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Actualités - ANALYSE

Vie politique - Le Bloc national à l'heure des choix Une lutte contre la montre pour Carlos Eddé

La mutation est brusque, sinon brutale. En plein essor de carrière, son éthique propre, le sens du devoir et le respect des mânes de ses ascendants poussent un homme d’affaires à endosser la toge de patricien politique. Plus lourde pour lui sans doute, car c’est une question de penchant personnel, que pour d’autres fils de famille. De la froide fréquentation de chiffres nets, Carlos Eddé passe à un monde florentin, levantin, biaisé, souvent cynique ou même hypocrite. Un microcosme déroutant, car la bonne foi s’y mêle parfois aux calculs les plus retors. Un univers fascinant par certains côtés, mais où l’amateur d’air pur a rarement l’impression d’être servi. Il faut un certain temps pour s’acclimater à ce manque d’oxygène. Surtout quand on a grandi au Brésil, loin du Sérail. Jamais en effet Pierre et Raymond Eddé n’ont encouragé leur fils et neveu à faire de la politique. Bien au contraire, ils lui conseillaient d’en rester éloigné, de s’occuper de la famille et d’en gérer le patrimoine. Recommandation d’autant plus normale que, dans la malheureuse patrie-mère, ce qui tient lieu de vie politique n’est plus, globalement, qu’un ramassis d’indignités et de soumission à la volonté étrangère. Tant que Pierre et Raymond Eddé étaient encore en vie, ils assumaient, chacun à sa manière, chacun dans son style ou dans son domaine, la lutte qu’il fallait mener, justement pour tenter de réhabiliter ce Liban qu’ils aimaient tant. Après leur disparition, Carlos Eddé ne pouvait pas laisser le flambeau s’éteindre, chuter à terre. Toute une responsabilité morale, d’ordre national, mais aussi d’ordre humain, à l’ égard des partisans comme de leurs familles, lui est retombée sur les épaules. Il lui a fallu prendre la tête d’une formation qui, pour de multiples raisons, dont la guerre et l’exil forcé de son ancien chef, avait un besoin urgent de rénovation, de réorganisation, de dynamisation. Et le hasard a voulu que cela se produise juste à l’échéance, cruciale, des législatives. D’entrée de jeu donc, Carlos Eddé se collette avec un système général qui, bien plus encore que le Bloc national, a besoin d’être réformé. Pour le jeune Amid, c’est une course contre la montre. Il doit étudier les arcanes du parti, lier connaissance véritable avec les membres, séparer le bon grain de l’ivraie pour distinguer les vrais militants des opportunistes. En même temps, Carlos Eddé se trouve confronté à un climat intérieur plutôt tendu. Les élections ont en effet suscité au sein du Bloc, à tous les échelons, une vive controverse : faut-il participer ou boycotter ? Les piliers du comité exécutif et du conseil sont divisés. Bien que Raymond Eddé eût pris soin de forcer ces instances avec une majorité favorable, comme lui-même, au boycott. On sait en effet que l’ancien Amid estimait que la participation aux élections équivaudrait à légitimer la présence militaire syrienne et le système asservi qui se trouve en place. Sans compter que les immixtions, les parachutages, empêcheraient la constitution au Parlement d’un solide noyau d’opposition pour ne pas dire de résistance. Mais au sein du Bloc, certains pensent qu’il faut quand même participer, car le boycott adopté en 1992 puis en 1996 n’a rien donné et n’a fait qu’affaiblir le parti sur le plan populaire. De plus, la participation, même si elle n’assure pas des sièges place de l’Étoile, peut être relativement efficace sur plan prophylactique. C’est-à-dire qu’elle empêcherait certains ultras loyalistes, trop fidèles serviteurs du dominant, d’arriver à la Chambre. Toujours est-il qu’à son avènement, le nouveau Amid a changé la composition du comité exécutif et du conseil du parti, où la tendance majoritaire est maintenant participationniste. La plupart des nouveaux membres pensent que le Bloc national doit descendre dans l’arène, en recueillant les fruits de l’immense prestige populaire qu ‘avait Raymond Eddé et de la sympathie dont bénéficie son successeur. Sans quoi, ajoutent-ils, dans quatre ans, les carottes seraient cuites et le parti serait écrabouillé aux élections. Mais c’est à Carlos Eddé de décider, en prenant en compte le fait que cette année, Jbeil est associée au Kesrouan. S’il opte pour la participation, il devrait logiquement se présenter en personne. Et pas sur n’importe quelle liste, mais au sein d’une formation comprenant des personnalités à la fois propres et animées d’un esprit national authentique. Il y aurait donc à trouver sept candidats maronites et un candidat chiite qui remplissent, encore aujourd’hui, ces conditions. Ce n’est pas facile et il n’est pas exclu qu’en définitive, le Bloc national choisisse de demander à ses sympathisants de voter, sans présenter lui-même de candidats.
La mutation est brusque, sinon brutale. En plein essor de carrière, son éthique propre, le sens du devoir et le respect des mânes de ses ascendants poussent un homme d’affaires à endosser la toge de patricien politique. Plus lourde pour lui sans doute, car c’est une question de penchant personnel, que pour d’autres fils de famille. De la froide fréquentation de chiffres...