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Actualités - CHRONOLOGIES

Le mythe et la manie

Entre Gênes et Vintimille, en marge de l’autoroute italienne, on peut traverser sans le vouloir la région de Seborga. Une casemate et un soldat d’apparat vous rappelleront que le territoire est une principauté (autoproclamée), affichant des racines jusqu’au cinquième siècle. Ce passé, sans doute prestigieux, ne trompe personne, surtout pas les autorités italiennes, maîtresses des lieux. Une histoire mêlant saint Bernard de Clairvaux, les cathares, les templiers et une belle série de nobles plus ou moins prestigieux a été réinventée pour les touristes en mal d’exotisme. Un «prince» local, élu en 1963 (Giorgio 1er, toujours en fonction), affiche son profil sur des pièces bien pressées qui ont paraît-il cours dans le coin. Cet Hôtel des Monnaies écoule certainement ses émissions sous forme de souvenirs ou de reliques amusantes, ce qui lui assure un certain revenu. Des timbres-poste ont aussi été imprimés et sont vendus, oblitérés ou pas. Ils n’ont pas servi sur lettres, mais des enveloppes affranchies de cachets italiens existent. Elles sont chères, très chères, comme pour marquer le coût de l’imposture. Ce folklore régional est tout à fait sympathique. Il n’affiche aucune prétention et aucun vice. Ce n’est pas le cas de toutes les vignettes pseudo-officielles destinées à la propagande ou pire à la désinformation. De nombreuses vignettes sont répertoriées, et certaines sont mêmes cotées. Elles ont, pour la plupart, été émises pendant des conflits, pour souligner l’attachement d’une partie à sa souveraineté fiscale. En fonction de l’issue des événements, les figurines ont recouvré une légitimité a posteriori. Au Liban, dans les années 60, nous avons vu circuler des «timbres» arméniens dénonçant le génocide. Émises en plusieurs couleurs, ces vignettes refont surface au hasard d’échanges et d’acquisition. Au même registre, des communautés écartées du pouvoir ont aussi émis leurs timbres. Nous connaissons les vignettes roumaines anticommunistes, ou certaines valeurs espagnoles de la guerre civile (très recherchées en Europe). Comment classer ces figurines et qu’elle est l’approche du philatéliste ? Dans l’absolu, le philatéliste exclut ce qui n’entre pas dans le thème de sa collection. S’il se concentre sur les timbres-poste, il ne gardera pas les enveloppes, papier monnaie, billets divers, vignettes, etc. Il exclura donc ces faux timbres. Cette attitude sera d’autant plus marquée que le collectionneur attache une valeur commerciale à ses pièces. Les vignettes n’étant pas cotées ni répertoriées, elles n’intéressent pas le spéculateur qui ne saurait leur attribuer une valeur marchande. À l’autre bout de l’éventail, l’amateur éclairé voit dans sa collection un témoin de son temps. Il lit ses timbres et interprète leurs caractéristiques. Dans ce contexte, une vignette offre la même lecture qu’un timbre-poste et peut faire partie d’un ensemble. C’est donc à vous de voir et de vous situer dans une catégorie bien précise : le permissif ou le formel, le mythomane ou le maniaque. Les chevaliers de saint Bernard Saint Bernard de Clairvaux, de petite taille, cheveux roux frisés, au caractère ferme et obstiné fit son entrée à Seborga au mois de février 1117 pour y rejoindre ses confrères Gondemar et Rossal, envoyés 4 ans auparavant afin de protéger le «Grand Secret». Le prince régent de l’époque était l’abbé Édouard, de haute stature, très entêté mais très bon, qui se tenait toujours les mains sur les hanches comme un pirate sur le pont de son vaisseau. Ce fut l’abbé Édouard qui, en septembre 1118, consacra les 9 premiers chevaliers de Saint Bernard composant la fameuse «Pauvre armée du Christ». Leurs noms : abbé Gondemar, abbé Rossal (oncle maternel de Saint Bernard), André de Montbar, le Comte Hugues 1er de Champagne, Hugues de Payens, Payen de Mont Didier, Geoffrey de Saint-Omer, Archambaud de Saint-Armand et Geoffrey Bisol. Huit d’entre eux partirent pour Jérusalem en novembre 1118 tandis que Hugues de Champagne les rejoignit six ans après. Ils furent de retour à Seborga, réunis pour le concile de Troyes, le premier dimanche de l’Avent 1127. Saint Bernard les attendait pour se rendre avec eux en Provence à la rencontre du frère Gérard de Martigues qui avait créé en 1112 l’Ordre hospitalier de St-Jean de Jérusalem, aujourd’hui Ordre de Malte. Ce fut à Seborga, en présence de la population, de 23 chevaliers et de plus de 100 miliciens, que saint Bernard désigna le premier grand maître de la «Pauvre armée du Christ» en la personne de Hugues de Payns : celui-ci fut sacré à l’épée par le prince abbé Édouard. À cette même occasion, près de l’olivier des Ames, Saint Bernard, les Chevaliers et Jean de Usson, le grand prêtre des cathares, firent serment de garder le «grand secret». Quinze des vingt-deux grands maîtres du Temple furent aussi princes pro-tempore de la principauté cistercienne de Seborga : Guillaume de Chartres fut grand maître de 1210 à 1219 et mourut à Seborga à cause de blessures reçues en Terre Sainte. Pourquoi principauté ? La principauté de Seborga est située à la limite extrême de la Ligurie occidentale, dans la province d’Imperia, et s’étend sur une superficie de 14 km2. Elle compte 2 000 habitants, dont 362 dans le bourg. Le peuple souverain a élu par acclamation publique son prince régent en 1963 en la personne de Giorgio 1er, qui a été réélu à vie le 24 septembre 1995. Principauté, pourquoi ? On ne sait pas si c’est par oubli ou par volonté cachée, mais une chose est certaine : la principauté n’a jamais cessé de l’être. Seborga n’a jamais fait partie intégrante du royaume d’Italie et, par conséquent, de la République. Costanzo Oliva, historien international, affirme que Seborga est «la première monarchie constitutionnelle qui soit au monde (d’après les historiens anglais), née en 954 et gouvernée par des abbés bénédictins (et cistercien par la suite) élus de droit et non par descendance princes pro tempore, peut accorder des titres honorifiques et nobiliaires en vertu de la reconnaissance de la papauté et de l’Empire». Wolfgan Schippke, historien allemand, soutient dans son livre Chemin de montagne sur la côte ligure que la principauté de Seborga a été reconnue par Mussolini : un document de 1934 récemment mis au jour à Berlin témoigne qu’elle «n’appartient certainement pas à l’Italie». En tant que principauté souveraine et conformément à la Bulle du pape Innocenzo II, Seborga a joui du droit Nullius diocesis jusqu’en 1946 ; déjà avant l’avènement du royaume d’Italie, les curés étaient désignés par «Nomina Regia». Cela prouve, encore une fois, que Seborga n’était pas une paroisse du royaume puisque, si tel était le cas, elle aurait dû respecter les règlements ratifiés par le «Concordato» de 1929. Comment vit cette principauté ? La floriculture en plein air est sa principale ressource : le mimosa dans toutes ses variétés est exporté partout, ainsi que les genêts, dont la variété tardive dite «la séborghina» est connue et appréciée par les floriculteurs. La «Caisse des chevaliers de saint Bernard» est affectée au bureau de Poste et permet aux touristes de passage de changer les devises en luigini, la monnaie courante. Nous remercions l’Office du tourisme de la principauté de Seborga de nous avoir remis tous ces renseignements nécessaires pour élaborer cet article et faire connaître aux philatélistes libanais qu’une petite principauté subsiste en Italie et émet ses propres vignettes.
Entre Gênes et Vintimille, en marge de l’autoroute italienne, on peut traverser sans le vouloir la région de Seborga. Une casemate et un soldat d’apparat vous rappelleront que le territoire est une principauté (autoproclamée), affichant des racines jusqu’au cinquième siècle. Ce passé, sans doute prestigieux, ne trompe personne, surtout pas les autorités italiennes, maîtresses des...