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PLANTES DU LIBAN - Série sur les herbes médicinales, aromatiques, ornementales, alimentaires… III - Connues depuis l’Antiquité, évoquées dans la mythologie...(photos)

La flore particulièrement riche du Liban court un double danger : l’extinction due à la disparition des habitats naturels et aux multiples agressions contre la nature, et l’intérêt officiel insuffisant qui fait que jusqu’à présent, les plantes ne sont ni suffisamment étudiées ni correctement répertoriées. L’une des spécialistes qui se penchent depuis longtemps sur ce précieux patrimoine naturel, Nelly Apostolidès Arnold, note aujourd’hui l’urgence de créer des jardins botaniques où les plantes endémiques, ou simplement caractéristiques, seraient cultivées, ainsi qu’une pharmacopée nationale dans laquelle seraient classées les herbes médicinales poussant naturellement au Liban. Des herbes d’autant plus précieuses qu’elles sont souvent citées dans des textes historiques ou mythologiques.
Le Dr Arnold, qui nous fournit les informations dans le cadre de cette rubrique, souvent le fruit de ses propres recherches scientifiques, est professeur et docteur en pharmacie, spécialiste en pharmacognosie (branche de la pharmacie qui étudie les plantes médicinales), en phytochimie des plantes médicinales et en taxonomie (classement des plantes). Elle est chargée d’enseignement à l’Université Saint-Joseph (USJ), à l’Université libanaise (UL) et à l’Université Saint-Esprit de Kaslik (Usek), où elle est également directrice de l’herbier. Elle a à son actif 65 publications dans des revues scientifiques internationales et elle est membre de plusieurs sociétés scientifiques. Elle mène des recherches sur les plantes du Liban depuis 1966.
L’herbier que le Dr Arnold dirige et enrichit continuellement à l’Usek constitue une initiative de classification des plantes. Des spécimens récoltés sur le terrain avec l’aide des étudiants y sont séchés sous pression, montés sur des papiers non acides et placés dans des conditions qui assurent leur durabilité. Des fiches accompagnent ces spécimens, déterminant la famille de la plante, son nom scientifique, son nom vernaculaire en arabe, la localité, la date et l’altitude à laquelle elle a été cueillie, son habitat naturel, sa période de floraison, ses usages, le nom de la personne l’ayant identifiée… Le grand ouvrage de référence en la matière est la Nouvelle flore du Liban et de Syrie du père Paul Mouterde, jésuite, constitué de trois volumes de textes sur les plantes. Cette œuvre devrait être remise à jour, selon le Dr Arnold. Cette série sur les plantes vise à les faire connaître au grand public, dans l’objectif de le sensibiliser à la nécessité de préserver cette richesse nationale. Bien que cette flore soit souvent médicinale, il n’est pas conseillé aux non-initiés de la manipuler, parce qu’elle est plus ou moins toxique à dose non thérapeutique. Après le romarin officinal, la lavande stéchade, l’agneau chaste et le concombre d’âne, dont nous avons énuméré les caractéristiques dans l’article précédent (voir L’Orient-Le Jour du 6 juin), nous abordons aujourd’hui la mercuriale annuelle, l’ephedra et le harmal, mais surtout le myrte, si présent dans la mythologie grecque, étroitement associé à la déesse de l’amour, Aphrodite.
Suzanne BAAKLINI

Coupé par ignorance au pied des arbres
Le myrte commun, plante d’Aphrodite, associé à l’idée du mariage

Le myrte commun ou Myrtus communis L. (de la famille des myrtacées), encore appelé « Hinblass barri » au Liban et « Rihan » en Afrique du Nord, se trouve toujours en abondance au Liban, bien que cette plante aux multiples vertus médicinales soit, par ignorance, souvent coupée pour « nettoyer » le pied des arbres. Elle se trouve surtout dans les terrains boisés et rocheux à la fois, notamment à Yarzé, Ras el-Metn, Nahr el-Kalb, Fanar, Aley, Nahr Ibrahim, etc.
C’est la feuille, le fruit et la tige fleurie du myrte qui renferment les propriétés médicinales. Au cours de ses études, le Pr Arnold a identifié 47 constituants majeurs dans l’huile essentielle. Cette plante est riche en eucalyptol, d’où le fait qu’elle est antimicrobienne, anticatarrhale, et qu’elle est utilisée pour combattre les bronchites, la tuberculose, les affections pulmonaires et les sinusites. Elle est utilisée sous forme d’infusées, ou en inhalation d’huile essentielle. L’infusion de toute la plante est stimulante et antidiarrhéique. Les racines sont astringentes (resserrent les tissus). L’infusion des feuilles et des jeunes tiges est un excellent remède pour l’asthme. Les feuilles sont stomachiques (aident à la digestion), astringentes et antiseptiques pour les voies respiratoires. L’infusion des feuilles est employée en cas de maladies respiratoires, et en cataplasme pour soulager la douleur (appliquée localement, elle agit aussi sur les abcès), ainsi que comme lotion ophtalmique. Les bourgeons floraux séchés servent traditionnellement à traiter la variole. Quant à la décoction des fleurs, elle est réputée pour régulariser la circulation sanguine.
Cette plante remarquable n’a cependant pas que des propriétés médicinales. La décoction des feuilles est employée pour noircir les cheveux. L’essence des feuilles et des fleurs sèches est employée en parfumerie.
Le myrte est un arbuste dont la taille varie entre 50 cm et 2 à 3 m de haut, répandu sur tout le littoral méditerranéen, dans les bois ou sur les coteaux. Au Liban, on le repère dans les terrains plus ou moins boisés, surtout dans les sols non calcaires. Il fleurit de mai jusqu’en octobre. Ses tiges sont recouvertes d’une écorce rousse. Ses feuilles sont persistantes (vertes en hiver), coriaces, ovales. Les fleurs sont blanches et odorantes. Le fruit est ovoïde, charnu et de couleur noir bleuâtre à maturité. Une variété du myrte, préférée pour la consommation, est cultivée dans les jardins.
Une plante aussi belle et réputée que le myrte ne peut qu’avoir une importance historique et même mythologique considérable. C’est à la suite des cultes sémitiques de la nature, perpétués dans le culte d’Aphrodite, que le myrte commun a acquis renommée et considération. Il a rapidement symbolisé la beauté et la jeunesse, avec ses feuilles toujours vertes, ses fleurs élégantes et son parfum agréable. Le myrte a été consacré à Aphrodite qui, selon la légende, y cacha sa nudité en sortant des flots de Paphos (Chypre).
Dés l’Antiquité, le myrte a été utilisé pour décorer les temples et les sanctuaires. Il orne aujourd’hui les tombes musulmanes. Le médecin grec Dioscoride l’utilise pour soigner les maladies respiratoires, les morsures d’araignées et de scorpions venimeux. Il prescrit le jus de baie cuit, mélangé à du vin, contre les inflammations intestinales. Cette recette est encore en usage dans la médecine populaire en cas d’indigestion pour les enfants.
Le myrte est très associé à l’idée du mariage, sous la tutelle d’Aphrodite. Cette association s’est perpétuée jusqu’à nos jours, dans les couronnes de mariées confectionnées avec des rameaux. Athénée fait porter des couronnes semblables aux participants de son banquet, pour combattre l’ivresse.
Une autre particularité du myrte a fait courir à son sujet des légendes : la feuille de cette plante, observée de près à la lumière, apparaît comme percée de nombreux trous d’aiguilles. Ces trous sont en fait des glandes contenant l’huile aromatique du myrte. Mais la légende en a décidé autrement : ces semblants de piqûres ont été attribués à un geste de colère de Phèdre, épouse de Thésée qui, furieuse de voir son amour repoussé par son beau-fils Hyppolite, transperça avec son épingle à cheveux les feuilles d’un myrte à Trézène, dans le sanctuaire d’Aphrodite qui ne lui a pas accordé de pouvoir de séduction sur le jeune homme.

La mercuriale annuelle, injustement traitée
de mauvaise herbe

Une plante très envahissante dans les lieux cultivés, la mercuriale annuelle, ou Mercurialis annua L., de la famille des euphorbiacées, est très commune au Liban, comme en Europe et en Afrique du Nord. La mercuriale fleurit toute l’année, et pousse souvent dans les jardins, les cultures et sur les rochers. Au Liban, on la trouve beaucoup à Beyrouth, Nahr el-Kalb, Saïda, Tripoli, Yarzé, Chemlane, Hazmieh, Baabda, Hasroun, Ehden, etc.
Haute de 20 à 40 cm, la mercuriale, « Annual Mercury » en anglais, bien que souvent considérée comme une mauvaise herbe, a des propriétés laxatives et diurétiques connues depuis l’Antiquité. La plante, dont les parties aériennes sont utilisées, est employée couramment en France, mais toujours méconnue au Liban. Il semble qu’elle n’est utilisable qu’à l’état frais, et il faut se méfier de ses propriétés drastiques (purgatives). La teinture (extrait alcoolique) de la plante est indiquée pour les rhumatismes et les troubles gastriques.
La mercuriale est pourvue de feuilles oblongues et dentées. Ses fleurs mâles sont réunies en longs épis, alors que les femelles se trouvent solitaires ou par groupes de deux. Le fruit est une capsule à deux, plus rarement à trois coques.

Le Harmal, ou rue sauvage

Une des régions les plus éloignées et les plus riches en ressources naturelles du Liban, le Hermel, a donné son nom à une plante qui lui est caractéristique, bien qu’on la trouve également dans les steppes et villes syriennes de Palmyre et de Homs. Le Peganum harmala L., ou rue sauvage, vit dans les milieux de steppes, souvent menacés par l’expansion agricole. Le nom de Peganum provient de l’appellation grecque de la plante, pêganon. On la désigne également en arabe par « Ghalqah el-Dhi’b ». Elle appartient à la famille des zygophyllacées.
Cette plante herbacée et vivace, de 5 à 100 cm de haut, possède des feuilles profondément divisées, et des fleurs solitaires, blanches et veinées de vert. Au Liban, elle pousse à l’état sauvage dans les terrains vagues, et fleurit d’avril jusqu’en juin.
Comme on peut le deviner, cette herbe aromatique est bien connue des Bédouins qui utilisent ses graines pour soigner le diabète et l’hypertension. Le Harmal est pourtant toxique vu qu’il contient des alcaloïdes pouvant causer un effet hallucinogène, d’où le fait qu’il était traditionnellement employé dans la magie. Les parties utilisées de la plante sont les graines, les feuilles et les fleurs (pour des usages respectifs différents). Le Peganum harmala est employé pour les soins capillaires, pour les troubles intestinaux, pour augmenter le flux menstruel et pour les troubles nerveux (certains de ses composants sont connus comme stimulants du système nerveux central). Il est également antirhumatismal, vermifuge, antispasmodique, antimicrobien (notamment l’huile essentielle des feuilles et des fleurs), hypotenseur et analgésique.

L’éphédra, accrochée aux murs de Byblos

Ceux qui connaissent bien Byblos doivent avoir remarqué ces plantes aux longues tiges vertes, qui pendent parfois des murs antiques de la vieille ville. L’Ephedra campylopoda C.A.M., ou « al-moutdalli al-Souk » en arabe, évolue surtout sur les rochers. Ce sont ses parties aériennes qui contiennent toutes les propriétés utilisées dans la médecine traditionnelle.
Cette plante contient de l’éphédrine et de la pseudo-éphédrine, qui lui confèrent la capacité de contracter les vaisseaux (d’où le fait qu’elle est utilisée en laryngologie). Elle est également fébrifuge et antispasmodique. Les éphédras sont actuellement très étudiées au Japon. Outre les alcaloïdes, plusieurs principes actifs y ont été identifiés, avec des propriétés d’hypotenseurs, d’antiasthmatiques et d’anti-inflammatoires. Il s’est avéré que l’extrait aqueux d’une espèce trouvée sur les côtes méditerranéennes et atlantiques provoque une hyperglycémie transitoire, suivie d’une hypoglycémie prolongée chez la souris. Comme plante médicinale, elle est administrée en infusion ou en inhalation. Elle est également utilisée en teinture et en extrait.
L’ Ephedra campylopoda est une sous-espèce de l’Ephedra fragilis Desf. (ou fragile uvette), qui se vit attribuer par Dioscoride (médecin grec) les mêmes propriétés expectorantes que celles des remèdes actuels à base d’éphédrine. Les effets spécifiques de l’éphédrine étaient déjà connus des Chinois il y a cinq mille ans.
La flore particulièrement riche du Liban court un double danger : l’extinction due à la disparition des habitats naturels et aux multiples agressions contre la nature, et l’intérêt officiel insuffisant qui fait que jusqu’à présent, les plantes ne sont ni suffisamment étudiées ni correctement répertoriées. L’une des spécialistes qui se penchent depuis longtemps sur ce...