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Actualités - OPINION

REGARD - Fadia Haddad : « Masques et oiseaux », œuvres sur papier Les masques nous regardent

Depuis longtemps, Fadia Haddad est obsédée par les oiseaux, leurs becs, leurs yeux, leurs pattes, leurs ailes, leurs formes aérodynamiques qui fendent l’air et transpercent l’espace sans peine. Libanaise de Paris, elle ressemble elle-même à un petit oiseau tombé du nid. Hors de portée Est-ce pour cela qu’elle ne cesse de dessiner et de peindre, en larges graphismes noirs faussement naïfs, faussement malhabiles, faussement enfantins, des oiseaux anonymes, ni aigles ni passereaux, tristes, désabusés, sous-alimentés, aux corps étiques étirés sur des fonds gris feutrés à peine teintés de rose, de violet, de bleu, de vert et d’autres nuances assourdies ? Les oiseaux de Fadia Haddad, solitaires, en couples ou en essaims, planent haut et glissent en silence, absorbés en eux-mêmes, loin d’atteinte. Ce ne sont pas des proies virtuelles, nul chasseur ne les guette. Ils volent dans un espace à part, celui de l’œuvre, hors de portée des contingences. Leur vitalité transparaît dans leurs mouvements élastiques. Ainsi et pas autrement À l’image de ses oiseaux, Fadia Haddad est taciturne, son langage se réduit à des résumés, quelques traits elliptiques, efficaces, nécessaires et suffisants qui se refusent à dire la liberté, l’affranchissement des contraintes, la traversée des limites, des apparences, des miroirs, l’expérience de la transcendance, l’extase de l’infini, la quête initiatique, la beauté du chant, l’enchantement de l’amour, la transverbération de la jouissance orgasmique, la transmission des messages célestes, l’acuité de l’intellect, l’immortalité de l’âme, l’apesanteur de l’esprit, la transparence des états supérieurs de l’être, la célérité des anges, la légèreté de la communication, les grâces et les dons des dieux, les décrets du destin, les mystères de l’ornithomancie, la sublimité de la lumière, l’esprit divin planant sur les eaux primordiales, les pulsions psychiques, la libido, Eros et Thanatos, le logos, le Saint-Esprit. Non, les oiseaux de Fadia Haddad ne sont ni de bon ni de mauvais augure, ils ne sont ni les âmes des vivants ni les âmes des morts, ils ne parlent pas le langage des oiseaux et ne révèlent ni les arcanes de l’inconscient ni les secrets de l’au-delà. Ils ne sont perchés sur aucun arbre de vie ni aucun arbre du monde. Non, les oiseaux de papier et de peinture de Fadia Haddad ne symbolisent rien en dehors d’eux-mêmes, de leur être-oiseau. Simplement, ils sont. Ils sont ainsi et pas autrement En ce sens, ils sont peut-être, malgré tout, les symboles de l’aséité, de l’être-ainsi. Et par là, ils disent ce qu’est l’art d’aujourd’hui : justement, être ainsi, tel quel, sans préceptes, libre de voguer dans un non-lieu illimité. Présences graphiques Et Fadia Haddad, elle aussi, est ainsi, pas autrement. Elle voit partout des oiseaux et en orne même, minuscules figures, telles qu’on en voit surmonter traditionnellement maint objet oriental usuel en cuivre, ce qui la ramène à ses rives natales, les masques qu’elle dessine sur du papier quadrillé et du papier à musique, ou plutôt des feuillets de partitions de pièces concertantes, d’airs d’opéra avec clés, notes et indications de tempo : crescendo, accelerando, diminuendo… qui pourraient qualifier, d’ailleurs, les mouvements des volatiles. Les notes sont des oiseaux perchés sur les lignes des portées et les oiseaux des instruments de musique. Pas étonnant de les voir associés. Les masques, eux, sont des gribouillis ou des bouillies de visages. Ils ne sont des masques que pour la commodité du sens, du déchiffrement. Ce sont des présences graphiques qui peuvent se passer de sens. Malgré tout, le regard, mal à l’aise dans l’indéterminé, cherche et finit par trouver, comme lorsqu’il scrute un mur décrépit, des figures familières. Dans l’ordre des choses Ici, le masque peut être visage comme il peut être crâne, tête de vivant comme tête de mort. Il flotte dans un entre-deux, suspendu dans l’espace virtuel qui sépare la vie de la mort. Le regard le fait basculer tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Ou plutôt il le coagule : masque de théâtre, masque de carnaval, masque de danse, masque rituel, divin, satanique, diabolique, masque votif, masque funéraire ? Masque d’exaltation de soi ou de dissimulation, de profession de foi ou d’hypocrisie ? Masque pour cacher ou masque pour révéler ? Souvent, dans les cultures exotiques, les masques représentent des oiseaux ou sont surmontés par des oiseaux, et sont des moyens de communiquer avec le monde invisible, de le maîtriser et de le manipuler ou, au contraire, de se laisser dominer et contrôler par les forces qui le hantent. Ils sont médiateurs comme les oiseaux, ils unissent le ciel et la terre, le bien et le mal, les esprits et les hommes. Il est donc tout à fait dans l’ordre des choses que Fadia Haddad passe des oiseaux aux masques, des masques aux oiseaux et qu’elle finisse par appareiller ces deux figures archétypales. Objet de pure apparence figée, privé de substance, le masque de théâtre gréco-romain dit persona a donné, lexicalement du moins, la notion capitale de personne, substance vivante, complexe, contradictoire, mouvante, changeante, insaisissable. Peut-être, entre autres, parce qu’elle ne cesse de revêtir et d’ôter, tour à tour, toutes sortes de masques, bien qu’elle en possède un principal dit justement persona. Là aussi, les masques de Fadia Haddad sont des masques, rien de plus. Associés ou pas aux oiseaux, ils disent leur être-masque. Et, au-delà, leur être-graffiti, leur être-dessin, leur pur être-là. Il n’y a rien à chercher, rien à comprendre, il n’y a qu’à regarder. Nous regardons les masques, les masques nous regardent. Ils ricanent. Nous sourions. (Galerie Alice Mogabgab) Joseph TARRAB
Depuis longtemps, Fadia Haddad est obsédée par les oiseaux, leurs becs, leurs yeux, leurs pattes, leurs ailes, leurs formes aérodynamiques qui fendent l’air et transpercent l’espace sans peine. Libanaise de Paris, elle ressemble elle-même à un petit oiseau tombé du nid. Hors de portée Est-ce pour cela qu’elle ne cesse de dessiner et de peindre, en larges graphismes noirs faussement...