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Actualités - OPINION

Tout feu, tout drame

Le capitaine des pompiers en personne, Colin Powell, délaissant soudain les incendies de Palestine pour tenter de circonvenir à la hâte un brasier potentiel sud-libanais dont les retombées, a-t-il averti, pourraient être «désastreuses» pour la région tout entière : ce n’est pas tous les jours certes qu’un secrétaire d’État américain se donne la peine d’inscrire à son itinéraire une capitale aussi systématiquement ignorée, des décennies durant, que notre belle ville de Beyrouth. Mais nous fallait-il absolument aller danser une fois de plus sur le volcan pour mériter ce douteux regain d’intérêt américain ? Et surtout, qu’avons-nous de crédible à dire au secrétaire d’État US qui, pour maîtriser le brûlot libanais, sait très bien qu’il lui faut prendre aussi et surtout le chemin de Damas ? Par l’effet d’une fatalité géopolitique qui ressemble étrangement à une malédiction, par l’effet aussi, il faut bien se l’avouer, d’un véritable masochisme qui n’épargne même pas une partie notable de sa population, le Liban se trouve périodiquement propulsé sur une trajectoire de collision que le simple bon sens devrait pourtant lui interdire d’emblée, pour cause d’inaptitude organique, flagrante, à la guerre classique et totale. Dans le passé, ce genre de catastrophe annoncée résultait généralement de l’incapacité de l’État à contrôler les activités de la guérilla palestinienne implantée sur le sol libanais : phénomène trouvant lui-même sa source dans les contradictions structurelles qui ont mené à l’éclatement de cet État et à la guerre libanaise dont on vient de commémorer le 27e anniversaire du déclenchement. La paix interne rétablie, l’État est redevenu un, du moins en théorie ; mais ce que le discours officiel – ânonné à l’unisson sous l’œil vigilant du maître syrien – a gagné en unité et en cohésion, il l’a évidemment perdu en termes de logique et de pur sens des responsabilités, celles-là mêmes qu’est censé assumer tout dirigeant soucieux de la sécurité et du bien-être de ses administrés. De cette rhétorique télécommandée, «consensus» est le maître-mot ; il a été évoqué la semaine dernière encore, dans sa dimension nationale, par le président Lahoud à propos de l’État, de l’armée et de la Résistance : affirmation qui, pour n’en retenir ici que le troisième volet, appelle quelques nuances de taille. C’est vrai que les Libanais, toutes tendances et appartenances confondues, ont soutenu l’héroïque combat du Hezbollah qui a fini par commander le retrait «volontaire» de la puissante armée israélienne, opéré 22 ans après l’invasion sans contrepartie d’aucune sorte, politique ou sécuritaire. C’est là cependant que s’arrête le consensus. Car aucun Libanais sensé ne peut accepter d’abord qu’une milice, quelque importants qu’aient pu être son mérite et ses sacrifices, obtienne la concession exclusive d’un mohafazat entier où est tolérée une présence tout juste symbolique de l’autorité étatique. Aucun Libanais sensé ne peut accepter ensuite qu’au lendemain d’une aussi miraculeuse évacuation, on entreprenne de jouer quitte ou double, de tout risquer sous le prétexte qu’il faut encore libérer un obscur bout de territoire, les fermes de Chebaa : territoire dont la libanité est d’ailleurs sujette à controverse, la Syrie n’ayant jamais entrepris de nous en rétrocéder, dans les règles, les droits de propriété mais qui ne bénéficie guère, pour autant, du calme absolu régnant depuis plus d’un quart de siècle sur le front du Golan. Territoire exclu dès lors de la ligne bleue tracée par les équipes des Nations unies et dont le statut, s’échine à nous expliquer le monde entier, ne pourra jamais être fixé que dans le cadre de négociations. Territoire dont l’actuelle mise à ébullition, enfin, est venue réveiller d’autres ardeurs guerrières, palestiniennes celles-là et que l’on croyait enfin contrôlées. Le plus désolant est l’obstination du Liban officiel à se contenter d’ un rôle de boute-feu, de trublion attelé au char syrien et donc notoirement irresponsable. L’État entend libérer par les armes les derniers pouces de son territoire, il le clame chaque jour sur tous les tons même s’ il est le dernier à être informé, en réalité, du programme d’action de la Résistance. Et dans le même temps, le Liban fait le tour des puissances, quémandant leur intervention à chaque fois qu’il est l’objet de menaces de représailles israéliennes. Résultat, ce sont les autres qui bénéficient de cette véritable prime de sagesse et de prudence, à condition bien sûr qu’ils y trouvent leur compte. L’Iran, une des «forces du Mal» dénoncées par George W. Bush, a déjà donné le ton en prêchant la retenue, on croit rêver, par la bouche de son ministre des AE Kharazi. Plus délicat cependant est le cas de la Syrie, à laquelle le secrétaire d’État Powell se propose de transmettre un sévère avertissement israélien. Le président Assad – qui, lors du récent sommet de Beyrouth, avait paru légitimer les attentats-suicide palestiniens – se verra fermement invité en outre à dénoncer sans équivoque le terrorisme, conformément à la très manichéenne doctrine Bush : «Qui n’est pas avec nous est contre nous». C’est cette même exigence que le chef de la diplomatie américaine avait signifiée aux chefs arabes qu’il a pris le temps de rencontrer avant de gagner Israël et les territoires palestiniens, où Ariel Sharon continuait et continue d’agir à sa guise. Que Yasser Arafat ait obtempéré après l’attentat de vendredi à Jérusalem ; que Powell se garde bien pour sa part d’évoquer publiquement l’autre terrorisme, infiniment plus coupable et plus meurtrier, pratiqué impunément par l’État hébreu ; qu’il fasse scandaleusement l’impasse sur les crimes de guerre qu’accumule Sharon ne rend que plus urgent et nécessaire le retour à une raison trop souvent sacrifiée à la raison d’État. Issa GORAIEB
Le capitaine des pompiers en personne, Colin Powell, délaissant soudain les incendies de Palestine pour tenter de circonvenir à la hâte un brasier potentiel sud-libanais dont les retombées, a-t-il averti, pourraient être «désastreuses» pour la région tout entière : ce n’est pas tous les jours certes qu’un secrétaire d’État américain se donne la peine d’inscrire à...