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Actualités - INTERVIEWS

Loi électorale - La circonscription unique avec vote majoritaire est une hérésie Joseph Bahout : « L’entente nationale passe par une représentation fidèle »(photo)

La mise en place par le ministère de l’Intérieur d’une commission chargée de recueillir les suggestions relatives à l’élaboration d’une loi électorale est une « feuille de vigne », affirme Joseph Bahout. « On oublie souvent qu’une loi électorale n’est pas tant un problème technique que le fruit d’une concertation politique », relève le politologue dans une entrevue accordée à L’Orient-Le Jour. Formée de fonctionnaires, cette commission ne servira peut-être qu’à légitimer la démarche visant à l’adoption du projet initial prônant la circonscription unique avec un mode de scrutin majoritaire, dit-il. Une proposition qui n’a pas manqué de provoquer une levée de boucliers au sein de la classe politique, notamment chez certains loyalistes dont on n’attendait pas des réactions aussi virulentes. Cette attitude, relèvent les experts, s’explique notamment par l’aberration que représente une telle formule aux effets néfastes innombrables. La nouvelle proposition prévoit en outre la création d’un Sénat représentatif des différentes communautés, « histoire de faire avaler la pilule », ont dit certains. L’annonce d’un projet de circonscription unique a fait l’effet d’un bombe au sein d’une opposition qui se sent marginalisée à outrance. Même réflexe au sein du camp loyaliste qui a tout à perdre avec un système bâtard qui risque de remettre en cause les fondements même de sa légitimité. Par conséquent, et par-delà l’aspect électoral proprement dit, c’est l’esprit même de Taëf qui est menacé, la nouvelle proposition étant une atteinte claire au pacte d’entente nationale et en contradiction totale avec le principe de représentation. Au fait, que cherche-t-on exactement à réaliser par le biais de la consultation électorale ? S’il s’agit, comme l’affirment les responsables politiques depuis un certain temps, de « sceller la cohésion interne », force est de constater que les différentes lois électorales confectionnées jusqu’à présent n’ont jamais atteint ce but. On pourrait en dire autant du déroulement même des différentes consultations. Joe Bahout constate que la réalisation de l’unité nationale est certes un des objectifs fondamentaux des élections. Cependant, pour des raisons politiques et idéologiques, cet argument semble être devenu prioritaire aux dépens des autres fonctions clés, notamment celle de la représentation. « Or, dit-il, la coexistence et l’unité ne peuvent se faire que si la représentation est assurée. En d’autres termes, il n’est pas possible d’imposer une unité qui fait fi de l’impératif de la représentation. » Un impératif d’autant plus difficile au Liban que la coexistence est rendue complexe par un pluralisme communautaire reflété dans l’esprit du pacte national. Reste à savoir comment concilier les « deux exigences nationales » que sont la volonté de vivre en commun et le besoin de représentation qui doit être aussi fidèle que possible. Un objectif qui s’impose surtout lorsque l’on sait que les élections de 1992, de 1996 et dans une certaine mesure celle de 2000 ont provoqué un large boycottage de la part d’une frange importante de la population. Bien qu’imparfaite, la loi électorale maintes fois remaniée devient complètement illusoire avec l’adoption d’une circonscription unique selon le système majoritaire, se transformant ainsi en un instrument d’exclusion plutôt que de cohésion. « Une hérésie en soi », commente le politologue, la règle de base étant l’adoption du système majoritaire avec une circonscription réduite et la proportionnelle avec une circonscription large, avec notamment l’introduction de petites doses de vote majoritaire selon les cas, pour atténuer les injustices de ce mode de scrutin. Or, dit M. Bahout, en adoptant un système hybride tel que celui qui a été avancé par le ministre de l’Intérieur, Élias Murr, on ne peut qu’aboutir « à un système totalitaire dans lequel l’opposition, les groupes minoritaires ou marginalisés seraient de facto éliminés ». Cela s’appliquerait aussi bien à l’opposition, à certains partis tels que le Hezbollah, et même aux leaders traditionnels qui ne seraient plus élus par leur base. « On ignore souvent que la fonction principale dévolue au Parlement libanais est de permettre précisément l’expression des angoisses identitaires, une fonction qui, pour le moment, est incontournable. » D’où la nécessité d’une représentation équitable qui ne peut être assurée que par le biais d’une loi électorale consensuelle. D’ailleurs, qui dit loi électorale dit nécessairement mode de scrutin, un facteur qui est souvent escamoté au Liban où les discussions portent presque exclusivement sur la taille de la circonscription, fait remarquer Joe Bahout. Or, selon la formule proposée, la circonscription unique avec un vote majoritaire ne peut en aucun cas s’appliquer, encore moins au système libanais, dans la mesure où l’on « oblige les électeurs » à voter pour une liste de 128 candidats parachutés par le « parrain » de la liste. En d’autres termes, il s’agit d’« un système extrêmement explosif », dit l’analyste. Ainsi le concept de circonscription unique est irréalisable même en cas d’adoption de la proportionnelle, qui suppose le choix d’une hiérarchie selon laquelle doivent se présenter les candidats, les premiers de la liste étant élus sur la base du pourcentage obtenu, dit-il. En l’absence de partis politiques structurés et de tradition démocratique à qui incombent normalement la sélection et le choix de l’ordre dans lequel les candidats doivent apparaître sur une liste donnée, la question est de savoir qui sélectionnera, et selon quels critères, les candidats potentiels. Qui décidera qu’untel doit figurer en tête de liste, au second ou au soixante-dixième rang ? « L’autorité de tutelle ou, à défaut, les hommes au pouvoir », répond M. Bahout. Un scénario qui n’est pas non plus à écarter en cas de vote majoritaire. Émergence des partis politiques Dire que les partis politiques doivent exister préalablement à la loi électorale est un cliché, relève M. Bahout. « Si l’on revoit l’histoire de l’émergence des partis politiques en Occident, on constate qu’ils sont nés soit après l’adoption du mode de scrutin, et non l’inverse, soit à cause de l’histoire politique et des données sociologiques du pays. » » Par conséquent, si l’on veut réellement permettre l’émergence des partis au Liban, c’est la proportionnelle avec un système de liste qui convient le plus, dans la mesure où il contribue « à arracher les citoyens à leur identification primaire », précise-t-il. Tant que le système communautaire existe, enchaîne M. Bahout, il est difficile d’adopter la proportionnelle. Si la loi proposée par le M. Murr comprend autant de vices, quel est alors l’intérêt d’une telle initiative ? Le politologue, qui rejoint tous ceux qui estiment qu’il s’agit d’un ballon d’essai consistant à exiger le plus pour obtenir le moins, affirme qu’il ne faut pas exclure un éventuel retour au mohafazat comme circonscription, « sauf si un événement grave pousse à la mise en œuvre d’une telle idée ». Il est indéniable que cette proposition, que l’on avance régulièrement depuis le début des années 1990, n’est pas propre au régime actuel et constitue une épée de Damoclès brandie au-dessus de la tête de l’opposition. « Elle fait partie de la stratégie syrienne qui consiste à gérer le pays à distance et se recoupe avec les velléités du pouvoir actuel, qui partage cette même rhétorique unificatrice, un peu simpliste d’ailleurs », relève M. Bahout. Quant au projet de la création d’un Sénat, « qui est déjà assez nébuleux dans la Constitution », il va nécessairement engendrer des conflits de compétence avec le Parlement. « Il y a à craindre que d’ici à sa création, on se rende compte qu’il s’agit d’une institution qui risque de faire double emploi avec la Chambre basse. Entre-temps, on aura fait passer en douce une loi électorale inique », conclut l’analyste. Jeanine JALKH
La mise en place par le ministère de l’Intérieur d’une commission chargée de recueillir les suggestions relatives à l’élaboration d’une loi électorale est une « feuille de vigne », affirme Joseph Bahout. « On oublie souvent qu’une loi électorale n’est pas tant un problème technique que le fruit d’une concertation politique », relève le politologue dans une...