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Actualités - ANALYSE

Crise - Pour quelles raisons le Liban refuse de protéger ses grands commerçants ? « La modification de la loi favorisera les agents exclusifs venus du Golfe », avertissent les importateurs

Non, l’amendement du décret-loi n° 34 (de 1967) ne constitue pas une initiative visant à la baisse des prix. Non, ce n’est pas un combat pour mettre un terme au monopole, (qui d’ailleurs, avec la concurrence des agents exclusifs, n’existe pas au Liban). L’amendement du décret-loi sur la représentation commerciale est tout simplement une guerre que le gouvernement livre contre les grands importateurs libanais. C’est ce qu’on pouvait entendre hier dans certains milieux économiques. Les parties lésées par la décision indiquent à l’unanimité, «qu’une fois la nouvelle loi adoptée ce sont les agents exclusifs du Golfe, bien plus puissants que leurs homologues libanais, qui s’installeront dans le pays, et géreront à leur manière l’économie libanaise». L’on peut interminablement exposer les divers problèmes qui découleront de l’amendement de la loi, notamment la réduction des recettes publicitaires, la disparition du service après-vente, la mise en veilleuse de l’image de marque… mais le véritable danger réside ailleurs : «C’est l’image du marché libanais qui sera totalement transformée», indiquent à l’unanimité les représentants des grandes marques, en soulignant que «les importateurs libanais seront obligés de céder leur place aux agents exclusifs arabes, qui sont capables, eux, de constituer des holdings desquelles les Libanais seront exclus». Interrogé par L’Orient-Le Jour, M. Abdo Sweidan, chief executive officer des établissements Kettaneh Frères, rappelle que «l’agent exclusif est une référence en soi, c’est lui qui met en place un système complet de vente et de service après-vente». Et de souligner qu’il ne «faut pas oublier l’importance des sous-agents, établis sur tout le territoire, et qui sont obligés de suivre les normes, spécialement pour les biens durables (voitures et électroménagers) imposés par l’agent exclusif». L’agent exclusif donc ne dessert pas uniquement Beyrouth, mais aussi toutes les régions libanaises. C’est lui qui veille à la qualité du produit, c’est lui, par exemple si un médicament ou un véhicule est déficient, qui est responsable de son retrait du marché. «Qui effectuera ce contrôle une fois la nouvelle loi appliquée ?» se demande le CEO des établissements Kettaneh Frères qui met l’accent également sur le rôle de l’agent exclusif dans le soutien de l’économie nationale, notamment les secteurs bancaire, publicitaire et des assurances. «Nous octroyons des crédits aux sous-agents et nous contractons des crédits auprès des banques, c’est le même cas de figure pour les assurances», souligne-t-il. Acquérir tout un marché pour une bouchée de pain Si avec la modification du décret-loi n° 34 (de 1967) toute l’économie libanaise se portera mal, à qui donc profitera la levée de la protection des agences exclusives ? Pour M. Sweidan, la réponse est bien simple : «À tous ceux qui sont prêts à jeter de l’argent dans un marché donné pour des affaires de blanchiment, ou encore les étrangers qui rêvent d’acquérir le marché libanais pour une bouchée de pain». Et il semble que ces derniers sont assez nombreux et assez puissants. Les agents exclusifs libanais imaginent un scénario catastrophe. Selon les parties lésées, «ces étrangers, qui viendront du Golfe, profiteront de produits bien installés sur le marché sans avoir à fournir des efforts sur le plan de l’image de marque et de service des consommateurs, parce que ce travail a déjà été effectué par les agents exclusifs libanais». Au début du processus, probablement durant un an, les prix baisseront de 5 à 6 %. Une période suffisante pour mettre les importateurs libanais, anciens agents exclusifs, à genoux. «Plusieurs sociétés, même les plus puissantes, déposeront leur bilan», indiquent certains importateurs, en soulignant que «c’est au moment de la faillite des entreprises libanaises, quand la concurrence n’existera plus, que les étrangers pourront disposer comme ils l’entendent du marché en rehaussant leurs prix». Le CEO des établissements Kettaneh Frères souligne : «Nous ne défendons pas nos droits acquis, au contraire on est prêt à discuter, tous, de la loi, mais nous luttons contre une stratégie donnée» que certains visent à mettre en place. «On ne demande pas au gouvernement de protéger le système des agences exclusives, mais de défendre l’importateur et le commerçant libanais», ajoute-t-il. Le président du syndicat des bijoutiers et des joailliers du Liban, Walid Mouawad, craint que les agents libanais perdent leur représentation face aux agents du Golfe. Car, ces derniers couvrent un marché de loin plus important en volume que le Liban. «En perdant ses agents exclusifs, le Liban perdra des milliers d’emplois», souligne M. Mouawad à L’Orient-Le Jour. Et d’expliquer qu’un «agent exclusif établi dans un pays du Golfe n’ouvrira pas une véritable agence au Liban, mais un bureau de distribution». «L’infrastructure qui nécessite le lancement d’un produit (pub, étude de marché, image de marque…) disparaîtra et avec elle tous les emplois qu’elle génère», ajoute-t-il, en soulignant que «tout sera géré à partir des pays du Golfe, et ce sont les Libanais qui en pâtiront». Le président du syndicat des bijoutiers et des joailliers du Liban relève également que «la modification de la loi sur la protection des agences exclusives ne provoquera pas la baisse des prix des produits de première nécessité comme l’essence, le pain et tous les autres aliments soumis à la TVA». «Ce sont les produits de luxe, achetés par une tranche minime de la population, que l’on vise», ajoute-t-il. Est-ce donc aux importateurs et aux grands commerçants libanais que l’on veut porter préjudice en modifiant la loi ? M. Mouawad, comme tous les autres grands commerçants, n’a jusqu’à présent pas compris pourquoi le gouvernement a pris une telle initiative. Actuellement, selon certaines sources, les agences exclusives au Liban se chiffrent à 7 000 pour une valeur de 7 milliards de dollars. La tendance à l’abolition des droits exclusifs, venue de l’Europe et de l’Amérique, n’a pas été suivie par tous les pays arabes qui préservent les lois protégeant leurs commerçants. Pourquoi, contrairement aux pays voisins, notamment la Syrie, la Jordanie et les monarchies du Golfe, le Liban ne veut plus défendre ses grands importateurs ? Patricia KHODER
Non, l’amendement du décret-loi n° 34 (de 1967) ne constitue pas une initiative visant à la baisse des prix. Non, ce n’est pas un combat pour mettre un terme au monopole, (qui d’ailleurs, avec la concurrence des agents exclusifs, n’existe pas au Liban). L’amendement du décret-loi sur la représentation commerciale est tout simplement une guerre que le gouvernement livre contre les...