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Actualités - REPORTAGE

Archéologie - Controverses sur les techniques de restauration Un « lifting » pour la mosquée Omari(photos)

Vieille de neuf cents ans, la mosquée Omari, située au croisement des rues Weygand et Maarad, est le plus ancien et le plus bel édifice de Beyrouth. Les absides de sa façade témoignent de sa double personnalité, la mosquée étant une cathédrale croisée à l’origine. Sa restauration, qui se prolonge depuis plus d’un an, a été déplorée par un nombre de spécialistes car elle rajeunit la mosquée sans en préserver le cadre historique. Bulldozer, scie électrique, jet de sable... toutes les méthodes sont bonnes pour la remise à neuf de la mosquée Omari dans le centre-ville de Beyrouth. Ce monument, qui date du XIIe siècle, est l’objet, jour après jour et depuis un an, à des travaux de restauration qui ont lieu «sans l’autorisation de la Direction générale des antiquités», ainsi que le soulignent les responsables de cet organisme. Or, ce bâtiment est sur la liste du patrimoine national depuis 1966, et selon la loi sur les antiquités (article 23, 30), tout travail qui doit y être effectué nécessite une autorisation préalable de la DGA et doit être réalisé sous sa stricte surveillance. Ce qui n’est pas le cas puisque les archéologues qui lui sont rattachés ne sont pas admis sur le site, malgré les garanties données par l’architecte responsable, M. Youssef Haïdar. De plus, aux termes de cette même loi et de toutes les chartes mondiales de restauration, une étude préliminaire du site doit être réalisée avant toute intervention. Toujours selon l’article 23 de la loi des antiquités, le dossier doit être présenté à la DGA deux mois au préalable et «indiquer toutes les modifications ou travaux qui doivent y être effectués». M. Youssef Haïdar affirme «avoir réalisé une étude historique de la mosquée rassemblant toutes les données et un état des lieux général de l’édifice avant d’entamer les travaux», et la DGA quant à elle assure n’avoir rien reçu. Les travaux, par conséquent, se déroulent sans autorisation et dans le plus grand secret. En fait, des panneaux en bois haut de trois mètres entourent la mosquée, aux portes fermées à clé. Une interdiction d’accès au site a été décrétée par le propriétaire, les wakfs sunnites de Beyrouth, pour cause de sécurité : la mosquée est actuellement un chantier de construction. Des témoins oculaires nous ont toutefois assuré que la décision de fermer le site a été prise suite aux nombreuses objections soulevées par les passants, outrés de voir les travaux de restauration modifier à tel point la mosquée. Jets de sable contre pierre « ramlé » Située en plein zone de combats durant la guerre libanaise, la mosquée Omari portait sur ses façades les empreintes de la violence. Les pierres avaient éclaté en certains endroits, des arbres avaient poussé dans sa cour et les herbes sauvages recouvraient ses façades. Grâce à un don koweïtien, les wakfs sunnites de Beyrouth ont procédé à la restauration de ce monument, le plus prestigieux du centre-ville. Mais les différentes techniques mises en œuvre pour les travaux ont choqué plus d’un spécialiste. «Les parois noircies par le temps et la pollution ont été nettoyées à l’aide de jets de sable, d’eau et de brosses», explique M. Youssef Haïdar. «Or, cette technique est interdite pour la pierre “ramlé”, car non seulement elle détruit sa patine, mais aussi les reliefs qui y sont gravés parfois», assure le Dr Sadek Tabbarah, architecte urbaniste, professeur à l’Alba et ancien vice-président de l’Association pour la protection des sites et demeures (Apsad). En plus, cette technique, trop dure pour la pierre, détruit son authenticité historique et lui donne l’aspect du neuf. «Tout monument historique a une âme. Elle se voit et se sent dans les strates et les marques du temps. Malheureusement, la restauration “musclée” de la mosquée a détruit ces marques, donnant ainsi l’impression que cet édifice plusieurs fois centenaire ne date que de quelques décennies», déplore lui aussi le Dr Mousbah Rajab, architecte urbaniste et professeur à l’Université libanaise. Une autre technique a été utilisée dans la rénovation des façades. Elle consiste à remplacer les pierres touchées par les obus par d’autres encore intactes. «Certaines pierres angulaires étaient effritées sous l’effet des bombardements, menaçant ainsi la résistance du bâtiment. Il était impératif de les remplacer par d’autres, choisies à même le site. En fait, les salles ottomanes adjacentes à la mosquée ont été détruites et nous avons récupéré leurs pierres pour la restauration des façades», explique M. Haïdar. Pour les archives et les études ultérieures portant sur la mosquée, nous avons documenté toute pierre enlevée». Cette technique de remplacement des pierres a été qualifiée de hâtives par le Dr Rajab, qui lui reproche de ne pas prendre en considération les pathologies de la pierre ; plus grave, estime-t-il, cette technique a complètement effacé les traces de la guerre. «Aussi triste que soit cette dernière, nous avons le devoir de préserver ses traces, c’est une partie intégrante de l’histoire de la mosquée. Et les marques doivent être visibles pour le simple passant». Limiter la vie du monument C’est la scie électrique qui a été utilisée pour morceler les pierres et les détacher, ainsi que pour éliminer le joint en béton coulé dans les années soixante. M. Haïdar justifie l’utilisation de cette technique par le fait qu’elle constitue le seul moyen possible pour sauvegarder le bâtiment. «C’est l’unique outil qui perce dans le joint et nous permet de travailler à quelques millimètres près». De fait, cette technique est certainement plus rapide que d’autres plus traditionnelles, et elle coupe la pierre à la verticale, avec une maîtrise inconnue dans le travail artisanal. Mais les contestataires soulignent les risques pathologiques que courent les pierres découpées à l’aide de scies électriques, technique qui, de surcroît, favorise la perfection de la taille au détriment du cachet authentique. L’ancien joint en béton a été remplacé récemment par du ciment noir. «En principe, dans une restauration, il ne faut employer que les produits utilisés jadis à même le monument et fabriqués à l’ancienne, affirme M. Tabbarah. Les conséquences du ciment noir adopté en matière de joint sont connues : à cause des changements de température entre l’hiver et l’été, cette matière imperméable s’écaille et se détache de la paroi, permettant ainsi l’infiltration de l’eau à l’intérieur de la pierre. L’humidité qui en résulte donne naissance à différentes sortes de champignons, détruisant la pierre de l’intérieur, assure-t-il. Ce qui ne se voit pas pour l’instant, mais c’est une destruction à long terme». Les travaux de restauration, qui, habituellement, visent à préserver et prolonger l’existence d’un monument historique, ne risquent-ils pas, au cas où ils se transforment, en opération de lifting archéologique, de porter préjudice au neuf cents d’histoire de la mosquée Omari, en en faisant disparaître les cicatrices du passé ? Des destructions au bulldozer Des bases de colonnes, des chapiteaux corinthiens ont été entassés dans le porche de la mosquée Omari. Ils témoignent des destructions qui ont eu lieu dans la cour de la mosquée creusée actuellement par deux bulldozers sur une profondeur de six mètres. Selon l’architecte Yousef Haïdar, «les travaux se sont effectués dans les sous-sols des anciens immeubles élevés dans les années soixante-dix aux deux angles nord de la cour de la mosquée. Les vestiges archéologiques découverts dans la cour se limitent à la citerne d’eau située dans la partie médiane de la cour et qui est toujours préservée sous sa dalle de béton» explique-t-il. Pour M. Haïdar, «aucun vestige archéologique n’a été découvert dans les anciens sous-sols reposant directement sur la roche mère». Comment expliquer alors la présence de ce grand nombre de blocs de pierre et de bases de colonnes entassés dans le porche de la mosquée ? S’agit-il de vestiges archéologiques découverts dans les années soixante-dix et remblayés dans les sous-sols pour une fouille ultérieure ? Ces pierres et ces bases de colonnes ont-elles brisées récemment par les bulldozers ? Un autre site archéologique de Beyrouth a-t-il ainsi été détruit ? Les camions remplis de terre ne renferment-ils pas d’autres vestiges ? Malheureusement, il est impossible de donner des réponses à toutes ces questions, le site étant fermé aux archéologues de la Direction générale des antiquités. On peut aussi se demander s’il était nécessaire de creuser à une telle profondeur dans le pourtour de la mosquée. Pour M. Haïdar, cela ne fait aucun doute, «ce bâtiment historique est utilitaire, soutient-il. Il faut par conséquent le sauvegarder tout en l’aménageant pour lui permettre d’exister. Des lieux d’aisance seront construits dans la cour de la mosquée». Des jets d’eau et des arbres masquent la mosquée À l’angle nord-est de la mosquée Omari, un jardin public, renfermant un bassin avec des jets d’eau, des passerelles et des arbres, a été aménagé par la municipalité de Beyrouth il y a un an. L’initiative est certes louable et la capitale manque d’espaces verts, mais ce jardin dissimule la façade est de la mosquée qui est la plus «spectaculaire» et illustre au mieux la double personnalité de cet édifice religieux. L’abside, surmontée d’une inscription ottomane et les deux absidioles, ne sont pas visibles pour les passants de la route principale. De plus, les «vagues» du bassin, fait d’une mosaïque de pierre, sont en contradiction totale avec la sobriété de l’édifice centenaire. «Il est de règle que l’aménagement du pourtour des grands édifices historiques soit discret afin de faire ressortir la beauté de ces derniers, note le Dr Mousbah Rajab, architecte et urbaniste travaillant dans l’aménagement des centres-villes historiques. «C’est à l’horizontale qu’il faut procéder pour ne pas bloquer la vue. Ainsi, à l’emplacement de ces bassins, il aurait été préférable de prévoir un simple tapis de gazon. Ce qui aurait mis en relief la façade et aurait ajouté la verdure nécessaire à ce contexte», poursuit-il. Pour M. Tabbarah, architecte urbaniste ayant des années de travail dans la restauration, «la beauté de cette façade mérite d’être “doublée” à la faveur d’un reflet dans l’eau. Une grande piscine, d’une dizaine de centimètres de profondeur, pouvait être exécutée à cet angle de la mosquée, permettant ainsi au passant de voir en même temps la façade et son reflet». Redonner à la mosquée ses allures de cathédrale romane Entre 1113 et 1150, la chapelle byzantine, élevée sur les thermes romains de Beyrouth, a été remplacée par une magnifique cathédrale dédiée à saint Jean-Baptiste, construite par les Hospitaliers. Son imposante architecture romane lui a valu sa renommée dans tous les États latins. Ses parois étaient probablement recouvertes de peintures murales, car au début du siècle, l’archéologue J. Lauffray a démonté des parois une représentation de la Vierge trônant et portant le Christ. En 1291, cette cathédrale a été transformée en mosquée sans être toutefois sérieusement remaniée. Tout au plus a-t-on percé une porte dans l’abside, un portail dans le mur nord, et badigeonné les murs de l’intérieur. Au XXe siècle, le monument a été en principe restauré à plusieurs reprises, mais les travaux ont largement endommagé l’édifice. À titre d’exemple, une dalle de béton recouverte de zinc a été placée sur le toit pour régler le problème de l’étanchéité. Outre les graves grands dommages que fait subir cette technique à la pierre et aux murs, même l’esthétique a été sévèrement affectée. Le toit de ce monument médiéval est actuellement, et pour une très longue période, teinté de noir ! De l’intérieur aussi, le bâtiment a été endommagé. «Dans les années soixante, les parois de la mosquée ont été recouvertes d’une couche de béton, ce qui a fissuré les murs en certains endroits, souligne M. Haïdar, l’architecte responsable de la restauration. Pour effectuer un état des lieux détaillé de la mosquée, nous avons décapé les murs et procédé à la consolidation et la restauration des zones endommagées. Ce décapage nous a permis aussi de nous rendre compte de la beauté des voûtes en berceau et de mettre au jour les doubleaux qui étaient dissimulés par le béton. La simplicité et la sobriété de l’architecture romane ont ressurgi, et elles seront mises en valeur une fois que l’ensemble aura été recouvert de l’enduit blanc traditionnel», promet M. Haïdar. Mais les brefs «coups d’œil» jetés des fenêtres à l’intérieur de la mosquée nous ont permis de voir le grand nettoyage des surfaces qui a lieu. S’agit-il alors d’une préparation de la surface pour la recouvrir d’enduit ou d’une finalisation d’un décapage des murs ? Après tout, la récente «restauration» de toutes les mosquées de Beyrouth s’est limitée à ce simple décapage pour montrer la pierre antique ; le lifting de la mosquée Omari devait-il être différent ? La volonté du client et la mode s’imposeront-elles face aux idées de l’architecte ? La dure restauration effectuée dans les façades de la mosquée va t-elle se répéter à l’intérieur ? Joanne FARCHAKH
Vieille de neuf cents ans, la mosquée Omari, située au croisement des rues Weygand et Maarad, est le plus ancien et le plus bel édifice de Beyrouth. Les absides de sa façade témoignent de sa double personnalité, la mosquée étant une cathédrale croisée à l’origine. Sa restauration, qui se prolonge depuis plus d’un an, a été déplorée par un nombre de spécialistes car elle...