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Actualités - REPORTAGE

Le tueur préparait des provisions d’hiver aux collègues qu’il a assassinés

« Il se peut que je sois en retard. Je passerai quelque temps à la plage avant de rentrer. Tu as besoin de quelque chose ? » a dit Ahmed Mansour à son épouse avant de quitter, à 7 heures, sa maison du village de Loubié, à une dizaine de kilomètres de Saïda. Avant de monter dans le taxi qui l’attendait, Ahmed Mansour a avalé calmement son café, ses médicaments contre le diabète, l’hypertension et la dépression. Et il a pris avec lui une valise à main. Pour la famille du tueur, père de quatre enfants, c’était une journée normale qui s’annonçait. Son épouse, Mona Mansour, 34 ans, est partie rendre visite à sa belle-sœur qui était à l’hôpital. C’est là-bas, en regardant la télévision, qu’elle a su que son mari avait perpétré la tuerie. Celle qui croit dur comme fer que son époux est un chef de service respecté, incapable de nuire à quiconque, apprécié par tous ses collègues, était hier en soirée alitée chez ses parents. Elle ignorait encore que son mari était criblé de dettes et qu’il était un simple planton. « Il aimait tellement ses collègues qu’il n’arrêtait pas de parler d’eux. Il disait que Rachel Rahmé, la directrice du centre de Mazraa, est bonne. D’ailleurs, la semaine dernière il lui avait offert un bocal d’olives que ma mère avait confectionnées », indique Mona. Pire encore. Depuis deux jours, Mona et ses belles-sœurs préparaient vingt kilos de thym, des provisions d’hiver, qu’Ahmed voulait offrir à ses collègues qu’il a tués. Mona, la fille du riche moukhtar de la petite localité du Sud, la famille du tueur et les habitants du village n’arrivent pas à comprendre. Ces derniers surtout, qui connaissent bien Ahmed. Un homme gentil, serviable, incapable de faire du mal à une mouche, disent-ils. La semaine dernière par exemple, il a organisé un match de foot pour les enfants. Il avait offert des tenues de sport et des espadrilles à tout le monde. Il a même, il y a quelques années, débrouillé des places dans une école de Tyr à des orphelins de son village. Une fois par mois, il prenait du pain de la boulangerie de son père, Ali, et il le distribuait aux gens nécessiteux de la localité. Oui, c’est vrai, Ahmed est un chic type… mais depuis plusieurs années il est sous médicaments. Et, généralement une fois tous les six mois, il passe quelque temps à l’hôpital. Pour quelles raisons ? « Il est malade », dit-on, sans donner de plus amples informations. Durant la guerre, comme tous les autres jeunes du village, Ahmed s’est probablement enrôlé dans une milice. Cette histoire est démentie par son beau-père, le maire du village, Ali Khalil, qui indique cependant que le tueur avait « des affinités avec le mouvement Amal ». Ahmed, qui encaisse huit cent mille livres par mois, changeait souvent de voiture. La dernière fois, c’est une Mercedes toute neuve qu’il conduisait. « Mais il l’a rendue la semaine dernière, il n’avait plus de quoi payer les traites », indique le père, Ali Mansour, qui souligne également que son fils n’a pas d’armes mis à part « un revolver avec un permis ». « Mon fils était en bonne forme. Avant-hier il a passé la soirée à jouer au foot avec ses amis », dit-il encore. Pourtant, selon certains proches, Ahmed allait très mal depuis quatre jours. Parfois, il souffre de migraines, il perd connaissance et il devient un peu violent. « Souvent, il ne peut pas supporter le bruit, il commence à crier, mais généralement il se calme en prenant du café et en fumant des cigarettes », relève sa fille, Nihale, 19 ans. Nihale ne dira pas que son fiancé assume certaines charges financières chez les Mansour, ou encore que sa mère Mona, qui s’est mariée à 14 ans, reçoit régulièrement de l’aide de sa famille. Si elle avait la chance de parler à son père maintenant, elle lui demandera tout simplement : « Pourquoi tu nous as fait ça ? » Le moukhtar du village, beau-père du tueur, pense surtout aux familles des victimes. « J’aurais aimé être parmi elles, mourir avec elles… Quel abominable crime », dit-il ému. Mercredi, jusqu’à une heure tardive de la nuit, Loubié était encore sous le choc de l’horreur que le Liban tout entier a vécue, presque minute par minute. Un village qui tente de se rappeler que jamais aucun incident, même minime, ne s’y est produit. Malgré l’appartenance des habitants et au mouvement Amal et au Hezbollah. Patricia KHODER
« Il se peut que je sois en retard. Je passerai quelque temps à la plage avant de rentrer. Tu as besoin de quelque chose ? » a dit Ahmed Mansour à son épouse avant de quitter, à 7 heures, sa maison du village de Loubié, à une dizaine de kilomètres de Saïda. Avant de monter dans le taxi qui l’attendait, Ahmed Mansour a avalé calmement son café, ses médicaments contre le...