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SÉCURITÉ - Pas de victimes, des dégâts considérables, des interprétations multiples et de bien sombres perspectives... Naissance d’« Ansar Allah », qui revendique l’attentat contre la Future TV et menace du pire(PHOTO)

Autant la prohibition par le pouvoir de la MTV de l’ancien député Gabriel Murr était une atteinte patente contre les libertés et la démocratie, autant l’attentat – sans précédent depuis 1990 – perpétré contre la Future TV du Premier ministre Rafic Hariri sonne comme une nouvelle – et très grave – tentative de déstabilisation, tout aussi liberticide, du pays. Un pays qui, au vu de la profondeur des marécages locaux et régionaux dans lesquels il ne cesse de s’embourber, n’avait vraiment pas besoin de prouver une énième fois qu’il est une véritable et infernale pétaudière.
Encore faut-il ne pas oublier que des dizaines de définitions et d’explications peuvent être données à ce mot – déstabilisation (du Liban en général ? de Hariri en particulier ? des médias ?) – et quoi qu’en dise la kyrielle de responsables poilitiques qui l’ont utilisé. Seule certitude, inadmissible : c’est encore une fois les médias, quels qu’en soient leurs propriétaires, qui paient le prix. Puisqu’à 1h30 du matin, dans la nuit de samedi à dimanche, deux roquettes de calibre 107mm ont explosé dans les locaux de la Future TV à Raouché, endommageant considérablement les équipements des principaux studios de la télévision et de la Radio el-Charq – sans, toutefois, que les programmes des deux chaînes ne soient interrompus.
Les deux roquettes ont été tirées grâce à un système de minuterie électrique et elles étaient placées dans ou sur une voiture portant une fausse plaque d’immatriculation – une BMW 735 volée en 1997, dit-on, de couleur blanche, et qui était garée devant les locaux de la chaîne. Elles ont détruit les murs du bâtiment, puis explosé dans les studios, à l’intérieur desquels se trouvaient notamment quatre bonbonnes de gaz, qu’un employé de la chaîne a miraculeusement pu évacuer des locaux, vite ravagés par les flammes.
Force est de constater que si cet attentat avait visé un média lambda, les réactions, les conséquences, les interprétations, les remous, les messages auraient été bien moins importants, bien moins lourds de sens. La Future TV est la télévision de Rafic Hariri, et cet incident intervient en pleine crise politique entre ce dernier et Émile Lahoud. Une crise qui stérilise depuis plus d’un mois la machine d’un Exécutif pour les beaux muscles duquel les deux hommes se disputent, notamment à coups de volontés affichées de recours – arme suprême – à la Constitution. Une crise dont les contours prennent la forme d’un Conseil des ministres qui se termine à chaque fois en queue de poisson, d’un ordre du jour sur lequel personne ne s’entend ; une crise, enfin, dont la toile de fond, l’enjeu, est l’éventuelle reconduction d’Émile Lahoud à la première magistrature de l’État. Une reconduction qui ne plairait pas, absolument pas, à Rafic Hariri.
Cet attentat survient aussi alors que le président du Conseil est nettement affaibli, puisqu’il a été lâché, il y a trois jours et au profit d’Émile Lahoud, par l’un de ses plus grands alliés (électoraux du moins), Walid Joumblatt – le leader libanais le plus doué pour pressentir et (pré)voir la direction des vents politiques. D’autant plus que pour un ancien ministre, cité par l’AFP sous le couvert de l’anonymat, l’attentat contre FTV est un message direct, mais aussi simplissime : « Tu acceptes ce que l’on te dit, ou alors tu t’en vas. » Une hypothèse bien peu plausible : Damas semble certes en train d’user de ses dernières munitions au Liban, il n’en reste pas moins que sa tutelle, ses ordres, ses choix ont toujours la primauté sur la scène politique locale. Et ses choix restent pour l’instant clairs : Émile Lahoud est l’inamovible porte-voix politique de la Syrie, Rafic Hariri son aspirine économique – tout aussi vitale.
Il n’empêche, une réponse, une explication, idéales, semblaient hier en soirée prendre le pas, du moins officiellement, sur les autres. Grâce aux propos du ministre de l’Intérieur d’abord, puis à la revendication de l’attentat, ensuite. Élias Murr, qui s’est rendu hier, tard dans l’après-midi, sur les lieux de l’attentat, ne s’est pas contenté d’affirmer que des indices « sérieux » étaient déjà en la possession des autorités, ni que « d’heure en heure, les Libanais vont être de plus en plus rassurés de voir que les FSI veillent sur eux ». Pour le ministre de l’Intérieur, dont les relations avec le Premier ministre sont toujours mi-figue, mi-raisin, les dessous semblent évidents : les responsables de l’attentat contre la Future TV sont les mêmes que ceux qui, dans les semaines précédentes, avaient essayé de s’en prendre à la paix civile et à la stabilité libanaises, en dynamitant notamment les McDonald’s ou autres entreprises connotées occidentales. « Je voudrais insister sur le fait, maintenant que la Future TV a été visée, que chaque institution connue pour sa modération risque d’être la cible de ces groupuscules. Et notre devoir, notre but, est d’annihiler ces gens-là », a déclaré Élias Murr.
Justement, et sans vouloir le moins du monde y voir une opportune relation de cause à effet, c’est un groupuscule islamiste inconnu jusque-là, Ansar Allah, qui a revendiqué, quelque temps plus tard, l’attentat. « Grâce à Dieu, un groupe de moujahidine a ouvert le feu sur le local de la télévision al-Moustaqbal de Rafic Hariri, dans un message clair (...) à la direction de la chaîne et ceux qui sont derrière. Notre opération vise à faire comprendre que nous ne permettrons à personne, qu’il soit puissant ou influent, de tirer des flèches empoisonnées dans le cœur de la résistance. Que tout le monde sache que cette opération n’est qu’un premier avertissement précédant d’autres (attentats) qui seront plus durs et plus sévères », menace sans ambages le communiqué publié par ce groupuscule.
Il est vrai que tout en étant particulièrement prompt à jouer les leader maximo de la communauté sunnite, Rafic Hariri a constamment combattu le fondamentalisme et, même s’il n’est pas particulièrement l’homme des Américains, il n’a jamais caché sa volonté d’entretenir, en toute situation, de bons rapports avec la superpuissance occidentale. Quoi qu’il en soit, le Hezbollah, bien avant la revendication, s’était empressé de condamner avec virulence un attentat qualifié de « lâche » et qui vise « l’ensemble des médias libanais, la liberté d’opinion et d’expression, ainsi que la stabilité du pays ». Ce qui, conclut le communiqué, ne peut profiter « qu’à Israël ». Contrairement au Courant patriotique libre (CPL), qui souligne « la célérité » des gens du pouvoir et de bien d’autres, lorsqu’ils sont dans l’embarras, « à lancer des accusations toutes prêtes – et qui mieux qu’Israël et ses prétendus collaborateurs disséminés un peu partout peuvent endosser le rôle d’accusés ? » se demande le communiqué des aounistes. Qui s’étonne, après avoir assuré Rafic Hariri de la solidarité du CPL dans cette épreuve, que cet attentat ait eu lieu dans un quartier particulièrement riche en hôtels, donc surveillé de jour comme de nuit, et qui plus est à l’encontre de locaux eux aussi sous haute surveillance.
Il convient évidemment de signaler que les condamnations ont été unanimes, tant de la part de personnalités qui se sont rendues sur les lieux de l’incident, que de celles qui, n’y ont pas été. À commencer par Rafic Hariri lui-même, qui, après avoir inspecté les dégâts, a déclaré, particulièrement laconique, que « le but de l’attaque est de porter atteinte à la stabilité du Liban ». Le ministre de l’Information, Michel Samaha, également à partir des locaux de la télévision haririenne, a souligné que « la condamnation ne suffit pas » et qu’ « il faut trancher radicalement ». L’ancien chef de l’État, Amine Gemayel, en déplacement en Jordanie, s’est entretenu par téléphone avec le Premier ministre pour l’assurer de sa solidarité et condamner cette atteinte flagrante à la liberté d’expression.
Même condamnation pour le ministre des Finances, Fouad Siniora, pour son collègue à la Culture, Ghazi Aridi – qui a affirmé que les commanditaires de l’attentat « cherchent à torpiller les efforts déployés pour assurer l’harmonie entre les institutions de l’État » –, pour le ministre du Transport, Négib Mikati, le président du CNA, Abdel-Hadi Mahfouz, le mufti de la République, cheikh Mohammed Rachid Kabbani, le vice-président du Conseil supérieur chiite, cheikh Abdel-Amir Kabalan, l’ancien Premier ministre Sélim Hoss, pour les députés Nassib Lahoud, Michel Pharaon, Ali el-Khalil, Émile Lahoud, Mohammed Safadi, Mohammed Kabbara, Maurice Fadel, Jihad Samad, Misbah el-Ahdab, Mohsen Dalloul, Nehmetallah Abi-Nasr, Ahmed Fatfat, et bien d’autres, à commencer par l’ensemble des députés du bloc Hariri. L’un d’eux, interrogé par L’Orient-Le Jour, a d’ailleurs estimé que c’était l’attentat « parfait », affirmant que les coupables « ne seront jamais découverts » et que ce sont de véritables experts.
Quoi qu’il en soit, que cet attentat soit dirigé contre le pays, contre les médias, ou contre Rafic Hariri en personne, il tombe à un moment particulièrement délicat, et le résultat est le même : il ronge de l’intérieur, encore plus profondément, le Liban. Et ouvre la porte à de bien sombres perspectives : est-ce que cet attentat sera, comme le prévoit Ansar Allah, le premier d’une nouvelle série, du genre de celles que les Libanais pensaient ne plus revivre ? Est-ce que les médias, les libertés, la démocratie et les droits de l’homme continueront d’être les boucs émissaires idéaux ? Est-ce que les moukhabarat de tous bords sont-ils sur le point d’assurer la relève ? Est-ce que cet incident ravivera les tensions extrêmes entre les deux pôles de l’Exécutif ? Est-ce que l’on est sur le point d’assister au début de la chute de Rafic Hariri, qui partage autant qu’Émile Lahoud et que Nabih Berry la responsabilité de la déliquescence du pays ?
Ou bien cet incident va-t-il ressouder tout ce beau – mais bien inefficace et bien inutile – landernau politique ? Ne serait-ce que provisoirement... Dans un pays qui a élevé l’absurde et l’ubuesque au rang de constantes nationales, ça serait à peine étonnant. Que l’on en profite, au moins.
Ziyad MAKHOUL
Autant la prohibition par le pouvoir de la MTV de l’ancien député Gabriel Murr était une atteinte patente contre les libertés et la démocratie, autant l’attentat – sans précédent depuis 1990 – perpétré contre la Future TV du Premier ministre Rafic Hariri sonne comme une nouvelle – et très grave – tentative de déstabilisation, tout aussi liberticide, du pays. Un...