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Interview - Le secrétaire général de l’OIF répond aux questions de « L’Orient-Le Jour » Diouf : La liberté d’un peuple passe par la libération de son territoire

Abdou Diouf. Il est, sinon le fils, du moins le filleul spirituel de celui qui a été l’une des plus nobles et plus imposantes figures politiques et intellectuelles d’un double monde, africain et francophone, Léopold Sedar Senghor. Il lui a même succédé, pendant dix-sept ans et trois mandats, à la tête du Sénégal. Il est aujourd’hui, et depuis presque exactement cinq mois, le nouveau patron de la planète francophone, où il a succédé à Boutros Boutros-Ghali à la tête du secrétariat général de l’Organisation internationale de la francophonie. Et à l’occasion de sa visite officielle de trois jours au Liban – au cours de laquelle il a signé un accord sur l’ouverture, à Beyrouth, d’un bureau régional de l’Agence universitaire de la francophonie –, il a répondu aux questions de L’Orient-Le Jour.
Abdou Diouf ne s’est pas seulement contenté, au cours de ses trois mandats de chef d’État sénégalais, d’assurer la stabilité politique de son pays. Il s’est notoirement impliqué à l’extérieur dans de nombreuses médiations, surtout lorsqu’il a été président de l’Organisation de l’unité africaine ou celui de l’Organisation de la conférence islamique. Impossible donc de ne pas commencer par lui demander si le virage – tant attendu – amorcé par la francophonie au cours du IXe sommet de Beyrouth lui convient, et s’il entend creuser, encore plus loin, dans la politisation de l’institution francophone. Sa réponse fuse : « Les chefs d’État ont très bien fait de renforcer le rôle politique de la francophonie à Beyrouth. » Sauf que, s’empresse-t-il d’ajouter, cela ne signifie pas qu’il faille abandonner tous les autres chantiers auxquels elle tient : la coopération, la promotion de la langue, l’éducation et, surtout, la diversité culturelle et linguistique.
« Ce tournant est une très bonne chose, et depuis le 2 janvier, je suis sur tous les fronts, y compris le politique », souligne Abdou Diouf. Cela implique autant les médiations (en Côte d’Ivoire, en RDCongo, en Centrafrique, « et partout où se joue le destin politique de la francophonie »), les accompagnements de processus démocratiques, la défense des droits de l’homme (la conférence de Brazzaville, en avril, était destinée à la mise en réseau des structures en matière de droits de l’homme), que le combat de tous les jours pour que règne, aux quatre coins de la francophonie, la bonne gouvernance et que prédomine l’État de droit. « À Beyrouth, les chefs d’État ont affirmé que dans tout conflit, il fallait privilégier les voies pacifiques ainsi que la légalité internationale », ajoute-t-il. Et cette volonté qu’il partage n’est pas faite pour déplaire au Liban, dont le credo a été, est et restera la nécessaire application des résolutions onusiennes. Les projets dans le futur proche du nouveau secrétaire général de l’OIF découlent ainsi tous, ou presque, des résolutions de Beyrouth.
Il n’empêche, son cheval de bataille à lui, son leitmotiv, son obsession presque, reste la défense de la diversité culturelle. Quel est son plan, celui de la planète francophone, face aux velléités hégémoniques des USA – qui comptent intégrer bientôt l’Unesco –, notamment en matière de biens culturels ? « Nous avons créé un groupe de travail interne pour définir les moyens à mettre en œuvre pour aboutir à l’adoption d’une convention internationale, universelle, sur la diversité culturelle », explique-t-il. Laquelle convention devrait être adoptée par l’Unesco à l’horizon 2005. Et Abdou Diouf ne compte pas mener le combat tout seul : à lui de se battre, et il l’entend bien, pour rallier à sa cause des aires linguistico-culturelles aussi variées que la lusophone, l’hispanophone ou l’arabe. Ces trois aires-là étaient d’ailleurs toutes représentées lors du colloque de Mexico qui s’est tenu récemment. « Notre engagement en ce sens est très fort », martèle-t-il. Et à l’Unesco, il escompte un puissant lobby, grâce à la solidarité de ces trois groupes, ainsi que l’appui de certains États européens et de quelques États anglophones du tiers-monde.
Le but est atteint : le Conseil exécutif de l’Unesco a inscrit ce sujet à l’ordre du jour de sa prochaine conférence générale, prévue en septembre-octobre 2003. « Mais ce n’est pas tout. Il faut une majorité pour que l’Unesco nous autorise à préparer la convention. Il faut plusieurs expertises, très développées, et à tous les niveaux. Il est d’ailleurs évident que l’expertise francophone sera, comme les autres, très importante. Nous espérons que cette convention sera adoptée en 2005 », répète-t-il. Et si les États-Unis s’opposent à vous ? « Eh bien, nous dialoguerons, nous négocierons. Le dialogue est une de nos armes préférées. Il faudra convaincre ». Que cette convention sur la diversité culturelle est « de l’intérêt de tous » ; que les richesses culturelles de toutes les nations, ainsi que les identités plurielles – « qui doivent, plutôt que de s’opposer, se rencontrer, échanger... » –, conduiront à une mondialisation à visage humain, « à un équilibre, une harmonie ». Inchallah, comme on dit, là-bas comme ici.
« Sauf qu’il est vrai que derrière tout cela, il n’y a pas uniquement les intérêts identitaires. Il y a les intérêts culturels. Et 20 % des exportations US concernent les biens culturels. Il faut arriver à ce que ceux-ci ne soient pas traités comme les autres marchandises, qu’ils bénéficient d’un statut spécifique. C’est l’âme de chaque peuple, et c’est le combat que nous voulons mener pour que la convention de l’Unesco voie le jour avant la fin des négociations de l’Organisation mondiale du commerce », insiste Abdou Diouf. Il est vrai que si cela se fait après, les carottes risqueraient d’être fort cuites... Ce sujet semble donc extrêmement politique ? « Il l’est. Et l’équilibre du monde en dépend ».
Interrogé sur la situation proche-orientale, sur le dossier israélo-palestinien comme sur le conflit israélo-arabe, sur la « feuille de route » parrainée par George W. Bush, comme sur l’autre – celle concernant le Liban et la Syrie –, chère en ce moment à Jacques Chirac, Abdou Diouf estime que les deux positions sont complémentaires. « Il faut que l’on ait deux États, que l’État palestinien soit viable, que les frontières soient sûres et garanties, mais il faut aussi que le Liban et la Syrie soient libres de toute occupation étrangère. »
Justement, la quasi-totalité des Libanais francophones critiquent les ingérences syriennes au Liban, et ils estiment que tout cela va à l’encontre des principes que défend la francophonie. « Je ne veux pas m’ingérer dans les affaires intérieures du Liban, ni dans la coopération privilégiée entre le Liban et la Syrie. Mais je pense que la liberté d’un peuple passe par la libération de son territoire, et cela est valable pour tout le monde ». Et l’Irak ? « L’Irak n’appartient pas au monde francophone, mais nous nous sommes exprimés sur la nécessité de reconstruire, de stabiliser, de réussir la transition, de permettre aux Irakiens de se prononcer librement sur les hommes qui doivent les gouverner. Et puis ce sont les États membres de la francophonie proches de l’Irak qui pourront aider. Sept pays de l’OIF sont membres de la Ligue arabe », rappelle-t-il.
Dernière question : est-ce que les rapports entre l’OIF et la France vont évoluer ? Est-ce que vous souhaitez qu’ils évoluent ? Est-ce qu’il ne faudrait pas que la France, et accessoirement les pays riches de la francophonie, fassent des concessions ? « Les rapports sont très bons, très sains, et il n’y a aucun problème. L’OIF est formée d’États souverains et égaux, et je n’ai jamais subi la moindre pression, ni de la France, ni d’un pays du Nord, ni d’un pays du Sud ».
Pourvu que ça dure, alors.
Ziyad MAKHOUL
Abdou Diouf. Il est, sinon le fils, du moins le filleul spirituel de celui qui a été l’une des plus nobles et plus imposantes figures politiques et intellectuelles d’un double monde, africain et francophone, Léopold Sedar Senghor. Il lui a même succédé, pendant dix-sept ans et trois mandats, à la tête du Sénégal. Il est aujourd’hui, et depuis presque exactement cinq...