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Rencontre - L’un des noms les plus prestigieux de la chirurgie cardiaque en visite au Liban Le Pr Alain Carpentier : Les nouvelles valves biologiques, une grande révolution(photo)

Chef du service de chirurgie cardiaque et vasculaire à l’hôpital Georges Pompidou, professeur à la New York University d’Oregon et conseiller scientifique du centre de recherches Baxter-Edwards aux États-Unis, le Pr Alain Carpentier est, comme chacun le sait, à l’origine de plusieurs nouvelles techniques dans la chirurgie cardiaque (réparation des valves cardiaques, cardiomyoplastie). Pédagogue averti, il a formé plus de 10 000 chirurgiens dans le monde. Grand ami du Liban, il a apporté une aide précieuse à certaines régions du pays (particulièrement Jezzine) durant les heures noires de la guerre. Comme il a encouragé et soutenu la création du département de chirurgie cardiaque de l’Hôtel-Dieu de France. Invité à Beyrouth pour participer à l’hommage rendu au Pr Béchir Saadé, il a bien voulu faire le point, pour L’Orient-Le Jour, sur les derniers avancements dans la chirurgie cardiaque, plus particulièrement la chirurgie valvulaire. Un petit rappel anatomique s’impose à ce stade. Il existe essentiellement deux valves cardiaques : aortique et mitrale. La valve aortique est le clapet qui sépare le ventricule gauche de l’aorte, tandis que la valve mitrale est le clapet qui contrôle l’entrée du sang dans le ventricule gauche. « Nous observons aujourd’hui une croissance du nombre des personnes atteintes d’une maladie de la valve aortique, car l’âge de la population augmente, entraînant un vieillissement ou une calcification de ces valves, que nous appelons le rétrécissement aortique calcifié », explique le Pr Carpentier. Jusqu’à ce jour, il n’y a que deux techniques pour traiter ce problème. La valve est remplacée soit par une valve mécanique, c’est-à-dire un clapet à base de matériaux synthétiques, soit par une valve biologique. « L’avantage des valves mécaniques est qu’elles durent longtemps, souligne le Pr Carpentier. Leur inconvénient, c’est qu’il faut administrer au patient des anticoagulants, sinon il risque des complications graves, avec la formation de caillots pouvant provoquer des embolies cérébrales. » Contrairement aux valves mécaniques, les valves biologiques ne risquent pas de provoquer une embolie chez le patient, mais elles durent moins longtemps. « Une nouveauté a été toutefois introduite à ces valves, poursuit-il. Aujourd’hui, celles que j’ai mises au point aux États-Unis pourront durer quinze à vingt ans au lieu de huit à dix ans. Par conséquent, nous observons actuellement une inversion des tendances, dans ce sens que 60 % des patients réclament des valves biologiques, contre 40 % dans le passé. C’est une véritable révolution. Un grand changement qui se dessine. » Mais quelles valves biologiques utiliser ? « À ce stade également, de nombreux changements ont été observés, répond le Pr Carpentier. Jusqu’à présent, il existait deux types de valves biologiques, celles prises sur les hommes (homogreffes) ou sur le patient lui-même (opération de Ross) et celles faites à partir de tissus animaux (bioprothèses) et qui sont traitées chimiquement par une méthode que j’ai mise au point, il y a trente ans déjà. » Les homogreffes et l’opération de Ross ne peuvent pas toutefois être améliorées comme peuvent l’être les traitements chimiques des bioprothèses. « Par conséquent, nous assistons aujourd’hui à une désaffection à l’égard des opérations compliquées comme celles de Ross ou l’homogreffe et à une progression très importante des bioprothèses, précise le Pr Carpentier. Une troisième génération de bioprothèses, que j’ai travaillée pendant plus de dix ans, sera donc accessible aux patients au cours de cette année. » Rapidité et rentabilité face à la qualité Spécialiste de la valve mitrale depuis plus de trente ans, le Pr Carpentier explique que cette dernière peut souffrir de deux maladies : un rhumatisme articulaire aigu diagnostiqué notamment dans les pays d’Orient, ou une dégénérescence. « Dans 5 % des cas uniquement, le rhumatisme articulaire aigu peut être dilaté par des techniques de cathéters, précise le chirurgien. Les autres cas nécessitent une opération. Toutefois, nous observons de moins en moins des cas de rhumatisme articulaire aigu, car les pays du Moyen-Orient, d’Asie et de Chine ont une politique de prévention de cette maladie. Cependant, nous diagnostiquons un plus grand nombre de maladies dégénératives. Et nous assistons donc à une insuffisance mitrale. Cette forme de maladie augmente sans cesse, puisque l’âge des populations augmente lui aussi. » « Quand j’ai commencé à m’intéresser à la valve mitrale depuis plus de trente ans, la maladie dégénérative n’existait pas. La chirurgie reconstructrice des valves cardiaques a commencé avec les maladies rhumatismales. Progressivement, nous avons observé une diminution des troubles rhumatismaux et une croissance des affections dégénératives. » C’est précisément à ce niveau que s’effectue la révolution du traitement de la maladie au cours des trente dernières années. En effet, c’est la chirurgie plastique et réparatrice, inventée par le professeur Carpentier, qui s’impose actuellement, notamment à l’hôpital Georges Pompidou en France où il opère et où 95 % des patients bénéficient d’une réparation valvulaire (plutôt que d’un remplacement). « L’avantage de cette chirurgie est énorme par rapport à un remplacement valvulaire, car nous pouvons opérer le malade plus tôt, avant que le cœur n’ait pâti de la valve atteinte de dysfonctionnement, indique le chirurgien. Ainsi, le patient est définitivement guéri et pourra continuer sa vie normalement, sans traitement pharmaceutique. Alors que les valves mécaniques ou biologiques peuvent entraîner des complications considérables, comme une hémolyse, une embolie, voire une réopération. » Mais chaque médaille a son revers. « Le seul inconvénient de cette chirurgie est sa difficulté, fait remarquer le Pr Carpentier. La maîtriser nécessite une expérience et beaucoup d’effort. » Et de déplorer : « Certains chirurgiens n’aiment pas beaucoup ce qui est difficile. Par conséquent, des techniques palliatives se sont malheureusement développées. Elles consistent, par exemple, à suturer une ou deux valves. Elles peuvent être exécutées en une demi-heure, alors qu’il faut deux heures pour une bonne chirurgie reconstructrice. » « Ces techniques sont un retour en arrière, s’exclame-t-il. Elles étaient utilisées il y a trente-cinq ans, avant que je ne commence à développer les miennes. Je suis conscient de l’inefficacité de ces techniques, puisque je les avais expérimentées à l’époque. Je déplore cette évolution actuelle, qui privilégie la rapidité et la rentabilité au détriment de la qualité. » Chirurgie mini-invasive : pas avant dix ans Est-il possible d’envisager une chirurgie reconstructrice de bonne qualité moins invasive ? « Je travaille à cela actuellement, répond le Pr Carpentier. J’essaie de développer la chirurgie mini-invasive. Mais il faut patienter longuement, car il serait beaucoup plus difficile d’opérer par un tout petit orifice. Et puisque la bonne chirurgie reconstructrice est assez difficile à la base, la mini-invasive le sera davantage. De plus, si je vais accélérer mes recherches, je crains que les jeunes chirurgiens n’aient recours aux techniques palliatives, faisant miroiter à leurs patients l’avantage d’une petite cicatrice. Je considère que l’intérieur est plus important que l’extérieur, dans le sens que je préfère une bonne chirurgie reconstructrice avec une grande cicatrice, qu’une petite cicatrice, sachant que l’opération doit être refaite dans quelques années. » Et d’insister : « La chirurgie mini-invasive valvulaire et robotique nécessite encore dix ans pour être appliquée d’une manière sûre. » La dernière évolution marquant la chirurgie de la valve mitrale est celle de la chirurgie des troubles du rythme. « Les valves mitrales entraînent souvent des arythmies, où le cœur devient irrégulier. Ce problème peut être évité si le malade est opéré tôt. Mais comme les patients nous sont référés à un stade avancé de la maladie, nous faisons l’opération de Cox (du nom du chirurgien qui l’a inventée). C’est un geste additionnel qui dure un quart d’heure et qui permet au malade de vivre normalement », conclut ce grand patron. Nada MERHI Angioplastie, greffes cardiaques et maladies bleues Si la chirurgie des valves cardiaques a bénéficié de nombreuses avancées récentes, l’évolution notée dans les greffes du cœur et les maladies bleues remontent à deux, voire trois décennies. Une avancée a été toutefois notée dans l’angioplastie. L’angioplastie est une méthode qui consiste à revasculariser les artères coronaires sténosées (devenues étroites) à l’aide d’une sonde à ballonnet. Inventée en 1976 par le Suisse Andreas Gruentzig, cette méthode est aujourd’hui la plus utilisée dans le traitement de l’insuffisance coronarienne. Dans 10 % à 30 % des cas toutefois, la sténose récidive dans les six mois qui suivent l’angioplastie. Une deuxième dilatation des coronaires s’avère nécessaire. « Le gros progrès enregistré à ce niveau c’est l’utilisation des stents, une sorte de tuteurs, de ressorts cylindriques, pour empêcher que les coronaires ne se resserrent, explique le Pr Alain Carpentier. Aujourd’hui, la resténose n’est diagnostiquée que dans 5 % à 10 % des cas. » En ce qui concerne les greffes cardiaques, le Pr Carpentier note qu’aucune révolution n’a été effectuée dans ce domaine depuis l’introduction de la ciclosporine, il y a vingt-cinq ans. « La greffe cardiaque est une opération facile mais les progrès doivent être attendus des immunologistes et non des chirurgiens, indique-t-il. Pour l’instant, les progrès ne sont pas significatifs. Peut-être que la thérapie génique bouleversera-t-elle la situation actuelle. Mais là aussi, il faut être patient. Car, même si conceptuellement et techniquement la thérapie génique est efficace, elle continue à représenter des risques concernant le passage des maladies virulentes de l’animal à l’homme. Les progrès considérables qui ont été faits dans le domaine de l’immunologie sont compensés, balancés ou freinés par cette préoccupation de ne pas être nuisible. » Dans le traitement des maladies bleues également, aucune nouveauté n’a été introduite. L’opération pratiquée aujourd’hui est la même que celle adoptée il y a trois décennies. Avec deux différences toutefois. « Dans la majorité des cas, l’enfant est opéré durant la première année de sa vie, constate le Pr Carpentier. Ainsi, il ne garde plus aucun souvenir de sa maladie. De plus, cette intervention chirurgicale est devenue plus sûre dans le sens que le risque associé est presque négligeable. » Le Club mitrale Créé il y a environ quinze ans, le Club mitrale a pour but de former les jeunes médecins à la chirurgie reconstructrice. « Ce sont des démonstrations opératoires que j’ai développées avec l’aide d’une compagnie américaine », raconte le Pr Alain Carpentier. « Dans le cadre de ce club, trois fois par an, deux fois aux États-Unis et une fois en Europe, j’opère quatre jours durant devant de jeunes chirurgiens, explique le Pr Carpentier. Je leur montre toutes les possibilités et toutes les variétés des maladies mitrales. J’ai formé ainsi plus de 10 000 chirurgiens dans le monde. » Les médecins des pays arabes ne bénéficient-ils pas de ce club ? « J’ai institué un club mitrale pour l’Asie du Sud-Est à l’Institut de cœur de Saigon, répond le Pr Carpentier. Les démonstrations ont eu lieu le 20 février dernier. »
Chef du service de chirurgie cardiaque et vasculaire à l’hôpital Georges Pompidou, professeur à la New York University d’Oregon et conseiller scientifique du centre de recherches Baxter-Edwards aux États-Unis, le Pr Alain Carpentier est, comme chacun le sait, à l’origine de plusieurs nouvelles techniques dans la chirurgie cardiaque (réparation des valves cardiaques,...