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Actualités - INTERVIEWS

INTERVIEW - Trois épouses dans le malheur se confient à « L’Orient-Le Jour » L’anniversaire du 7 août, une épreuve supplémentaire pour les familles Hindi, Younès et Bassil(PHOTOS)

Depuis un an, après la visite du patriarche Sfeir au Chouf scellant la réconciliation druzo-chrétienne dans cette région, suivie des rafles du 7 août dans les rangs de l’opposition chrétienne, trois femmes, Claude Toufic Hindi, Mireille Habib Younès, et Reine Antoine Bassil vivent les heures les plus difficiles de leur existence. « Injustice », c’est le même terme qui revient dans la bouche de ces trois femmes bien différentes les unes des autres, mais qui ont toutes un point commun : en août dernier, leurs époux ont été arrêtés, détenus au ministère de la Défense et accusés de collaboration avec l’ennemi. Toufic Hindi, conseiller politique du chef des FL dissoutes Samir Geagea, Habib Younès, secrétaire de rédaction au quotidien al-Hayat, et Antoine Bassil, correspondant de la radio MBC à Beyrouth, avaient été condamnés par le tribunal militaire permanent, en mars 2002, à diverses peines de prison. En juillet dernier, la Cour de cassation militaire confirmait le jugement tout en allégeant les peines des trois hommes. « En un an, j’ai appris que ce genre de malheur n’arrive pas qu’aux autres », indique Claude Hindi, affirmant que c’est bien son mari qui est « le symbole du 7 août ». « Le pouvoir a voulu le faire taire », indique-t-elle en expliquant qu’en arrêtant le conseiller politique du chef des FL, « l’État a voulu bâillonner le courant le plus fort de l’opposition ». Pour elle, si son mari a été arrêté et traduit en justice, « c’est parce qu’il est modéré et qu’ il a un esprit d’ouverture sur les musulmans et le monde arabe ». « Samir Geagea avait vu en lui un homme d’avenir et de paix. Toufic a entamé des contacts avec le mouvement Amal et le Hezbollah, il a joué un grand rôle auprès du patriarche Sfeir et de Walid Joumblatt pour la grande réconciliation de l’année dernière », souligne Claude Hindi, relevant que son époux « a montré les Forces libanaises sous un autre jour et cela n’a pas plu au pouvoir ». « Il a été le premier, en 1996, à se rendre à Paris pour déclencher le dialogue avec Michel Aoun, Amine Gemayel et Raymond Eddé. Il est l’un des fondateurs du Rassemblement de Kornet Chehwane qu’il voulait ouvrir aux musulmans », ajoute-t-elle. Claude Hindi laisse éclater sa rage : « Toufic est victime de l’injustice et je fais assumer à l’État, au gouvernement et ses services la responsabilité de sa sécurité et celle de toute ma famille une fois qu’il sera remis en liberté », relève-t-elle. A-t-elle reçu des menaces ? « Non, mais on ne sait jamais avec la situation de la sécurité dans le pays... », dit-elle. C’est en novembre prochain que le conseiller politique du chef des FL dissoutes sera remis en liberté. Claude déclare qu’une fois Toufic Hindi sorti de prison, elle encadrera le verdict rendu par la Cour de cassation militaire et l’accrochera dans son salon. « Ce sera comme une relique, une médaille d’honneur que l’État a remis à Toufic, un homme droit, honnête et ouvert à tous », explique-t-elle. « Il sortira grandi de prison, d’ailleurs mes enfants savent que leur père est un héros », dit-elle. Sara, 12 ans et demi, et Nicolas, 14 ans, ont mûri beaucoup plus vite que les enfants de leur âge. Bien que traumatisés par l’arrestation et l’emprisonnement de leur père, « ils n’ont jamais eu d’aussi bons résultats à l’école », indique Claude qui accompagne tous les samedis, depuis septembre dernier, ses enfants à la prison de Roumié. Claude Hindi sait que sa fille n’oubliera jamais le moment de l’arrestation de son père. Elle sait aussi que son fils, qui n’était pas à la maison ce soir-là, n’en est pas sorti intact. « Les deux sont actuellement en colonie de vacances, hier Nicolas m’a téléphoné pour me dire maman on arrête papa dans deux jours », raconte-t-elle. Depuis un an, Claude Hindi assume courageusement la situation. Elle se rend quatre fois par semaine à Roumié, porte livres, linge propre et plats cuisinés à son époux, qui partage – pour des raisons de sécurité – sa cellule avec un seul détenu. Elle passe son temps entre ses visites à la prison, ses enfants, et son programme « Tahkik » à la MTV. « Avant je restais avec Toufic, on recevait du monde, on discutait, on allait au cinéma », dit-elle soulignant qu’elle « aime beaucoup les visites à Roumié, c’est le seul endroit actuellement où je peux me retrouver avec mon mari pour discuter et lui raconter des choses ». Et d’ajouter : « Et puis, c’est de loin mieux que le ministère de la Défense ». « La première fois que j’ai vu Toufic onze jours après son arrestation, c’était bien à la prison de Roumié », dit-elle comme pour expliquer que cette prison est un endroit rassurant qui marque la fin de l’étape qu’elle avait vécue au début de l’arrestation de son mari. Depuis son incarcération et jusqu’à ce que le verdict de la Cour de cassation ait été rendu, Toufic Hindi, prof de mathématiques à l’Université libanaise, recevait toujours son salaire. Après le mois de juillet, la somme a été réduite de moitié. Et l’on ignore jusqu’à présent si Hindi, condamné pour intelligence avec l’ennemi, pourra exercer de nouveau son métier, au sein de l’UL. « En tout cas, il a déjà des offres ailleurs, Toufic est un brillant mathématicien », indique son épouse. À l’initiative de Habib Younès, une bibliothèque a vu le jour à Roumié Habib Younès, le journaliste arrêté le 18 août dernier, a conservé son poste au quotidien al-Hayat. La direction du journal saoudien n’a, à aucun moment, lâché son secrétaire de rédaction, connu pour ses positions critiques à l’égard du pouvoir. « Mon mari est un bouc émissaire », indique Mireille Younès pour qui « tout » a changé depuis août dernier. « J’ai l’impression que j’ai vieilli de mille ans en l’espace d’une seule année », dit-elle soulignant que sa fille unique Lynn « ne vit plus comme les autres enfants ». Lynn vient de célébrer, le 22 juillet dernier, ses six ans avec son père en prison, grâce à un permis spécial du procureur général près la Cour de cassation. Les compagnons de cellule de son père ainsi que les gardes de la prison ont partagé le gâteau. D’ailleurs, la fillette exhibe fièrement une bague fabriquée à partir d’un fil électrique qu’elle porte au doigt, cadeau qu’elle avait reçu d’un prisonnier pour l’occasion. Lynn est capable de vous raconter avec tous les détails le jour de l’arrestation de son père, et le lendemain, quand « les gendarmes sont venus pour fouiller dans les affaires, les journaux et les livres de papa ». La fillette qui a brillamment réussi son année scolaire avait fait face pourtant, au cours de l’année écoulée, à quelques problèmes. « Elle culpabilisait, elle disait que son père est en prison à cause d’elle », relève Mireille Younès, rappelant que l’un des chefs d’accusation retenus contre son époux était la présence d’un ordinateur apporté au secrétaire de rédaction d’al-Hayat par Antoine Bassil. Lynn prend à son tour la parole pour expliquer : « Papa n’a pas touché à l’ordinateur, mais moi j’ai dessiné dessus. Je pense que les gendarmes n’ont pas compris mes dessins et ils ont arrêté mon père. Ils auraient dû m’interroger à moi, j’aurais tout expliqué ». Avec le congé scolaire, Lynn, qui raconte à ses camarades de classe que son « papa est en prison parce qu’il est fort », accompagne sa mère, quatre fois par semaine, à Roumié. Et Mireille n’en revient pas de voir la prison devenir une cour de récréation pour sa fille. Depuis son incarcération, Habib Younès a rédigé 1 019 poèmes, qu’il compte publier à sa sortie. Dans ces poèmes, il est question notamment de son père mort alors qu’il était incarcéré, de sa fille, de son épouse, ou encore de ce qui faisait son quotidien avant son arrestation. Il rédigera également, à sa sortie, deux livres, dont l’un sera inspiré des personnes qu’il rencontre en prison. « Il dit que l’écriture est le meilleur remède contre tous les maux, surtout la dépression. D’ailleurs il enseigne à un condamné à mort les règles de la poésie arabe », raconte Mireille qui communique avec son époux par l’écriture. À chaque visite, elle lui remet une lettre, une sorte de journal quotidien qu’elle tient depuis l’arrestation, et elle récupère des poèmes.« Habib aide beaucoup de personnes en prison, ceux qui ont des problèmes, ceux qui sont recommandés par les associations telles que l’Agem (Association justice et miséricorde) », relève Mireille ajoutant, comme si elle parlait à elle-même, « oui il leur manquait un Habib Younès dans cette prison ». Reprenant un ton ordinaire, elle indique, « il a pris l’initiative d’installer une bibliothèque à Roumié, maintenant, la prison est dotée de 1 200 volumes qui traitent toutes sortes de sujets à part les sujets politiques ». D’ailleurs, c’est elle qui fait le tour des maisons d’édition et qui transporte les livres jusqu’à la prison. Pour Mireille Younès, son mari est « un prisonnier d’opinion, il n’a fait que défendre, avec ses prises de position, le Liban qu’il aime tant ». « On l’accuse d’avoir encaissé de l’argent des Israéliens. Habib me donnait son salaire, qu’ils me montrent les chèques et les virements bancaires », lance-t- elle. Et de poursuivre : « Il y a quelques années, Habib a reçu une offre d’un journal koweïtien pour dix mille dollars par mois, je l’ai supplié de partir. Il a envoyé un ami à sa place, il ne voulait pas quitter le Liban et c’est ainsi qu’on le récompense ! » Vendre la voiture pour payer les honoraires de l’avocat Reine Bassil ne vit plus dans sa maison de Ballouné. Elle a déménagé chez ses parents à Mansourieh, depuis l’incarcération de son époux. La radio MBC a arrêté de payer le salaire d’Antoine, après l’arrestation ; il n’envoyait plus de correspondances. Et la famille s’est retrouvée sans ressources. Pour payer les honoraires de l’avocat qui a défendu Antoine, Reine a vendu la voiture de son époux. Maintenant, elle a un autre problème à régler. Elle ignore comment payer la prochaine scolarité de Nancy, 14 ans et demi, et de Serge, 12 ans. « L’année dernière, la direction de Jesus and Mary et de Saint Joseph School ont accepté les enfants gratuitement, je ne sais pas ce qui se passera l’année prochaine », dit-elle. Depuis l’arrestation de son mari, elle cherche en vain un emploi. Sa fille a décidé de travailler en été pour se procurer de l’argent de poche. Certes en restant chez ses parents, elle réduit ses dépenses, mais Reine pense aussi que « Mansourieh est plus proche de Roumié que Ballouné, ainsi je me sens plus proche de lui ». « Pour faire plaisir aux enfants qui voulaient rester à la maison, on passe le week-end à Ballouné. Mais comment voulez-vous que je reste là-bas sans Antoine ? C’est notre maison à nous », dit Reine en éclatant en sanglots. Elle n’arrive pas à évoquer son mari sans pleurer. Et elle est dans cet état depuis un an. Sa vie est rythmée par ses visites en prison, trois fois par semaine. « Je vis au jour le jour. Si je ne suis pas à Roumié, je suis là à la maison en train de prier », raconte-t-elle. « Quand je décide rarement de prendre ma vieille voiture pour rendre visite à ma tante à Beit Mery, je prend inconsciemment la route de la prison », ajoute-t-elle. Pour elle son mari est « un bouc émissaire », elle n’a jamais imaginé que l’on pouvait un jour l’arrêter, encore moins l’accuser d’intelligence avec l’ennemi. Et en juillet, elle s’attendait à l’acquittement. Mais Antoine Bassil devra passer trente mois en prison. « Il n’a jamais adhéré à un parti ; quelques semaines avant son arrestation, on a été deux fois en Syrie. Comment un type qui se sent traqué ou qui traite avec les Israéliens peut bien prendre le risque d’aller à Damas ? », demande-t-elle. « Il est malade, il a des problèmes aux reins. J’ai peur que quelque chose lui arrive en prison », indique-t-elle séchant ses larmes. Chaque mois, elle doit lui porter des médicaments à Roumié. Durant un peu plus de dix mois, Antoine Bassil a refusé la visite de son fils et sa fille. Grâce à un permis spécial du procureur général, il leur parlait au téléphone. « Antoine ne voulait pas que les enfants le voient en prison, ce n’est qu’après le jugement de la cour d’assises militaire qu’il a accepté le fait », dit-elle. Patricia KHODER
Depuis un an, après la visite du patriarche Sfeir au Chouf scellant la réconciliation druzo-chrétienne dans cette région, suivie des rafles du 7 août dans les rangs de l’opposition chrétienne, trois femmes, Claude Toufic Hindi, Mireille Habib Younès, et Reine Antoine Bassil vivent les heures les plus difficiles de leur existence. « Injustice », c’est le même terme qui...