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Actualités - OPINION

Des hauts et des (bien) bas

«Respect !» Ce titre lapidaire du Telegraaf de La Haye salue à sa juste mesure la démission, mardi, du gouvernement de centre gauche de M. Wim Kok, survenue après la publication d’un rapport officiel critiquant la politique des Pays-Bas lors du tristement célèbre massacre de Srebrenica en 1995. À cette date, le modeste contingent hollandais de l’Onu s’était abstenu de protéger la ville officiellement déclarée «zone de sécurité», et où des milliers de musulmans devaient être massacrés par les Serbes de Bosnie. M. Kok n’était alors que vice-Premier ministre dans un cabinet chrétien-démocrate ; mais devenu numéro un, il ne s’est pas trop activé pour faire toute la lumière sur cette mission de paix «irréfléchie et pratiquement irréalisable» dans laquelle s’était lancé le royaume des polders, des tulipes et des moulins à vent. En somme, si sept bonnes années plus tard M. Kok rend son tablier, c’est non point pour expier la faute d’un gouvernement – ou même de deux – mais celle de tout un pays, le sien : c’est, selon ses propres termes – écoutez-le bien – pour souligner «la coresponsabilité politique des Pays-Bas pour la situation dans laquelle les massacres ont pu se produire...». Voilà, certes, une belle leçon de courage et de moralité politiques que ce pays grand comme quatre fois le Liban administre au monde entier. Le hasard de l’actualité faisant bien les choses – et la tuerie de Jénine n’ayant rien à envier en horreur à celle de Srebrenica, ni Ariel Sharon à Milosevic et consorts – la leçon néerlandaise vaut surtout pour l’unique superpuissance mondiale, l’Amérique, qui se pose en parangon de la démocratie et des droits de l’homme, en chef immaculé du «monde libre», en porte-étendard de la civilisation croisant le fer avec la barbarie. Coresponsabilité politique, situation, massacres : des mots qui collent aujourd’hui à la peau de l’Oncle Sam, qui évoquent instantanément à l’esprit la honteuse attitude de l’Amérique face aux agissements israéliens dans les territoires autonomes palestiniens. Bien excessifs finalement peuvent paraître les remords de l’honorable M. Kok, comparés à ceux qui, en toute justice, devraient habiter la Maison-Blanche, le département d’État, le Pentagone et le Capitole, toutes institutions dont on jurerait qu’elles se sont vouées au service d’Israël : mieux, de ce qu’Israël a pu produire à ce jour de plus outrancier, de plus ouvertement expansionniste, de plus monstrueusement sanguinaire. Bush-Sharon, même combat ? Autant on a pu éprouver compassion et sympathie pour les Américains lors des horribles attentats du 11 septembre 2001, autant est révoltant le comportement de l’administration US, qui prétend combattre en effet le terrorisme à l’échelle planétaire en endossant de manière aussi flagrante un autre terrorisme non moins abject et condamnable, et qui plus est un terrorisme d’État. Des semaines durant, Washington a laissé Sharon, récidiviste notoire des crimes de guerre, qualifié néanmoins d’«homme de paix», s’acharner à loisir contre les Palestiniens et s’occuper comme il l’entendait de «son» Ben Laden, Yasser Arafat. Ce n’est que sur le tard que George Bush s’est avisé de réclamer avec plus ou moins de conviction un retrait israélien des villes autonomes : retrait dont le président US – par aveuglement ou alors par goût franchement déplacé de l’humour noir – a très sérieusement constaté hier encore... qu’il se poursuivait ! Tout aussi aléatoires, d’ailleurs, promettent de s’avérer les assurances présidentielles quant aux «progrès» accomplis, durant sa mission dans la région, par Colin Powell. Bizarres progrès dont parle Bush, et avec lui l’Espagnol Piqué, quand le diplomate en chef de la plus grande puissance mondiale se contente d’une promesse plutôt vague de retrait arrachée à ce grand menteur d’Ariel Sharon : ce qui équivaut à dire que jusqu’à son départ effectif, et avant que l’on puisse raisonnablement envisager un cessez-le-feu, l’armée de Tel-Aviv est habilitée à poursuivre ses opérations de traque et de ratissage, avec leurs cortèges de morts et de destruction ? Où est-il le progrès, et avec lui la dignité de l’Amérique, quand le secrétaire d’État a dû traverser un cordon militaire israélien (c’est tout juste si on n’a pas soumis Powell à la fouille corporelle, pour le cas où il aurait apporté avec lui quelques doughnuts) afin de rencontrer un Arafat assiégé depuis une vingtaine de jours déjà dans son bureau de Ramallah, et dont même Washington est bien obligé de reconnaître qu’il reste rigoureusement incontournable? Qu’on nous le montre de grâce, le progrès, quand Powell, rassemblant tout son courage, se hasarde à solliciter pour Abou-Ammar «un plus grand accès» à l’extérieur, non point parce que les avanies infligées au représentant internationalement reconnu des Palestiniens relèvent du banditisme, mais parce qu’une telle faveur lui permettrait salutairement d’entendre le message du reste du monde. Sidérants progrès en vérité, quand on constate qu’après toutes les horreurs des dernières semaines l’Administration Bush, faisant sienne la folle logique de Sharon, en est encore à exiger de l’Autorité autonome qu’elle s’engage à éradiquer le terrorisme alors que tous ses instruments de pouvoir continuent d’être systématiquement détruits... Présenté comme le chic type, le Mr Nice Guy d’une administration américaine peuplée de doctrinaires et de va-t-en-guerre, Colin Powell mérite fort bien sa réputation, après tout : trop bon (là où il ne faut pas) pour être honnête. Issa GORAIEB
«Respect !» Ce titre lapidaire du Telegraaf de La Haye salue à sa juste mesure la démission, mardi, du gouvernement de centre gauche de M. Wim Kok, survenue après la publication d’un rapport officiel critiquant la politique des Pays-Bas lors du tristement célèbre massacre de Srebrenica en 1995. À cette date, le modeste contingent hollandais de l’Onu s’était abstenu de...