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Actualités - OPINION

Prix d’Excellences

 La perception qu’a l’opinion publique du nouveau gouvernement n’est pas sans évoquer l’histoire de ce fou qui se faisait asséner de furieux coups de marteau sur le crâne par ses camarades d’asile, pour mieux apprécier les moments de répit : «Ce que c’est bon, tout de même, quand ça s’arrête!». Toutes choses étant relatives, la version définitive de ce Cabinet paraît nettement plus acceptable, c’est vrai, que celle qui circulait en début de semaine et qui a soulevé, à juste titre, une tempête de protestations. Elle reste bien en deçà toutefois des espérances populaires. Fruit d’un laborieux compromis, ce gouvernement consacre tout d’abord, en effet, la consternante pérennité de ce marchandage forcené auquel doivent se livrer, depuis Taëf, les présidents de la République, de l’Assemblée et du Conseil, pour une juste répartition des portefeuilles ministériels : juste pour eux et leurs poulains à vrai dire mais certes pas pour le peuple et le pays, puisque les critères de proximité ou d’allégeance prennent trop souvent le pas sur ceux de qualification et de compétence. Deux cas au moins, directement liés sans doute, illustrent tout particulièrement les incongruités auxquelles peuvent donner lieu ces âpres tractations de bazar : sans évidemment vouloir juger ou préjuger de leurs mérites réels, potentiels ou supposés, ce sont ceux de M. Fouad Siniora qui revient aux Finances – en ministre titulaire cette fois, et non plus en prête-nom – et de M. Élias Murr, catapulté à l’intérieur. Le premier, comme on sait, a fait l’objet d’une enquête judiciaire pour dilapidation de fonds de l’État, un dossier dont on n’a appris qu’hier, c’est-à-dire après coup et comme par le plus grand des hasards, qu’il attendait encore d’être traité par l’autorité judiciaire adéquate. Bien étrange lenteur, à l’heure où la priorité va au rétablissement de la confiance locale et internationale dans notre pays, celle des investisseurs notamment. Car de deux choses l’une : ou bien M. Siniora a été harcelé, persécuté par le gouvernement sortant, à des fins bassement politiques, et il eut été plus décent de le blanchir complètement avant de l’intégrer au Cabinet ; ou bien alors cette même règle du donnant-donnant est venue imposer, à point nommé, l’accélération de la procédure devant conduire à la clôture du dossier. De tout cela, on tirera la triste conclusion que l’autorité peut à loisir aiguillonner, freiner ou court-circuiter une justice décidément bien accommodante : une justice censée être pourtant le fondement de toute confiance, celle des citoyens comme des investisseurs. Toujours est-il que les Libanais, en butte à une effroyable crise économique, ne se feront sans doute pas prier pour souhaiter ardemment au ministre des Finances de réussir la difficile mission qui lui échoit : redresser de ses propres mains une situation dont ses détracteurs le rendent personnellement responsable, et avec lui son parrain Rafic Hariri. Ce sont des réserves d’une autre nature que suscite le choix du nouveau ministre de l’Intérieur, fils du précédent détenteur du poste et gendre du chef de l’État : non point évidemment que les ambitions de M. Élias Murr soient en rien extraordinaires, dans un establishment libanais largement dominé encore par les dynasties politiques. Ce qui surprend désagréablement en revanche c’est de voir le président Lahoud céder de la sorte à son tour, comme d’autres avant lui, à la tentation népotiste, lui qui avait promis à la nation un tout autre style de gouvernement. Le plus navrant est que l’Intérieur, sensible entre tous, ait été retenu pour pareil noviciat, pour une telle mise en selle. Il est clair en effet que de tous les départements-clés – rigoureusement contrôlés par le tuteur syrien – seul le ministère des polices conserve quelque substance, dans un pays où la garantie de la justice est hélas des plus hypothétiques. Les dés étant jetés, puisse M. Murr fils apprendre – et se souvenir – qu’il n’est pas commis à la seule sécurité de l’État mais aussi, mais surtout à celle de la société. Et que sa véritable tâche doit consister moins à traquer les colleurs d’affiches, à mater des jeunes manifestants ou à bricoler des élections qu’à protéger les citoyens notamment sur les routes libanaises, criminellement livrées aux chauffards sous l’œil indifférent de la maréchaussée. Un gouvernement d’entente et de développement vraiment, comme nous l’a assuré M. Rafic Hariri ? Là aussi, il est nécessaire de mettre plus d’un bémol à l’autosatisfaction et à l’optimisme officiels. Si entente il y a effectivement, elle reste politique (pour ne pas dire politicienne) et elle ne s’étend pas encore au cadre véritablement national, comme l’avaient laissé espérer les nombreux appels au changement des derniers mois. Bien sûr, l’entrée au gouvernement de personnalités telles que MM. Pierre Hélou, Fouad es-Saad, Michel Pharaon et Georges Frem vient salutairement étoffer une représentation chrétienne (et singulièrement maronite) régulièrement pénalisée ces dernières années. Mais cette tardive injection ne réduit en rien, au fond, la marginalisation frappant systématiquement cette communauté. Ce sont ainsi des strapontins ministériels qui ont été octroyés aux chrétiens non «alignés». Et même, pourrait-on dire, à tous les autres ou presque, car même des départements tels que celui de la Défense ne peuvent plus aujourd’hui faire illusion. D’autant plus regrettable est cette fournée de ministères sans portefeuille que certains amalgames des plus insensés, commis sous le prétexte d’économies budgétaires, sont venus priver la quasi-totalité de ces ministres d’État d’une gestion effective, tout en surchargeant de travail d’autres excellences : on pense notamment aux enseignements primaire et secondaire, supérieur et technique, confrontés à d’énormes problèmes et concentrés pourtant, en ce début de millénaire, dans un unique – et archaïque – ministère de l’Éducation. Reste le plus important : la promesse d’un mieux-être politique, économique et social que porte quand même en elle la jonction opérée entre deux hommes, deux fortes têtes, les présidents Lahoud et Hariri, qui ont ceci en commun d’avoir effectué, chacun à son tour, de très controversés vols en solo. Ce gouvernement si durement négocié, il est bien le leur, en indivis. C’est au vu de ses résultats qu’il sera finalement jugé. Et eux avec lui. Issa GORAIEB
 La perception qu’a l’opinion publique du nouveau gouvernement n’est pas sans évoquer l’histoire de ce fou qui se faisait asséner de furieux coups de marteau sur le crâne par ses camarades d’asile, pour mieux apprécier les moments de répit : «Ce que c’est bon, tout de même, quand ça s’arrête!». Toutes choses étant relatives, la version définitive de ce...