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Société - Ils sont tout petits mais pensent déjà si grand Les enfants surdoués n’ont pas droit de cité au Liban(photos)

Ce sont encore des petits bouts de chou au physique angélique mais qui paraissent tellement plus « mûrs » dès qu’ils ouvrent la bouche ou révèlent leurs dons. « Eugénie a 4 ans. Fermez les yeux et écoutez-la, vous avez l’impression d’être en face d’une enfant de 10 ans. » Ces paroles sont celles d’une éducatrice spécialisée qui nous décrypte les signes précurseurs de ce qu’on appelle communément un enfant surdoué. Talentueux dans plus d’un domaine, le surdoué éblouit son entourage et suscite l’étonnement des petits et grands. Sa capacité intellectuelle et ses performances lui confèrent souvent une place parmi les adultes avec lesquels il préfère souvent discuter. Le surdoué n’en reste pas moins un enfant vulnérable qui requiert autant d’attention que les autres, sinon plus. Au Liban, ils sont probablement nombreux, mais on ne les connaît pas assez. Si la moyenne des surdoués dans le monde est d’environ 1 % par pays, comme l’affirment certains experts, on devrait avoir chez nous au moins 3 000 enfants dotés d’une intelligence supérieure. Pourtant, aucune structure n’a jamais été mise en place au Liban pour reconnaître et encadrer ceux qui pourraient à l’avenir enrichir le réservoir humain de la nation. Même si les médias dévoilent de temps à autre le visage et le nom d’un major de promotion, d’un grand pianiste, ou d’un illustre écrivain qui ont réussi leurs parcours souvent grâce à des bourses octroyées par les ambassades étrangères, l’État n’a jamais pris la peine d’encourager ces perles rares qu’on appelle surdoués. Qui sont-ils ? Comment les repérer au sein de la population et que peut-on faire pour eux ? Deux experts – Viviane Touma, psychologue clinicienne, et Nicole Abou Haïdar, éducatrice spécialisée et consultante – ont répondu à nos multiples questions. Mais d’abord comment reconnaître un enfant surdoué ? Pour Viviane Touma, il est très important d’établir une distinction entre un enfant dit surdoué, un enfant précoce et un enfant prodige ou un génie. Selon la thérapeute, l’enfant précoce ne possède pas au départ des capacités intellectuelles exceptionnelles. Il s’agit plutôt d’un enfant qui a commencé son développement très tôt et qui a bénéficié de certains acquis, du fait du milieu culturel, familial et relationnel et suite à une décision volontaire des parents. « C’est le cas par exemple des célébrités qui, dès leur plus jeune âge, sont propulsées sur le devant de la scène. À l’âge de l’adolescence, ils commencent à régresser psychiquement, puis intellectuellement pour avoir brûlé les étapes et sacrifié leur première enfance », explique Mme Touma, en citant au passage Mickael Jackson et les multiples problèmes psychologiques dont il a eu à pâtir. Sur ce point, les spécialistes sont unanimes : tout enfant dont l’intelligence se situe autour de la moyenne ne peut et ne doit en aucun cas subir un « gavage intellectuel » qui en ferait – pendant une période de sa vie – un enfant précoce. Car, souligne la psychologue Arielle Adda dans un ouvrage spécialisé intitulé Le livre de l’enfant doué, la précocité a « un effet insidieusement pervers », à savoir que l’enfant précoce se retrouve au bout de quelques années « parmi les élèves moyens, avant de finir en queue de classe, puisque, son seuil de maturité atteint, il va stagner, piétiner, plafonner et finalement reculer, tandis que ses camarades pourront poursuivre leur progression modeste mais régulière ». Bref, dit-elle, il rentrera très vite dans le rang. Les tests révélateurs La situation est tout à fait différente pour l’enfant surdoué qui se fait remarquer dès le départ par ses capacités hors du commun, des « dons » ou « talents » qui le place nettement au-dessus de la moyenne des petits du même âge. Contrairement à l’enfant précoce, qui se fatigue très tôt en cours de route, l’enfant surdoué a faim et soif de nourritures intellectuelles. Il est demandeur de stimuli, et cela tout au long de son développement. Il faut donc l’assouvir à tout prix, d’où le besoin d’une éducation spécialisée et adaptée. Il s’agit de lui créer les conditions favorables à son épanouissement intellectuel aussi bien que psychologique, ce que beaucoup de pays ont pris soin de faire depuis bien longtemps, tels que la Russie, la France, Israël, les États-Unis et plus récemment la Jordanie qui vient d’adapter sa législation en fonction de ces critères. Nicole Abou Haïdar estime d’ailleurs qu’un enfant doué, dont on n’a pas pris soin très tôt, risque de perdre son potentiel en cours de route. « Ce qui était au départ un atout peut devenir un facteur négatif, voir handicapant », précise l’éducatrice. Encore faut-il diagnostiquer s’il s’agit véritablement d’un surdoué, car, dit-elle, les labels sont souvent galvaudés à toutes les sauces. Pour les experts, il existe des tests spécialisés et de plus en plus sophistiqués qui, jumelés à un diagnostic du comportement, permettent au psychologue de se faire une idée précise sur les capacités de l’enfant. Sur ce point, il faut toutefois relever que les psychologues sont dans l’ensemble de moins en moins favorables aux fameux tests dits de quotient intellectuel (QI) qui, disent-ils, peuvent fausser le résultat dans la mesure où ils ne prennent pas en compte l’état psychologique de l’enfant ou sa capacité à rédiger rapidement les réponses. Des tests plus sophistiqués sont venus les remplacer. Viviane Touma utilise pour sa part les tests psychométriques pour mesurer le potentiel de l’enfant, se fondant par ailleurs sur une série d’entretiens personnels et d’observations minutieuses. « C’est un tout qui va permettre de cerner le profil de l’enfant doué et le bilan se fait en plusieurs séances », dit-elle. Nicole Abou Haïdar abonde dans le même sens en affirmant que le test de QI peut certes apporter une indication, mais il n’est pas extrêmement important et ne saurait se substituer à l’observation et à l’entretien qui sont plus déterminants. Profil du surdoué Doués d’une curiosité insatiable, portant un grand intérêt aux problèmes métaphysiques – des préoccupations qui sont généralement propres aux adolescents – les enfants surdoués ont une vivacité d’esprit particulière et une capacité à résoudre rapidement et d’une manière diversifiée les problèmes auxquels il faudrait ajouter un sens éblouissant de la répartie et une mémoire phénoménale. Ils font souvent preuve de persévérance et de ténacité dans l’accomplissement des tâches. Ce sont quelques-unes de leurs caractéristiques majeures telles qu’énoncées par Mme Touma. « On dirait que l’enfant surdoué cherche à aller au-delà de ce qui est accessible, précise la psychologue. Car, ce qui est devant lui est tellement évident qu’il a envie de chercher encore plus loin. » On l’affirme et on le répète souvent : l’enfant surdoué s’ennuie en classe car il capte tout rapidement. Les questions qu’on lui pose lui paraissent tellement évidentes qu’il trouve que c’est idiot. Ce qu’il apprend lui semble tellement primaire qu’il aura toujours besoin de ce « plus » que seules les écoles spécialisées peuvent lui procurer. En général, les surdoués sont doués pour tout, alors que les génies, virtuoses ou prodiges, excellent dans un domaine bien précis, bien délimité. « Chercheurs, savants, mais aussi peintres dramaturges et philosophes forment une cohorte sublime (de génies) appliquée au bien de l’humanité », écrit Arielle Adda, en précisant que « leur génie » reste toutefois confiné à un aspect unique. Le surdoué, lui, ne se contente pas d’un seul talent, mais les accumulent à vue d’œil. Il est doté d’une intelligence multiple. L’intelligence émotive Reprenant la classification de Gardner Howard, Viviane Touma relève l’existence de 7 différents types d’intelligence – musicale, kinesthésique, logico-mathématiques, langagière, spatiale, interpersonnelle (l’intuition) et intrapersonnelle (la connaissance de soi). Johann Debeer, un éducateur américain qui a fondé une école spécialisée pour surdoués, a repéré pour sa part 19 zones d’intelligence que l’on peut évaluer chez l’enfant à l’aide d’un test qu’il a lui-même élaboré. Dans le cas des enfants talentueux, ce sont pratiquement toutes ces zones qui seraient particulièrement développées. Toutefois, font remarquer les psychologues et les éducateurs, il faut faire attention à « l’intelligence émotive » qui est particulièrement développée chez l’enfant surdoué, ce dernier étant doté d’une sensibilité égale à ses capacités intellectuelles. Ainsi, dit Mme Adda, leur « regard aiguisé va percevoir ce que les autres enfants n’auront pas entrevu ». Une sensibilité qui doit être d’autant plus ménagée qu’ils ont cette maturité trompeuse que l’on confond souvent avec leur développement psychologique. Mme Touma met en garde contre les problèmes d’adaptation et d’insertion scolaire et familiale de l’enfant surdoué. Tout est si évident pour lui qu’il lésine parfois à faire des efforts. C’est dans ce sens qu’il peut être un écolier médiocre, d’autant qu’il « n’est pas sur la même longueur d’ondes que les autres. Il finit par être souvent dispensé de certaines matières et bénéficie d’un traitement spécial », relève la thérapeute. Ce sont des enfants qui, le plus souvent, « n’ont jamais appris à apprendre », selon la formule de Nicole Abou Haïdar. Quoi qu’il en soit, c’est cette « différence » marquée qui finit pas les éloigner du reste de leurs camarades qui les jugent parfois « bizarres » lorsqu’ils ne les jalousent pas. L’enfant surdoué se sent souvent marginalisé, incompris. Quant aux adultes qui l’entourent, « ils sont dans l’ensemble admiratifs. Il y a une fascination et l’envie d’être comme lui par le fait même qu’ils se sentent dépassés par cet être d’exception », explique Mme Touma. Autant de facteurs de déstabilisation qui peuvent entraîner chez lui un retard au plan de la maturité affective. Ils sont aimés ou rejetés mais, en général, les enfants surdoués n’ont pas de satisfaction affective, à moins d’une attention toute particulière que peuvent leur prodiguer les parents. Bref, conclut Nicole Abou Haïdar, l’important est de ne jamais oublier que l’épanouissement de ces êtres fragiles dépend largement de leur stabilité émotive, car c’est elle « qui permettra d’établir un pont entre leur intelligence et leur réussite à l’avenir ». Jeanine JALKH À 10 ans, Georges rêve déjà de la présidence de la République Il est non seulement doué à l’école, mais à 10 ans c’est déjà un leader et un meneur de foules. En classe, Georges s’est imposé par ses notes mais également par son caractère et son penchant pour la politique qu’il cultive à toutes les occasions. À l’école, il a créé une ONG, c‘est-à-dire l’« Organisation nationale des garçons ». Objectif : lutter contre le clan des filles mené par une certaine Chloé, une rivale redoutable. Organisant une manifestation après l’autre, se rebiffant « contre l’injustice des filles », comme il dit, il a fini par obtenir gain de cause. « Chloé s’est calmée maintenant. Et nous avons réussi à reconquérir nos droits », affirme le petit Georges, grand comme trois pommes et demi. Arborant de grosses lunettes, Georges se plaît surtout à parler de politique. Il a un avis sur tout ce qui se passe dans le monde et suit au jour le jour les nouvelles. « Au départ, j’étais contre la guerre de l’Irak. Les Américains auraient dû établir un plan pour destituer Saddam au lieu de lui faire la guerre. Ils auraient pu éviter aux Irakiens toute cette souffrance. » Georges n’en est pas moins sensible au pillage du musée irakien. « C’est, dit-il, un véritable crime contre l’histoire. » Sur la politique libanaise, il est tout aussi « connaisseur ». Commentant la mise en place du nouveau gouvernement, il estime que le changement a eu lieu « rien que pour bisquer ce pauvre peuple, qui n’était pas d’accord avec l’ancien gouvernement ». Il considère d’ailleurs que Rafic Hariri est une « catastrophe pour le pays » et que Ghazi Aridi « ressemble à Sahhaf ». « Il parle beaucoup et ne fait rien », s’offusque le jeune garçon. Certes, la vérité sort de la bouche des enfants, mais celle qu’exprime Georges est autrement mature. Ce petit bout rêve d’ailleurs de faire des études de médecine (comme son père) et de devenir président de la République ! À la question de savoir s’il est capable de cumuler les deux titres, il répond sur un ton on ne peut plus sérieux : « C’est comme Bachar el-Assad. Il est médecin et en même temps chef de l’État. » Kim fait des expériences chimiques et parle couramment le sri lankais Kim a 10 ans. Dès son plus jeune âge, il a fait preuve d’une « maturité » exceptionnelle, et ses performances sont patentes dans les domaines intellectuel aussi bien qu’artistique. « À l’école, il est toujours parmi les premiers. D’ailleurs, il excelle dans toutes les activités qu’il entreprend », confie sa mère, qui raconte que son enfant s’est distingué aussi bien en ballet classique, qu’il pratique depuis plusieurs années, qu’en art dramatique, ou en cours de guitare. « Son professeur de musique nous a affirmé qu’il est déjà passé en troisième année de cours, alors qu’il ne joue de cet instrument que depuis huit mois seulement », précise sa mère qui avoue avoir également reçu des compliments de son professeur de théâtre. Lors de l’entretien, Kim nous est apparu un peu timide mais assez sûr de lui-même pour mener une conversation à bâtons rompus, à la manière d’un adulte. Il nous raconte comment il a appris, grâce à l’employée de maison, le sri lankais qu’il pratique aujourd’hui couramment. Un atout qu’il a vite entrepris de fructifier puisqu’il s’est déjà fait des amis au Sri Lanka, avec lesquels il correspond régulièrement par écrit ! Il dit aimer particulièrement les expériences chimiques qu’il s’amuse à entreprendre dans sa chambre de petit gamin en invitant souvent les plus grands à venir le rejoindre. Kim a également un penchant pour la poésie. Depuis quelque temps, il esquisse – dans un français parfait – les poèmes les plus touchants qu’il dédie à son père. Bref, sa manière à lui de solliciter, intelligemment et artistiquement, sa dose d’affection. De la nécessité d’un système pédagogique adapté Un enfant surdoué a par définition besoin d’une « plus-value » pédagogique. Ces génies en puissance doivent être encadrés dès leur plus jeune âge par un système d’éducation adapté qui leur offre les ressources intellectuelles et les stimulations nécessaires, préconise Nicole Abou Haïdar, éducatrice spécialisée, qui a occupé le poste de proviseur général dans des collèges pour enfants surdoués à Washington et à New York. Ce sont des institutions où les enseignants aussi bien que les administrateurs sont entraînés à accepter et à développer cette « différence » qui distingue l’enfant surdoué des autres. De telles institutions identifient les capacités particulières de chaque enfant en leur appliquant, au cas par cas, des « curriculums différenciés ». Si l’enfant est particulièrement doué en mathématiques et en linguistique par exemple, on insistera sur ces matières, et les programmes seront harmonisés en fonction de ces critères. « Ce qu’il faut savoir, c’est qu’une classe d’enfants surdoués est aussi hétérogène qu’une classe d’élèves réguliers, indique Mme Abou Haïdar. Par conséquent, il faut leur proposer un programme tout aussi diversifié et s’intéresser individuellement à chacun d’entre eux tout en gardant les élèves dans une même classe. » En somme, ce sont des établissements qui emploient des professionnels rôdés à traiter avec ces enfants et à subvenir à leurs besoins intellectuels aussi bien que psychologiques. Un jeune crack en philo Ziad el-Hajj a aujourd’hui 21 ans. À 18 ans, il a obtenu une mention Très bien au bac français pour avoir notamment décroché une note de 20/20 sur sa copie de philo rédigée avec brio. Une première au Liban. La question de cette épreuve était : « La philosophie change-t-elle le monde ? » Après une thèse et une antithèse solidement argumentées, Ziad conclut dans sa copie que la philosophie ne saurait modifier le monde, encore moins l’embellir « parce qu’elle n’aborde pas certains problèmes vitaux de manière pertinente, plus particulièrement l’art et les émotions ». Ziad avait repris dans son développement Nietzsche, citant au passage de grands auteurs de la littérature et du cinéma. C’est ce mélange de culture, de raisonnement logique et d’audace qui lui ont probablement valu cette note extraordinaire. Ziad, notre collègue à L’Orient-Le Jour, poursuit tout aussi brillamment ses études universitaires en informatique. Il a d’ailleurs toujours été parmi les premiers de sa classe. Doué pour les études, plus particulièrement pour la philosophie, il avoue n’avoir pas d’autres dons, sauf peut-être un penchant pour la musique. « J’aime beaucoup le piano. J’ai d’ailleurs joué de cet instrument pendant un certain temps. Mais je n’ai pas poursuivi », reconnaît Ziad qui toutefois ne se considère pas comme étant un enfant surdoué. Modestie ou intuition ? Difficile de savoir à ce stade. Ce qui est certain, c’est que le 20/20 en philosophie restera pendant longtemps encore dans les annales des correcteurs.
Ce sont encore des petits bouts de chou au physique angélique mais qui paraissent tellement plus « mûrs » dès qu’ils ouvrent la bouche ou révèlent leurs dons. « Eugénie a 4 ans. Fermez les yeux et écoutez-la, vous avez l’impression d’être en face d’une enfant de 10 ans. » Ces paroles sont celles d’une éducatrice spécialisée qui nous décrypte les signes...