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Actualités - INTERVIEWS

ENVIRONNEMENT - Entretien avec un toxicologue sur les réglementations mondiales Pesticides : sans normes, une arme incontrôlable

Si les pesticides sont redoutables pour les fléaux agricoles qu’ils sont supposés éradiquer, ils le deviennent pareillement pour le consommateur s’ils sont mal utilisés ! Comment s’assurer de la qualité des produits agricoles sur le marché ? Il existe en effet des normes, le plus souvent valables mondialement, qu’il faudrait appliquer. Au cours d’un entretien accordé à «L’Orient-Le Jour», M. Marc Pallardy, professeur de toxicologie à la faculté de pharmacie de l’Université Paris XI, qui a participé à une Journée sur la toxicologie organisée par la faculté de pharmacie de l’USJ, a exposé les normes appliquées mondialement et les mesures à prendre au niveau des pays. «Il n’y a pas de pesticides qui soient plus ou moins dangereux que d’autres si les normes sont respectées, constate M. Pallardy. La démarche de la recherche toxicologique consiste justement à fixer des doses journalières admissibles, appelées DJA. Il est sûr que l’on a découvert des taux de toxicité et des DJA plus ou moins importants selon les pesticides. Mais il faut aborder le problème en définissant les limites maximales de résidus dans les plantes, les délais avant récolte, etc.». Dans l’étude toxicologique de chaque pesticide, il est nécessaire de déterminer la dose appelée «sans effet». Un facteur de sécurité est ensuite fixé par rapport à cette dose sans effet. Pour obtenir la DJA (qui ne doit jamais être dépassée lors de la consommation), on divise cette dose par un facteur arbitraire, qui est en général de 100. Il poursuit : «Il est important de définir ce qu’on appelle le “panier de la ménagère”, en d’autres termes, la composition de l’alimentation moyenne dans tel ou tel pays. Suite à cela, il faut s’assurer que tous les résidus, pour un même pesticide, qui proviennent de différentes sources d’alimentation, ne dépassent pas la DJA, étant donné qu’un même produit peut être appliqué sur différents types de cultures». M. Pallardy précise que ces normes sont mondiales. «Les délais avant récolte s’appliquent partout, ajoute-t-il. Ils sont fixés de la manière suivante : après avoir appliqué les pesticides de manière efficace sur le champ, des essais réglementaires sont indispensables pour évaluer les résidus de ces produits dans les plantes, dans des conditions d’application normales. Il faut ensuite déterminer le devenir des résidus et dans quelles proportions ils diminuent avec le temps. La DJA, elle, donne des précisions sur la limite maximale de résidus (LMR) tolérée dans l’alimentation consommée. C’est en combinant ces différentes informations qu’il sera possible de fixer à l’agriculteur un délai avant récolte qui respecte les normes». Est-ce le rôle de l’État d’imposer ces délais aux agriculteurs ? «Il existe deux aspects à prendre en compte, dit M. Pallardy. Le premier relève de la toxicologie, donc la fixation de la DJA. En Europe, nous aurons bientôt des DJA applicables au niveau de la Communauté. Il faut préciser qu’il y a même des DJA mondiales fixées par l’OMS, la FAO… Ce sont des réglementations que l’on retrouve partout, il n’est donc pas nécessaire que chaque pays les reprenne à son compte. Toutefois, selon ses pratiques agricoles et son “panier de la ménagère”, il peut arriver qu’un pays ait besoin d’imposer des LMR différentes pour certains produits, sans pour autant refaire toute l’évaluation». Le bio : des dangers intrinsèques ? Le second aspect évoqué par M. Pallardy est celui du contrôle de l’application des pesticides et du respect des délais avant récolte. «En France, ce contrôle est effectué par la brigade de répression des fraudes qui prélève des échantillons sur les marchés et qui teste les doses de pesticides dans les aliments, dit-il. Il y a donc un contrôle en amont, qui consiste en l’évaluation toxicologique et la détermination des DJA et des LMR, et en aval avec le dosage sur les produits vendus». Bien que non familier de la situation au Liban, M. Pallardy a quand même relevé le manque de structure d’homologation au niveau de la préparation des produits. «Il est vrai qu’il n’est pas nécessaire de refaire l’évaluation des matières actives si celle-ci a déjà été effectuée ou devrait l’être, souligne-t-il. Par contre, les préparations de médicaments comportent parfois plusieurs matières actives. Il est clair que, dans ce cas, des autorisations nationales sont indispensables. En Europe, nous aurons des évaluations européennes pour chaque matière active, mais les autorisations nationales restent essentielles». Tout en se basant sur les normes mondiales, le Liban devrait donc, selon M. Pallardy, évaluer les limites de résidus dans les aliments et, probablement, des délais avant récolte selon les pratiques agricoles du pays, et définir un «panier de la ménagère» libanais. L’alternative aux pesticides ne serait-elle pas l’agriculture biologique ? «C’est une démarche intéressante, estime-t-il. Mais cette pratique implique peut-être des dangers intrinsèques que l’on ne connaît pas encore très bien, en particulier celui des mycotoxines, une contamination par des champignons microscopiques due à la non-utilisation de pesticides. Il faut évaluer très vite ces dangers de l’agriculture biologique, en comparaison avec l’agriculture traditionnelle». Toutefois, ce qu’on appelle aujourd’hui agriculture biologique correspond aux pratiques agricoles du passé. Peut-on dire que de nouveaux dangers s’y soient ajoutés ? «Dire que tout ce qui se passait avant était bon est une conception assez simpliste des choses, répond-il. Pourquoi, alors, ne pas arrêter l’usage d’antibiotiques ? Il ne faut pas exagérer le problème, mais l’aborder de manière lucide, effectuer des études. Et c’est là que l’État a un grand rôle à jouer, en mettant en place des structures d’évaluation, de recherche...». Suzanne BAAKLINI
Si les pesticides sont redoutables pour les fléaux agricoles qu’ils sont supposés éradiquer, ils le deviennent pareillement pour le consommateur s’ils sont mal utilisés ! Comment s’assurer de la qualité des produits agricoles sur le marché ? Il existe en effet des normes, le plus souvent valables mondialement, qu’il faudrait appliquer. Au cours d’un entretien accordé...