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Actualités - CHRONOLOGIE

LIRE EN FRANÇAIS ET EN MUSIQUE - Rencontre avec un auteur qui a « la passion de s’interroger, de réfléchir et de raisonner... » Éric-Emmanuel Schmitt : « Par l’écriture, j’essaye d’approcher le mystère… »(photo)

Normalien, agrégé de philosophie, Éric-Emmanuel Schmitt est une des grosses pointures invitées au Salon du livre. Carrure impressionnante et voix douce, cet écrivain relativement peu connu chez nous est un des auteurs dramatiques contemporains les plus joués dans le monde francophone, c’est-à-dire dans plus de trente-cinq pays. Cela ne le rend pas le moins du monde imbu de sa personne. « Je n’ai même pas eu le temps de rêver ce succès qu’il m’était déjà tombé dessus », dit-il tout simplement. Rencontre avec un géant… de l’écriture, au stand de la librairie Dédicace, où il a dédicacé hier ses ouvrages. Et où ses lecteurs pourront le retrouver aujourd’hui en fin d’après-midi. Éric-Emmanuel Schmitt, on l’aura deviné, a beaucoup mis sa plume au service de la scène. Parmi ses pièces à succès, on peut citer : La nuit de Valogne, Le Visiteur, Variations énigmatiques (avec Alain Delon et Francis Huster), Le Libertin, Hôtel des deux mondes, et actuellement à l’affiche à Paris : Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, ainsi que Sarah (Bernhardt, avec Fanny Ardant et Robert Hirsh). Sa production romanesque est moins foisonnante. Il n’a que quatre romans à son actif (sans compter un essai sur Diderot), mais elle est tout aussi remarquable. Des personnages mythiques Les écrits de cet auteur sont de qualité. Dans le sens où ils allient le divertissement d’une intrigue bien menée, à la clarté du propos, tout en hissant le débat vers une portée philosophique. D’ailleurs, Éric-Emmanuel Schmitt aime la fréquentation des grands hommes et des beaux esprits. Mis à part ses dernières œuvres, Lorsque j’étais une œuvre d’art (une fantaisie qui reste quand même un conte philosophique) et Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, (qui met en scène une histoire d’amour toute simple entre un petit garçon juif et le vieil épicier arabe de son quartier), il a construit la plupart de ses écrits autour d’un personnage historique : Freud, Jésus, Hitler, Don Juan, etc. Sans cependant jamais tomber dans l’écriture biographique. « J’aime faire une œuvre de créateur et non pas d’historien en partant d’un personnage non pas tant historique que mythologique, assure-t-il, Jésus est un personnage historique mais aussi le fondateur de 2 000 ans d’histoire. Hitler est une figure du mal, etc. J’aime donc partir d’une structure mythique, pour explorer un thème en créant une fiction .» À travers ses écrits, clairs et philosophiques, Éric-Emmanuel Schmitt « tente paradoxalement d’approcher le mystère, dit-il. Parce que pour moi la vie est faite de mystères. Le mystère amoureux (que j’ai essayé de saisir dans Les Variations énigmatiques). Le mystère de la foi (à travers L’Évangile selon Pilate), où je cherche à montrer que le Christ n’est pas une énigme, mais un mystère, qui nourrit toujours la réflexion ». Des Hitler(s) en puissance Réfléchir sur le mystère de la monstruosité humaine aussi dans La part de l’autre, roman dans lequel Schmitt tisse le destin croisé de Hitler et de son double fictif, Adolphe H., l’homme que le dictateur aurait pu être s’il n’avait pas été recalé à l’académie des beaux-arts de Vienne. « Cette histoire, je l’ai écrite pour comprendre comment on devenait un monstre. Parce que je voulais trouver le rapport entre le jeune homme de dix-sept ans, peintre, qui n’était pas antisémite et le barbare qui a provoqué une guerre de cinquante millions de morts. » Ce livre lui a fait prendre conscience, avec effroi, «qu’Hitler n’est pas très différent de nous. Il y a des situations et surtout des interprétations de situations qui transforment les gens en monstres. Chacun de nous, si on se laisse aller, peut devenir un Hitler potentiel ». Même dans son dernier roman, dont il dit que c’est un amusement, Éric-Emmanuel Schmitt s’interroge, avec humour et facétie, sur l’avenir de l’être humain et les dérives de l’art contemporain. Cet homme est un philosophe dans l’âme et pas un poseur. Il n’a pas peur d’aller à contre-courant des modes pour dénoncer le commerce autour de la beauté, du culte de l’apparence qui fait souffrir tant de monde, et ce qu’il appelle « les foutaises de l’art contemporain » comme le « Body Art » ou le « Dirty Art ». Le croyant et le philosophe « Je suis habité par toutes ces questions existentielles. Quand on m’a montré qu’il y avait un métier où l’ on pouvait écrire sur sa passion de s’interroger, de réfléchir et de raisonner, j’ai bien évidemment choisi de l’exercer. Ça m’apparaissait un luxe incroyable de réfléchir à la condition humaine et de transmettre la culture de l’humain. Et en même temps, j’ai fait de la philosophie parce que j’en avais besoin comme d’une colonne vertébrale pour tenir debout, parce que la philosophie m’a guéri de beaucoup d’angoisses. » Et la foi, dont il se veut un témoin depuis une expérience spirituelle qu’il a eue dans le désert (voir encadré), n’est-elle pas antinomique avec la philosophie ? « La foi et la philosophie ne sont pas contraires, mais distinctes. En tant que philosophe, je suis agnostique. C’est la seule position philosophique que je peux avoir sur les questions métaphysiques. Et ça consiste à dire : je sais que je ne sais pas. Croire ce n’est pas une position philosophique. Être athée non plus. Donc l’homme en moi est croyant, pas le philosophe. Quand j’écris je reste toujours philosophe. Mais on peut percevoir derrière mes mots que l’homme est croyant. » Quelle est la place du dramaturge et du romancier ? Pourquoi vous êtes-vous d’abord lancé dans l’écriture scénique, avant d’aborder le roman ? «Je n’ai pas commencé par l’écriture dramaturgique. J’ai privilégié le théâtre, parce que le théâtre m’a tout de suite fait la fête. Il m’a tout de suite reconnu. Les directeurs de salles se sont arraché mes pièces, les comédiens voulaient jouer les rôles que je leur offrais… Ça me fait un peu peur, parce que je me dis, que ce succès, que je ne m’explique pas, peut s’arrêter tout aussi inexplicablement », dit-il – faussement ?– modeste. On peut cependant présumer que son talent n’y est pas étranger. Ce n’est quand même pas pour rien qu’Alain Delon est sorti de trente-cinq ans de refus des planches pour créer un des personnages des Variations énigmatiques. « C’est vrai que dès qu’il a eu mon texte en mains, il m’a appelé pour me dire : “Voilà la pièce que j’attendais depuis vingt-cinq ans ” », raconte l’auteur flatté. Et nous au Liban ? Quand aurons-nous enfin la chance d’assister à au moins une des fameuses pièces d’Éric-Emmanuel Schmitt ? Pour le plaisir d’en sortir – comme de la lecture de ses romans ou d’une discussion avec lui – avec un sentiment vivifiant d’intelligence ! Zéna ZALZAL Au programme d’aujourd’hui : Ghassan Tuéni, Jean Lacouture, Gérard Khoury... - Signatures : 17h : Georges Rubeiz (Internationale). 19h : Odile Bordaz (Sélection) ; Walid Kassir (Le Point). 19h30 : Olivier Germain-Thomas (Le Point). 20h : Jean Lacouture, Ghassan Tuéni et Gérard Khoury (Antoine) ; M. Ocelot (La Phénicie) ; Jean-Pierre Andrevon (Rearden) ; Marie-Aude Murail (Lectures Diffusion). – Conférences : Salle Victor Hugo: « Découvertes récentes à Tell Arqua, Liban », par Jean-Paul Thalmann, à 17h ; « Réflexion sur le renvoi : contribution au dialogue des cultures en droit international privé », Walid Kassir à 18h ; Présentation du livre : Un siècle pour rien (Jean Lacouture, Ghassan Tuéni et Gérard Khoury) par Henri Laurens, à 19h. Salle des Quat’ Zarts : « Les écrivains français et l’Inde : Malraux, Michaux, Simone Well, Grenie, D’aumale » par Olivier Germain Thomas, à 18h30. -Café littéraire : Gérard Meudal reçoit Marie-Aude Murail, Michel Ocelot et Jean-Pierre Andrevon. -Écran littéraire : Kirikou et la sorcière, 1998, 1h10, réalisateur Michel Ocelot, à la salle Quat’Zarts. -Café musical : Thibaut Cavaillès présente à 18h, Kid Loco et Gel. Expérience spirituelle Éric-Emmanuel Schmitt a décidé un jour de témoigner de sa foi, suite à l’ expérience spirituelle qu’il a vécue dans le désert, au cours d’un voyage d’aventure. « En 1989, je suis parti dans le Sahara, avec un groupe de dix personnes. Nous marchions des journées entières, accompagnés de deux guides Touaregs et de chameaux pour transporter les vivres. Un jour, en faisant l’ascension d’une montagne je me suis perdu. En fait, arrivé au sommet de cette montagne, j’ai décidé que j’en redescendrais en premier. Je suis descendu à toute vitesse, marchant pendant des heures et des heures sans jamais me retourner, et sachant pertinemment que j’étais en train de me perdre. Plus je me rendais compte que je me perdais, plus je marchais vite, comme si je me rendais à un rendez-vous. C’était de la folie pure, parce qu’on était à 300 kilomètres du village de Tamanrasset. J’avançais, j’avançais. Et tout à coup la nuit est tombée, très rapidement comme c’est le cas au mois de février, amenant avec elle le froid et le vent. Je me suis retrouvé sans rien à boire, sans rien à manger, en short et tee-shirt, seul au milieu du désert. Je me suis terré derrière un rocher et me suis enfoncé dans le sable pour ne pas avoir froid. Et j’ai attendu sous les étoiles. Mais au lieu d’avoir peur, j’étais confiant. Cette nuit a transformé ma vie. J’y ai reçu la grâce, la vrai foi. Parce que cette confiance, elle m’avait été donnée, elle ne venait pas de moi. Ces heures ont été comme un instant suspendu. Un immense instant mystique. Une expérience ineffable, très difficile à expliquer. Cette nuit-là j’ai compris que le monde avait un sens. Qu’il y avait un ordre, un Dieu. Ce Dieu n’était pas identifié, c’était l’Absolu. » Et le lendemain ? « Eh bien le matin, je me suis rendu compte que j’avais le soleil en face de moi. J’ai alors compris que j’étais de l’autre côté de la montagne. J’ai repris ma marche, passant la moitié de la journée à escalader à nouveau la montagne, la deuxième à en redescendre l’autre versant. Et j’ai aperçu le campement. Le guide Touareg qui a de très bons yeux m’a lui aussi vu à travers les rochers. Il est monté me chercher. Et là j’ai vu à son expression, que mes compagnons avaient eu très peur. Ils avaient passé la nuit à me chercher, à m’appeler en vain, et ils pensaient que j’étais au fond d’une crevasse, le crâne fracassé. Je ne suis plus le même homme depuis ce jour-là. » Vous n’avez plus jamais peur ? « J’ai peur de choses idiotes, jamais de choses importantes », dit-il dans un rire.« Et surtout, ajoute-t-il, depuis on peut s’accrocher à moi. Je ne tombe jamais. »
Normalien, agrégé de philosophie, Éric-Emmanuel Schmitt est une des grosses pointures invitées au Salon du livre. Carrure impressionnante et voix douce, cet écrivain relativement peu connu chez nous est un des auteurs dramatiques contemporains les plus joués dans le monde francophone, c’est-à-dire dans plus de trente-cinq pays. Cela ne le rend pas le moins du monde imbu de sa...