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Actualités - OPINION

Transparence

«Mais que vous arrive-il donc, vous les Libanais ? Vous dérapez complètement et inversez les priorités. Les Israéliens ne se sont pas encores retirés que vous étalez déjà vos rancœurs et votre ingratitude. En soulevant la question de la présence syrienne, vous ne brûlez pas les étapes, vous n’en avez tout simplement pas la possibilité, mais vous mettez en place les germes de conflits à venir. Relisez donc l’histoire des vingt dernières années, vous comprendrez alors que les liens qui unissent nos deux pays sont indissociables, un véritable mariage maronite que ni Bkerké ni même le Vatican ne pourraient annuler». J’en suis resté pantois. La missive de cet ami syrien, qui ne s’était pas manifesté depuis des années, venait de relancer un débat que je croyais clos. Relations privilégiées, unité du destin, attitude hégémonique, concomitance des volets, frustrations accumulées, tout avait été dit entre nous. Mais la situation était alors toute autre et les Israéliens, arrogants et dominateurs, n’entendaient nullement, en ce temps-là, se retirer du Liban-Sud. La présence syrienne était, en quelque sorte, légitimée par la nécessité d’une résistance commune à l’occupation ennemie. C’était oublier, bien entendu, que les autres fronts étaient neutralisés et que les martyrs n’imprégnaient de leur sang que le sol du Liban-Sud. Mais l’heure était aux non-dits «la solidarité face à l’ennemi commun» primant toute autre considération. *** Oubliés les sacrifices consentis par la Syrie pour mettre fin aux guerres intestines au Liban ? Oubliées nos interventions musclées pour empêcher l’éclatement de la «formule» libanaise et faire en sorte qu’il n’y ait ni vainqueurs ni vaincus ? Que rétorquer à ces reproches de mon proche et néanmoins lointain ami ? Lui rappeler que nombreux sont ceux qui allèguent que pyromanes et pompiers sont souvent les mêmes, qu’au Liban il n’y a effectivement ni vainqueurs ni vaincus, mais un état de désespérance (le fameux ihbat) généralisé ? Constat aussi paradoxal que démoralisant, alors que le Liban devrait pavoiser aujourd’hui pour célébrer le retrait des Israéliens. Mais le discours officiel, aussi bien à Beyrouth qu’à Damas (au nom de la sempiternelle concomitance) a créé un climat d’inquiétude là où joie et soulagement auraient dû prévaloir... Le président du Conseil, Sélim Hoss (qui se démarque de plus en plus des béni-oui-oui de la République) a bien tenté de remettre les pendules à l’heure, mais le mal était déjà fait. De longues années de lutte acharnée, de résistance, une liste interminable de martyrs… et enfin la lumière au bout du tunnel, le retrait israélien si longtemps espéré. Et que nous annoncent alors ceux qui président à nos destinées ? Davantage de souffrances, des guerres potentielles et même le retour aux discordes internes. On s’arracherait les cheveux pour moins. *** Il y a quelques années, très moralisateur, tu m’avais accablé de serments d’amitié, me rassurant en ces termes : «La Syrie sera toujours là pour vous empêcher de commettre l’irréparable et vous distiller assez d’oxygène pour vous maintenir en vie». La déliquescence de l’État était alors totale et la mort dans l’âme je t’avais répondu que cet oxygène, dont tu étais si prodigue, m’avait permis non pas de rester en vie, mais d’avaler la pilule de notre amère réalité. *** Des années se sont écoulées et l’amertume est toujours là. Amertume d’autant plus forte qu’il ne nous est même pas permis de trop nous réjouir du départ des Israéliens, en application de la résolution 425, pour raison de non-concomitance.... Comment s’étonner dès lors que l’on veuille ouvrir tous les dossiers, dire tout haut ce que tout le monde murmure tout bas et exiger la transparence la plus totale dans l’examen de tous les problèmes. Le retrait israélien, «un cadeau empoisonné» ? L’application de la 425, une initiative suspecte ? Les Français en sont restés cois en écoutant M. Farouk el-Chareh leur exposer les réserves syriennes. Et le Liban dans tout cela ? N’a-t-il plus voix au chapitre ? N’est-il pas de son devoir de plaider, lui-même, son propre dossier auprès des instances internationales ? Doit-il laisser toujours aux autres (à l’autre) le soin de parler en son nom, une délégation de pouvoirs humiliante en cette période cruciale de notre existence ? N’est-il pas normal que des voix s’élèvent pour souhaiter un rééquilibrage des relations loin de toute tutelle ? Évoquer cette question en toute sérénité ne couperait-il pas l’herbe sous les pieds des pêcheurs en eaux troubles et provocateurs éventuels ? Est-ce rendre service à l’ennemi que de plaider pour la liberté de décision, seule susceptible de garantir que l’accord final et global ne se fera pas au détriment du Liban ? Pourquoi parler de mauvais «timing», chaque fois que ce dossier est évoqué, alors même que le départ des Israéliens bouleverse l’échiquier régional et commande de traiter de toutes les questions en suspens ? N’est-ce pas l’État hébreu lui-même qui a imposé les fameuses «lignes rouges» concernant l’étendue de la présence syrienne au Liban ? L’accord de Taëf ne s’y est-il pas lui aussi référé en lui fixant des délais dès 1989 ? Autant de questions que j’ai adressées à mon ami syrien, ajoutant que la langue de bois, si souvent martelée, ne pouvait plus être de mise. Sa réponse, je l’attends impatiemment. Le temps presse et il n’est plus loisible d’éluder le fond du problème. Destin commun, assurément, mais d’égal à égal et en toute transparence. Fini les tabous ? Du côté des Libanais (certains Libanais), c’est déjà chose faite. Il reste à l’ami syrien de saisir la balle au bond.
«Mais que vous arrive-il donc, vous les Libanais ? Vous dérapez complètement et inversez les priorités. Les Israéliens ne se sont pas encores retirés que vous étalez déjà vos rancœurs et votre ingratitude. En soulevant la question de la présence syrienne, vous ne brûlez pas les étapes, vous n’en avez tout simplement pas la possibilité, mais vous mettez en place les...