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Actualités - CHRONOLOGIE

Lahoud : Le Liban, lieu privilégié du dialogue des cultures

Le président Émile Lahoud a souligné, dans le discours qu’il a prononcé hier à la cérémonie d’ouverture du Sommet de la francophonie, que le Liban est « un lieu privilégié du dialogue des cultures ». Le chef de l’État a, d’autre part, condamné toute action militaire contre l’Irak ainsi que le projet du « Syria Accountability Act » actuellement à l’étude au Congrès américain. Nous reproduisons ci-dessous le texte intégral du discours du président Lahoud. Les intertitres sont de la rédaction : « En vous souhaitant la bienvenue, il me plaît de croire que lorsque vous avez, pour la tenue de ce IXe Sommet de la francophonie, choisi un pays, le Liban, et un thème, le dialogue des cultures, vous avez fait non pas deux mais un seul et même choix. Et que ce choix reflète votre conviction que, du dialogue des cultures, mon pays est un lieu privilégié. « Il l’est par son histoire : ici, depuis le Néolithique, cultures et civilisations se croisent, se succèdent et leurs sédiments sont le socle millénaire de notre identité. Il l’est aussi par la structure particulière de sa population. La diversité de nos familles spirituelles se prolonge, du fait de l’extension planétaire de notre diaspora, en une pluralité d’appartenances à toutes les aires linguistiques et culturelles. Arabophones d’abord, nous sommes aussi anglophones, hispanophones, lusophones... Et la langue française, à laquelle notre attachement est plusieurs fois séculaire, fait à nos yeux partie intégrante de notre patrimoine. Votre présence parmi nous en témoigne. Elle nous honore et nous réjouit. « Mais à notre joie se mêle une inquiétude : ce Sommet se tient en effet dans une région du monde où, depuis près d’un siècle, est perpétrée une des grandes injustices de l’histoire. Vous en savez les étapes sanglantes. Rappelez-vous simplement qu’il y a cent ans la population non arabe de Palestine n’excédait pas quelques milliers et qu’elle atteint aujourd’hui plus de quatre millions dans un État créé pour elle par la colonisation et la conquête. « Débordant la Palestine, cette conquête l’avait même portée jusque dans notre capitale, réduisant en cendres ces lieux où je vous accueille aujourd’hui. Nous avons, depuis, libéré la plus grande partie de notre territoire grâce à la résistance de notre population, l’aide de nos frères arabes et nos appuis internationaux. Mais l’occupation israélienne demeure sur une partie du Liban-Sud, le Golan et les Territoires, où parler d’Autorité palestinienne est devenu, hélas, un euphémisme. « À l’aube du XXIe siècle où les nations civilisées tentent légitimement d’éradiquer le terrorisme, l’occupation israélienne le perpétue sous sa forme la plus perverse : celle du terrorisme d’État. Pervers, il l’est triplement : il l’est par les massacres odieux auxquels il soumet la population autochtone ; il l’est aussi par les réactions désespérées auxquelles il force cette population même. Si nous réprouvons la violence contre toute population civile, nous devons comprendre que celle que subit la population israélienne est fille de l’horreur dont l’État israélien accable la population civile arabe à son tour. Ce terrorisme est pervers enfin parce que, pour justifier un expansionnisme et une colonisation qu’on croyait d’un autre âge, il se travestit en ce qui est précisément son contraire. « Exploitant l’émotion que les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis ont soulevée dans le monde, Israël tente, souvent hélas avec succès, de présenter sa répression de la résistance arabe comme une application locale de la lutte mondiale contre le terrorisme. Le terrorisme d’État se vêt en d’autres termes des oripeaux de la prétendue croisade antiterroriste et détourne à son profit la soi-disant théorie du « choc des civilisations », dont il proclame être, au Moyen-Orient, une manifestation. « Est-il besoin de rappeler que cette « théorie » recèle une contradiction dans les termes ? Parce qu’en se civilisant une société devient plus humaine, elle ne peut, du fait même de cette montée en humanisme, que s’ouvrir à l’échange pacifique. Opposer les civilisations dans la guerre, c’est les nier dans leur principe même et confirmer les appréhensions de ce pessimiste qui craignait qu’en se civilisant “l’homme n’ait fait que compliquer sa barbarie et raffiner sa misère”. Une coexistence harmonieuse « L’importance de ce Sommet de Beyrouth est là : elle est d’affirmer, sur cette terre de brassage culturel millénaire qu’est le Liban, que le dialogue des cultures peut être plus fort que l’affrontement des barbaries déguisé en choc des civilisations. « Si l’humanisme est l’ensemble des valeurs universelles qui fondent l’unité de la condition humaine, la conscience de cette unité est historiquement récente. C’est le monothéisme qui l’inaugura, par l’idée de l’unité des hommes en Dieu. « Or, bien que les valeurs qui les unissent soient universelles, les environnements où les hommes naissent, vivent et meurent sont particuliers. Nous sommes tous en situation, issus d’un pays, enracinés dans une terre. Cet enracinement, cette particularité désignent la culture, ou plutôt les cultures qui sont les manières différentes dont les sociétés humaines vivent l’universelle condition. « Le dialogue des cultures tend à concilier cette aspiration à l’universel et la réalité des situations particulières. Car différence ne signifie pas rejet, particularité, particularisme. Au contraire : la différence est le préalable du dialogue, et la culture ne vit que par l’échange. Si bien que parler de dialogue des cultures ou de culture du dialogue revient à parler de la même chose. « La mondialisation se caractérise par le développement des techniques modernes. Elle risque certes d’être facteur d’uniformisation et partant de mort culturelle, mais elle peut aussi, selon l’usage qui en est fait, révéler l’immense variété du monde et lui insuffler plus de vie. « L’anglais est aujourd’hui la première langue de l’échange international, mais rien ne dit que d’autres langues ne connaîtront pas, grâce aux techniques modernes, un essor encore insoupçonné. Au-delà de la langue, et sur le plan du patrimoine culturel, l’Internet donne aujourd’hui à tous accès au « musée imaginaire » hier réservé à une minorité privilégiée. Le développement accéléré des moyens de transport est en train de faire du tourisme la première industrie du XXIe siècle. Par elle, les richesses des différentes cultures du monde ne sont plus l’apanage de quelques patriciens du voyage, mais sont à la portée du plus grand nombre et deviennent le bien de tous. « N’hésitons pas en tout cas à proclamer que l’attachement aux identités – aux exceptions – culturelles est d’abord de nature politique : il est la résistance des entités nationales à la montée d’un pouvoir mondial aux contours encore imprécis – économiques, politiques, militaires –, mais incontestablement sous l’influence de la superpuissance d’aujourd’hui. « Car la référence culturelle est consubstantielle de l’émergence, à partir du XVIIIe siècle, des nations modernes. Elle est constitutive du patrimoine populaire des nations sur lesquelles l’ordre international, depuis le siècle des Lumières, repose. « Réfléchir sur le dialogue des cultures, c’est certes rechercher les voies d’une coexistence harmonieuse des cultures les unes avec les autres, et toutes avec l’ensemble mondial tissé par les technologies nouvelles. Mais c’est surtout penser le dialogue des nations les unes avec les autres, et toutes avec l’imperium mondial qui se dresse à l’aube du IIIe millénaire. C’est poser, sans conteste, le problème politique majeur de notre temps. « Ce problème est à la fois celui des nations classiques anciennement établies et celui des sociétés politiques qui n’ont pas encore achevé leur construction nationale. « Au sein des premières, deux préalables sont réalisés qui favorisent l’harmonisation des différents groupes culturels, sociaux et politiques : une longue tradition d’intégration nationale et une prospérité économique fruit de deux siècles d’industrialisation. L’absence de ces deux préalables dans nos pays moins développés rend compte des difficultés qu’ils doivent affronter aujourd’hui pour, d’une part, préserver leur cohésion culturelle et partant leur identité politique et affronter, d’autre part, le danger de dépersonnalisation découlant des avatars de la mondialisation. Le grand paradoxe « Une profonde fracture économique, sociale et politique déchire le monde et prouve jusqu’à la cruauté que loin de faire de la planète un ensemble homogène, la mondialisation a rendu plus évident le fossé entre une minorité privilégiée et une majorité en désespérance. « C’est dire le grand défi, voire le grand paradoxe, auquel le dialogue des cultures nous confronte à l’ère de la mondialisation. Car pour être fécond ou tout simplement possible, tout dialogue doit s’établir entre des partenaires sinon rigoureusement égaux du moins relativement comparables. Sans partager le pessimisme de ceux qui, conscients de l’immensité de l’écart entre les différentes régions du monde, désespèrent de le voir comblé un jour, reconnaissons que les efforts tentés dans ce sens ont été décevants. Et que si, en termes absolus, les pays pauvres le sont moins aujourd’hui qu’il y a cinquante ans, l’écart comparatif entre eux et les plus riches n’a cessé de se creuser, surtout dans la dernière période de libéralisme débridé. « Livrée sans contrôle à la logique du marché, l’économie mondiale a tellement enrichi les plus riches que les pauvres n’en paraissent que plus pauvres encore. En d’autres termes, tel que pratiquée aujourd’hui, la mondialisation ne peut que produire plus d’inégalité et rendre le fossé entre le Nord et le Sud plus béant chaque jour. « Cette béance rappelle celle qui, aux premiers temps de la révolution industrielle et dans le cadre des États nationaux, séparait les classes sociales et les dressait les unes contre les autres. Dans le contexte des moyens de communication de cette époque, le territoire national était encore l’espace principal de l’économie et de l’échange : le marché et la nation coïncidaient. Les contradictions du capitalisme et ses inégalités sociales se criconscrivaient dans les limites de l’État national. « Aussi est-ce naturellement de ce dernier que procéda la réponse, par le réformisme économique et social, réconciliant l’initiative privée et une direction démocratique de l’économie. Synthèse du socialisme et du capitalisme, il intégra la revendication de justice du premier et le principe de liberté du second dans la solidarité nationale retrouvée. « Cette synthèse sous l’égide de l’État fut possible parce qu’elle s’effectua dans un environnement où l’espace économique et l’espace politique concordaient. C’est cette concordance qui aujourd’hui, dans le contexte de la mondialisation, fait défaut. Si les excès du libéralisme économique ont pu, dans le cadre national, être maîtrisés et ses abus corrigés, c’est qu’il existait dans ce cadre une autorité politique ayant pouvoir de le faire. Dans le cadre mondial actuel, cette autorité est inexistante et nulle puissance, si grande soit-elle, ne saurait unilatéralement la remplacer. Le cas de l’Irak « Ce refus de l’unilatéralisme nous dicte, à nous Libanais, un axiome permanent de notre diplomatie, qui est l’attachement à l’organisation des Nations unies, autorité suprême responsable du règlement des conflits internationaux. Il nous impose par là-même le rejet de tout contournement de l’Organisation mondiale dans les crises qui, comme la crise irakienne actuelle, relèvent de sa compétence. « Nous nous conformons à cet égard à la décision unanime du Sommet arabe de Beyrouth en mars dernier, qui condamne dans son principe toute action militaire étrangère contre un pays arabe, notamment l’Irak. Et les deux arguments invoqués à l’appui d’une telle action, à savoir le non-respect par l’Irak de certaines résolutions des Nations unies et sa production d’armes de destruction massive, resteront peu convaincants aussi longtemps qu’Israël, qui s’est doté de l’arme nucléaire, continuera d’ignorer impunément un grand nombre de résolutions votées par l’Onu depuis 1948. « Une des violations israéliennes les plus graves de la légalité internationale est constituée par l’insistance de l’État hébreu à considérer Jérusalem comme sa capitale. Et la récente promulgation par le président des États-Unis d’une loi portant transfert de l’ambassade de son pays dans la Ville sainte équivaut à avaliser une entorse inadmissible au droit international. « Rigueur à l’égard des uns, indulgence à l’égard des autres : de cette politique des deux poids, deux mesures, le projet dit du « Syria Accountability Act », en discussion au Congrès des États-Unis au moment où la conscience universelle attend un « Israel Accountability Act », est à son tour une illustration. Ce projet injustifié s’explique, hélas, par la traditionnelle faiblesse américaine devant les groupes de pression pro-israéliens. « Nous espérons en tout cas que cette faiblesse ne se manifestera pas encore une fois à l’occasion de la mauvaise querelle qu’Israël nous cherche sur la question des eaux du fleuve Wazzani au Liban-Sud, et nous réitérons notre détermination à exploiter ces eaux pour assurer les besoins vitaux de notre population, conformément au droit international. « C’est dire, Mesdames et Messieurs, les implications immenses et la richesse inépuisable du thème du dialogue des cultures que vous avez choisi pour votre Sommet de Beyrouth. « Par ses ramifications innombrables, politiques, économiques, culturelles et morales, ce choix nous oblige et nous engage. Il nous engage à lutter pour plus de justice entre les hommes et plus de dignité. Justice et dignité sans lesquelles le dialogue serait un vain mot. « La culture aussi. « Je vous remercie. »
Le président Émile Lahoud a souligné, dans le discours qu’il a prononcé hier à la cérémonie d’ouverture du Sommet de la francophonie, que le Liban est « un lieu privilégié du dialogue des cultures ». Le chef de l’État a, d’autre part, condamné toute action militaire contre l’Irak ainsi que le projet du « Syria Accountability Act » actuellement à l’étude au...