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Actualités - REPORTAGES

Le Liban, imprimerie du Moyen-Orient(photos)

Si la vallée de la Békaa fut en d’autres temps le grenier de l’empire romain, force est de constater que le Liban de l’an 2000 s’est imposé comme le pays le plus performant de la région en matière d’imprimerie. D’un point de vue technologique mais aussi humain, cette industrie-phare connaît ses joies et ses misères, dans un contexte de crise économique générale. Les années 90 auront été celles de l’imprimerie. Joseph Raïdy, PDG de Raïdy Printing Press, indique : «Aujourd’hui, le Liban imprime à lui seul la moitié du volume imprimé du monde arabe, selon les statistiques de l’Association des distributeurs arabes en 1996. Le nombre de publications augmente sans cesse, en particulier depuis la décision fin 1995 du Conseil des ministres de permettre l’impression au Liban de journaux étrangers». Au Liban, comme ailleurs, cette industrie majeure a connu de nombreuses modifications dans ses structures et ses méthodes de travail. Industrie ? Oui, on ne compte pas moins de 700 imprimeries au pays des Cèdres, dont une vingtaine de très importantes. L’arrivée tonitruante de l’ordinateur a bouleversé cette profession jusque-là adepte d’une façon de travailler «à l’ancienne». L’introduction de l’ordinateur a considérablement accru la productivité mais a occasionné aussi des changements en profondeur, tant au niveau humain que technique. À chacun son créneau Face à une course effrénée à l’équipement, les imprimeurs ont choisi de se placer sur les différents créneaux existants. Le choix des professionnels dans ce cas est influencé par leur équipement mais aussi par la culture de leur entreprise. Ainsi, par exemple, les Imprimeries de l’Annonce ont choisi un créneau bien particulier. «Nous nous sommes spécialisés dans l’impression d’affiches, explique le directeur Carl Kourani. Pour cela, nous avons adapté notre façon de travailler, car ce secteur connaît des spécifications très précises, du fait de son format et de son utilisation. Nous sommes aujourd’hui les spécialistes de l’impression offset dans ce domaine, car l’impression digitale n’est pas encore là, et la sérigraphie disparaît. C’est aussi une des raisons qui nous poussent à ne pas nous disperser : nous ne faisons pas de flashage, par exemple». La spécialisation, c’est aussi ce qu’a choisie Gihad A. Achkar, propriétaire d’Anis Commercial Printing Press, mais dans un autre domaine : «Parmi les nombreux produits que nous proposons, nous sommes fiers de la haute qualité de nos impressions de livres d’art, de peinture ou de photographie. Cet exercice est le plus périlleux en matière d’impression, car une erreur dans le calibrage des couleurs est tout de suite sanctionnée. Nous imprimons aussi du packaging comme des boîtes de whisky, ou bien des cartes plastifiées que nous sommes les seuls au Liban à faire». Le packaging, ce fut le choix opéré il y a dix ans chez Scope. Mansour Chelala, aujourd’hui à la tête de l’entreprise, est fier des efforts consentis depuis le début des années 90 : «Nous avons modernisé nos méthodes de travail et ouvert nos ateliers de “pre-press”, de “press” et de “post-press”. Nous avons également choisi de nous positionner sur un créneau jusqu’alors peu exploité : le packaging alimentaire, ce qui inclut le papier qui enrobe votre hamburger, ou le sac en papier kraft dans lequel vous mettez vos courses. Ce genre d’impression demande des machines particulières. C’est donc un investissement très précis». Trois autres grandes imprimeries ont choisi un créneau relativement proche : les livres et la presse. Élie Raphaël, directeur général de l’imprimerie Arab Printing Press, remarque que «70 % de notre activité sont absorbés par les livres et la presse magazine. Les livres se divisent en différentes catégories : l’édition, l’art ou le scolaire. Ce dernier secteur représente une énorme part, du fait des volumes de production. Nous imprimons également de la presse magazine, libanaise et moyen-orientale». Observation identique chez Chemaly & Chemaly dont le directeur général, Georges Chemali, explique le même choix de créneau : «Notre nouvelle imprimerie comporte tous les postes de travail possibles. Nous pouvons tout faire. Néanmoins, nous travaillons principalement dans l’impression de livres, scolaires ou de luxe, et dans la presse magazine, hebdomadaire ou mensuelle. Nous pouvons même imprimer des quotidiens». Troisième imprimeur, et non des moindres, à s’être placé depuis longtemps sur ce créneau : Raïdy Printing Press. Son PDG, Joseph Raïdy, souligne «qu’être imprimeur nécessite d’avoir une culture artistique poussée. L’impression d’aujourd’hui se joue sur la couleur. Nous imprimons ainsi de nombreux magazines et des livres d’art. Nous sommes réputés pour cela dans toute la région. Dans les pays arabes, on prend Raïdy Printing Press comme référence. On dit : “Je veux faire comme Raïdy !”. Nous sommes devenus une référence de qualité dans le Moyen-Orient». C’est un point de vue que l’on peut appliquer à l’ensemble de cette industrie libanaise qui ne recule pas devant les investissements, afin de rester performante et compétitive, non seulement face à la concurrence arabe mais aussi européenne. Pour éviter une saturation trop étouffante, elle se divise selon des spécialités qui demandent à la fois un savoir-faire particulier et un équipement précis. Tous ces imprimeurs ont également en commun d’autres activités parallèles, que l’on regroupe sous l’appellation «impressions commerciales». Celles-ci comprennent l’impression de brochures, catalogues, papier à en-tête, cartes de visite et autres enveloppes, ainsi que des produits bancaires comme les chéquiers. Ces «impressions commerciales» représentent entre 30 et 50 % de l’activité des professionnels. Un marché presque saturé Tous les professionnels sont d’accord sur un point : quand un pays aussi petit que le Liban compte près de 700 imprimeries, la situation ne saurait durer. Une vaste restructuration de la profession va devoir s’opérer, probablement accompagnée de nombreuses faillites. Gihad A. Achkar remarque l’effet néfaste de la crise économique générale : «Depuis la récession que nous connaissons tous, il y a trop d’imprimeurs. Le marché ne peut pas absorber la production libanaise. Au Koweït, il y a 4 grandes imprimeries et 6 petites ; au Liban, nous sommes 700 à nous partager le gâteau ! De plus, le travail en tant que tel a changé : moins de gens ont à travailler, alors que la production ne cesse d’augmenter. Les nouvelles machines ont généré une formidable expansion». C’est vrai, mais imposer une imprimerie compétitive sur le marché demande des investissements colossaux, en infrastructures et en matériel. Joseph Raïdy fait un simple constat : «Pour créer une imprimerie normale, il faut au moins 5 millions de dollars». Pour devenir et rester compétitifs, les investissements sont donc très lourds. Ce qui implique, à moyen terme, la disparition de «petits» imprimeurs. Cette saturation prévisible du marché pousse les imprimeurs à se tourner de plus en plus vers l’étranger pour trouver leur clientèle. En tête de peloton, Chemaly & Chemaly déclare consacrer 50 % de son activité à l’exportation : «C’est la politique de l’entreprise, précise Georges Chemaly. Grâce à nos équipements, nous pouvons travailler avec l’étranger, sans laisser tomber la clientèle locale. Et à l’étranger, nous travaillons à la fois avec le monde arabe et avec l’Europe. Cette dernière est d’ailleurs très prometteuse». Sur ce point, Mansour Chelala est affirmatif : «Nous pouvons être de sérieux concurrents pour l’Europe, car nos prix sont bien moins élevés du fait du coût de la main-d’œuvre. Nous sommes 40 % moins chers que les Français par exemple !». Dans le domaine des «imprimés commerciaux», Élie Raphaël remarque, lui, que «la demande continue d’augmenter au même rythme que les capacités de production. D’une manière générale, le Liban est dans une position favorable sur le Moyen-Orient. L’acquisition de nouvelles machines ne rend pas la concurrence trop violente, car la différence se fait sur le savoir-faire et le professionnalisme. Les Libanais ont l’avantage d’être à la fois de bons commerçants et de bons créatifs : adéquation rare dans la région». Le plus pessimiste reste Carl Kourani, qui «déplore la faiblesse du marché. Il y a plus d’imprimeurs que de clients ! Dans le domaine de l’affichage, nous pourrions importer la dernière machine spécialisée, qui coûte 9 millions de dollars. Mais le marché n’est pas assez important, même avec le Moyen-Orient». Néanmoins, d’une manière générale, cet état de fait place aujourd’hui le Liban en position de pointe sur le marché régional, grâce à une gamme complète de services et un niveau haut de gamme de qualité.
Si la vallée de la Békaa fut en d’autres temps le grenier de l’empire romain, force est de constater que le Liban de l’an 2000 s’est imposé comme le pays le plus performant de la région en matière d’imprimerie. D’un point de vue technologique mais aussi humain, cette industrie-phare connaît ses joies et ses misères, dans un contexte de crise économique générale....