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Enquête - Les Libanais unanimes : « Non » aux bombardements des civils Dans les restaurants, on refait le monde arabe autour d’un café

«Il y a les chrétiens fanatiques, les modérés ou ceux qui suivent le Vatican, les arabisants et enfin les indifférents. » Voilà, en gros, le type de classification socioreligieuse qu’a pu sécréter au Liban la guerre irakienne. Du moins c’est l’opinion qu’en a Roland Khoury, le gérant du Chase, qui a analysé toute la gamme d’attitudes affichées par ses clients. Sur la terrasse de son restaurant – depuis la fin des intempéries – ou à l’intérieur, devant les écrans de télévision qui distillent les images de la guerre, les jeunes et les moins jeunes viennent pratiquement tous les jours discuter des enjeux de ce conflit. « Mais quelles que soient les affinités des uns et des autres, il y a une attitude qui unit tous les Libanais entre eux, celle d’une opposition farouche à une guerre meurtrière dont la population civile en fera les frais », dit-il. Mais par-delà cette frontière humanitaire, les avis divergent. « Les chrétiens fanatiques », comme il les appelle, « tout en se méfiant des intentions de l’Administration US », soutiennent la cause américaine croyant qu’une victoire de Saddam Hussein signifierait un triomphe conséquent des dictatures dans la région, poursuit le gérant. Les modérés, eux, ont une position claire : ils s’alignent sur la position du Vatican, qui illustre le camp de la paix. Quant aux arabisants, « ils ont une position ambiguë, dans la mesure où la majorité d’entre eux est avec le peuple irakien, contre Saddam Hussein, sans jamais avoir proposé une solution de rechange ». Relevant que l’enthousiasme des Libanais a quelque peu baissé ces derniers jours – « malheureusement c’est un peu comme au football. On les voit accourir au match d’ouverture et à la finale » –, Roland Khoury précise qu’en ce moment, les clients parlent moins de la guerre. Ils ont le regard moins rivé sur les écrans de télé. Ce n’est pas l’avis de Simon, physiothérapeute à Achrafieh, qui suit assidûment les nouvelles, même lorsqu’il est à son cabinet, sans pour autant sans lasser. Lui, fait partie de ceux qui craignent pour l’avenir du Liban. En tant que chrétien libanais, il voudrait bien croire à une victoire américaine, mais n’ose même pas y penser, « pour avoir été tant de fois trahi par ces derniers ». « Mais on ne sait jamais », dit-il. « Colin Powell (le secrétaire d’État américain) n’avait-il pas affirmé devant le Congrès américain, il y a deux semaines, que la Syrie devait achever son retrait du Liban », rappelle Simon, dont le seul espoir est de voir se rétablir au Liban les institutions chancelantes et s’établir l’État de droit qu’il n’a jamais connu de sa vie. Changement de décor mais pas de discours À l’Amaretti, un autre café-restaurant, les discussions sur la guerre sont devenues pain quotidien. Employés, administrateurs, propriétaires, clients, tout le monde se sent concerné. « Ils se réunissent tous les mercredis matin. Je leur prépare toujours la table à l’avance. » Surnommé par les serveurs « conseil de guerre », notamment depuis le déclenchement des hostilités en Irak, le « groupe du mercredi » est constitué d’anciens généraux et experts de l’armée libanaise dont la plupart sont aujourd’hui à la retraite. Tarek, 23 ans, les apprécie d’autant plus qu’il a cette soif d’apprendre qui s’est aiguisée avec l’attaque contre Saddam Hussein. Serveur à l’Amaretti, il s’occupe de ces gentlemen venus refaire la carte du Proche-Orient autour d’un croissant et d’un café amer. « J’adore les écouter. Je sais qu’ils sont opposés à cette guerre. De cette manière j’arrive à me former une opinion personnelle sur la situation », souligne Tarek, qui, de service en service, est devenu pratiquement un apprenti en matière de stratégie militaire. Même s’il est foncièrement libéral et qu’il estime que Saddam Hussein est un assassin, il n’en pense pas moins que les Américains sont dans l’erreur absolue, et que les bombardements des civils auraient pu être évités par « d’autres moyens », dit-il, par le biais de l’Onu, par exemple, qui reste à ses yeux la référence légale. Beaucoup plus engagé, Zaher, son collègue, ne rate pas une seule information de la journée. Sur l’écran géant qui occupe l’étage supérieur du restaurant, il suit du coin de l’œil les nouvelles de la « résistance » des troupes irakiennes pour lesquelles il ressent une compassion toute particulière. « C’est une guerre contre les Arabes. Les Américains veulent indiscutablement contrôler les richesses de la région et assurer la sécurité d’Israël. il n’y a pas à redire », s’exclame le jeune serveur. Originaire de Marjeyoun, Zaher, qui a aujourd’hui 27 ans, est marqué par l’occupation israélienne. Il en garde un souvenir amer et se dit prêt à s’enrôler en Irak si la situation « venait à s’empirer ». « Toute personne qui voit les scènes d’enfants massacrés en Irak ne peut rester indifférente », dit-il en exprimant son admiration pour le groupe de Libanais partis il y a deux jours pour combattre contre « l’adversaire américain ». Ennemi pour les uns, libérateur pour les autres. Hoda donne le ton. « Je suis avec les Américains parce que j’aime la liberté. Après tout, ils l’ont prouvé au Japon aussi bien qu’en Allemagne », dit-elle en allusion à la Seconde Guerre mondiale. « Mais de là à ce que l’armée US fasse de l’Irak un martyr, non je ne l’admettrais pas », poursuit cette dame, autrement engagée, qui ne croit pas par ailleurs qu’il faut victimiser à ce point les Irakiens, tout au moins leurs militaires. « N’oublions pas que ce sont des jeunes soldats de 20 ans, encore fragiles et inexpérimentés, qui font face à la plus forte armée arabe, constituée d’hommes qui ont 40 ans, de vrais “abadays”. » Si elle ne craint pas des répercussions négatives au Liban, elle s’inquiète en outre pour la région, notamment pour la Palestine qui risque selon elle de faire les frais d’une politique américaine « intéressée », profitant uniquement à Israël. Joseph, la soixantaine, se révolte quant à lui des discours du président américain George W. Bush qui, dit-il, ne sont pas du tout convaincants. « Il veut nous faire croire qu’il est amoureux du peuple irakien. Le problème c’est que ça ne marche pas. » Mais ce qui touche véritablement Joseph, c’est, une fois de plus, la souffrance de la population civile. « Nous compatissons d’autant plus, que nous sommes passés par là. Nous savons ce que c’est », murmure le sexagénaire. Jeanine JALKH
«Il y a les chrétiens fanatiques, les modérés ou ceux qui suivent le Vatican, les arabisants et enfin les indifférents. » Voilà, en gros, le type de classification socioreligieuse qu’a pu sécréter au Liban la guerre irakienne. Du moins c’est l’opinion qu’en a Roland Khoury, le gérant du Chase, qui a analysé toute la gamme d’attitudes affichées par ses clients. Sur...