté à une si forte opposition des autres dirigeants, voire de certains pôles religieux mahométans (au sujet du mariage civil facultatif), qu’il avait préféré ne pas insister. Sur le plan institutionnel, c’était surtout le président de la Chambre qui s’était insurgé contre un éventuel changement. Par crainte de voir son mandat de quatre ans ramené à deux ou même à un an, comme c’était l’usage par le passé. Il convient de signaler, à ce propos, que ce qui aurait été en cause finalement, ce n’aurait pas été seulement le statut du chef du Législatif, mais la conception même du système de base. C’est-à-dire que la Chambre, en tant que corps constitué, n’aurait plus disposé de la cohésion que lui donne l’inamovibilité de sa direction, et se serait trouvée affaiblie par rapport à l’Exécutif. En termes pratiques, la part réservée aux députés au sein même de tout gouvernement se serait trouvée plus facilement réduite. Tout comme, bien entendu, le quota important imparti au président de la Chambre en tant que chef de bloc.
Il reste que le maintien de la Constitution issue de Taëf reflète une étrange contradiction générale. Cela dans la mesure où, lors de l’élaboration puis de la ratification du nouveau pacte national, l’ensemble des forces politiques locales se trouvaient d’accord pour estimer qu’il s’agissait là d’un arrangement d’urgence, destiné à mettre fin à la guerre, mais qui était largement perfectible sur le plan institutionnel. En d’autres termes, personne n’en voulait politiquement. Mais pendant quatorze ans, aucun consensus de modification n’a pu se dégager. Chacun en effet souhaite changer telle disposition, mais pas telle autre contestée par le voisin. Il n’y a donc pas eu d’évolution au niveau des textes qui, à cause de leurs multiples imperfections ou failles, ont fait place nette devant des pratiques n’ayant rien à voir avec l’esprit de Taëf. On sait ainsi que l’entente, la participation, la réconciliation nationale sont restées lettre morte, du fait de l’exclusion politique d’une frange importante du pays. On sait également que le système de la troïka s’est substitué, à l’intérieur même de ce que l’on appelle la légalité, à la direction collégiale conçue autour de la personne morale du Conseil des ministres, seule détentrice en principe du pouvoir exécutif. Tout cela a fait qu’aucune des lois électorales successives n’a respecté Taëf, et les récriminations du Conseil constitutionnel n’y ont rien fait. Seul contre-effet relativement positif de cette propension à mépriser la loi fondamentale : par la présence d’un homme fort, la présidence de la République, initialement dépouillée de ses prérogatives par Taëf, a pu retrouver quelque lustre, quelque autorité. Ce qui n’aurait pu avoir lieu si les textes étaient strictement obéis. On se rappelle de la sorte que lors de la formation du premier gouvernement du régime actuel, des députés avaient fait délégation de leur droit de désignation du Premier ministre au chef de l’État. Ce qui s’est confirmé par la suite comme parfaitement anticonstitutionnel. Cette procuration avait permis toutefois à Baabda de faire appel à Hoss plutôt qu’à Hariri. Qui n’a pu se remettre en selle qu’en remportant haut la main les législatives suivantes. Il est donc revenu aux commandes, mais il s’en est suivi une interminable confrontation avec le régime.
C’est ce problème aigu qui impose une conclusion technique évidente: toute retouche de la Constitution doit prendre en compte avant tout les délicats équilibres de la mosaïque nationale en général, et la balance entre les pouvoirs des dirigeants en particulier. De manière à ce que l’harmonie, la coordination et la coopération des institutions comme des personnes coulent de source, sans se ressentir des visées politiques ou des animosités des uns ou des autres. Cela étant, il reste un détail : il ne sert à rien de se dire attaché à la Constitution quand, à tout bout de champ, on y déroge, en affirmant que c’est « à titre exceptionnel, pour une seule fois ». Pour le fond, comme l’opposition de l’Est ne cesse de le répéter, une fois une Constitution adoptée, il faut savoir s’y tenir. Et s’il apparaît, comme c’ est le cas, qu’elle a besoin d’être révisée, il faut le faire une bonne fois pour toutes, pour ne plus la transgresser par la suite.
Toujours est-il que le recours à la Constitution est une arme tactique à double tranchant. Aujourd’hui, il profite aux partisans du régime. Demain, cela pourrait être l’inverse. On entend ainsi le chef du gouvernement répéter, dès à présent, que ce louable respect des textes doit s’étendre sans faute aux échéances. Ce qui signifie, on l’aura compris, que nul ne devrait songer à la reconduction, puisque la loi fondamentale l’interdit. Une question se pose toutefois à ce propos : ne faudrait-il pas revoir également, si l’on doit entreprendre une révision de textes, la durée du mandat présidentiel ? Pour l’établir, par exemple, à cinq ans, renouvelables une fois. Le débat va sans doute s’engager. Ce qui est sûr, par contre, c’est qu’il est nécessaire de traiter l’inégalité illogique dont se plaignait déjà Hraoui au niveau des délais de signature des décrets : le président de la République est tenu de le faire dans les 15 jours alors que le président du Conseil ou même les ministres ne se voient imposer aucune barrière.

Philippe ABI-AKL
Le climat d’entente qui a marqué la dernière réunion du Conseil des ministres était manifestement artificiel. Pour la raison classique qu’il découlait de pressions syriennes elles-mêmes motivées par une difficile conjoncture régionale. Dès lors, les risques de reprise des clashes subsistent. Pour y parer efficacement, un seul moyen : introduire des réformes politiques...