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Actualités - CHRONOLOGIES

VIE POLITIQUE - « Le maintien de l’armée syrienne et des services qui en émanent bloque la démocratie », estime Bkerké - Dossier syrien : les évêques maronites reprennent leur offensive

L’État pourra-t-il continuer d’ignorer les appels à un retrait syrien du Liban et à un rééquilibrage des rapports avec Damas et faire semblant que tout se passe bien dans le pays? Pourra-t-il continuer de considérer l’insistance à une fin de «la tutelle» syrienne sur le Liban et les initiatives allant dans ce sens comme une atteinte – pouvant entraîner des sanctions pénales – aux relations avec Damas ? Si la question se pose, c’est parce que l’Assemblée des évêques maronites est revenue hier à la charge, dressant un réquisitoire en bonne et due forme concernant les relations entre Beyrouth et Damas à qui elle reproche sévèrement d’altérer le système démocratique libanais. Elle a mis en relief les anomalies qui caractérisent la vie politique et le fonctionnement des institutions dans le pays, les attribuant sans ambages à l’hégémonie syrienne au Liban. «Le maintien de l’armée syrienne au Liban et des autres services qui en émanent et qui dominent la vie politique bloque la démocratie et anéantit par conséquent les libertés», estiment les évêques qui déplorent «l’état de détérioration» des institutions libanaises et qui reprochent indirectement aux autorités de ne pas avoir donné de suite à leur appel, énumérant une par une les tentatives (toutes avortées) amorcées dans ce sens. Le communiqué de l’Assemblée des évêques n’est pas ordinaire. Le texte subdivisé en cinq parties avec un titre (que nous reproduisons ci-dessous) pour chacune a d’ailleurs été rendu public sous la forme, non pas d’un communiqué, mais d’un «deuxième appel», qui s’inscrit dans le prolongement du premier qui avait lancé, en septembre dernier, le débat sur la présence et l’influence syrienne au Liban. La franchise est meilleure et plus durable Les évêques maronites ne manquent pas d’ailleurs de le rappeler et de laisser entendre qu’ils avaient en quelque sorte accordé aux autorités un délai d’un an pour régler ce dossier. «Dans deux semaines, notre premier appel aura un an. À l’époque, nous avions espéré que les responsables concernés allaient adopter les mesures susceptibles de corriger les relations qui nous lient à la Syrie-sœur, dans l’intérêt des deux pays-frères. Nous avons attendu un an, au cours duquel nous avons constaté quelques timides tentatives qui n’ont pas tardé à se dissiper, laissant les Libanais perplexes, à cause de l’ambiguïté qui caractérise leurs rapports avec leur sœur», a déclaré l’Assemblée des évêques qui a tenu sa réunion mensuelle à Dimane, sous la présidence du patriarche maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir. «Les Libanais ne savent pas, renchérit le texte, s’ils sont vraiment indépendants, comme elle (la Syrie) le leur assure, s’ils gèrent leurs affaires, sans qu’il n’y ait d’interventions de sa part. Ils ne savent pas s’ils lui sont subordonnés, depuis que leur pays a commencé petit à petit à être absent de la scène internationale et qu’il est devenu incapable de prendre la moindre décision, quelle qu’elle soit, sans la consulter. À notre avis, il est temps d’en finir avec cette ambiguïté. Les relations basées sur la sincérité et la franchise, notamment dès qu’il s’agit de questions cruciales, restent les meilleures et les plus durables». Et de poursuivre : «Il est de notoriété publique que le Liban a bénéficié au cours de son histoire d’un pouvoir autonome. À l’époque ottomane, il n’a pas été directement soumis aux walis, mais il était gouverné par des émirs libanais, parmi les Maan et les Chéhab, qui payaient à la Sublime Porte le tribut qu’elle leur imposait. Celle-ci leur avait donné carte blanche pour diriger le pays et gérer ses affaires. Puis vint l’époque de la Moutassarrifiya au cours de laquelle le Liban a obtenu une autonomie administrative grâce à la caution de sept États européens. Il y a eu ensuite le mandat français au cours duquel le Liban a récupéré ses quatre cazas, c’est-à-dire ses frontières naturelles, comme elles étaient avant qu’elles ne soient réduites sous la Moutassarifiya. Plus tard, le Liban a obtenu son indépendance qui a été reconnue par l’Onu et la Ligue des pays arabes». Dans la suite du rappel historique, les évêques maronites ont indiqué que «certains Libanais avaient exprimé des réserves à la proclamation de l’indépendance du pays parce qu’ils étaient plutôt favorables au projet de l’émir Fayçal qui avait proclamé le Royaume arabe de Syrie». «Nous ne savons pas si, parmi les Libanais, certains ne veulent plus aujourd’hui du Liban, en tant qu’État ayant des frontières naturelles bien déterminées, libre et indépendant, surtout que la Constitution a consacré le pays comme une patrie définitive pour tous ses fils», a fait remarquer le texte. Que s’est-il passé après le premier appel ? Les évêques qui ont énuméré les multiples réactions politiques à leur demande d’un redéploiement syrien et d’un rééquilibrage des rapports entre Beyrouth et Damas ont indiqué qu’il a été «reproché au premier appel d’avoir réclamé un redéploiement des troupes syriennes, en application de l’accord de Taëf». «Il a été aussi dit, ont-ils poursuivi, que le redéploiement avait commencé mais qu’il s’était arrêté pour qu’on ne prétende pas qu’il a été opéré sous la pression. Il a été également dit, en réponse à l’appel, que la présence syrienne au Liban était nécessaire, légale et provisoire. Il y a eu à l’époque une initiative du président (de la Chambre, Nabih) Berry qui a été étouffée dans l’œuf. M. Fouad Boutros nous a également rendu visite, dans l’espoir d’un dialogue qui déboucherait sur un rééquilibrage des relations entre le Liban et la Syrie. Mais on a tôt fait d’annoncer qu’il appartient à l’État de prendre en charge ce dossier, partant du principe qu’un dialogue pareil ne peut être engagé qu’entre deux États». Les évêques ont enchaîné : «Dans le même temps, des voix se sont élevées au sein du Parlement et des médias, réclamant un rééquilibrage des relations libano-syriennes et un redéploiement syrien . Il y a eu un rassemblement national chrétien, représenté par les Assises de Kornet Chehwane, puis il y a eu le Forum démocratique. Les langues se sont déliées et les gens ont commencé à exprimer leurs points de vue, même timidement. L’appel a obtenu un appui que le peuple a exprimé à l’occasion du retour de Sa Béatitude d’une tournée aux États-Unis et au Canada et de sa visite pastorale à Damour, au Chouf et à Jezzine. Cette visite a jeté les bases d’une réconciliation nationale qui a commencé entre les chrétiens et les druzes dans ces régions et qui devait s’étendre plus tard à toutes les régions libanaises, sous l’égide de l’État. Mais elle a été immédiatement suivie, malheureusement, d’une série d’accusations, d’arrestations et de procès». Il y a lieu de relever qu’à aucun moment, les évêques n’ont commenté les événements et les phases politiques qui se sont succédé depuis qu’ils ont lancé leur premier appel à un rééquilibrage des relations avec la Syrie, se contentant d’un état des lieux suffisamment éloquent, cependant. Les répercussions de cette situation sur l’État Le texte dresse un tableau sombre de l’état des institutions publiques. «Il n’est nul besoin de s’étendre sur ce que sont devenues les affaires de l’État dans ce climat obscur. Ce qui s’est récemment passé donne la plus forte preuve de l’état de détérioration des institutions : Le Parlement a changé de position par un coup de baguette magique et opéré un revirement de 180 degrés en l’espace de 10 jours (en allusion au vote des amendements du code de procédure pénale). Le Conseil des ministres est apparu comme s’il ignorait ce qui se passait autour de lui, alors qu’il est responsable de tout ce qui se passe dans le pays, conformément à la Constitution. La situation économique ne présage rien de bon. Le chômage s’est effroyablement étendu. Les jeunes cerveaux émigrent et nul ne peut prévoir s’ils pourront un jour retourner au pays». Il a poursuivi : «Et en dépit de tout cela, l’État semble paralysé. Parmi les députés, certains ignorent le peuple et le peuple leur rend la pareille. Leur allégeance va vers ceux qui les ont hissés à leurs sièges. Certains ministres sont imposés à leur chef (du gouvernement) qui est contraint, malgré lui, de collaborer avec eux. La décision est prise au-delà des frontières et non pas par les Libanais. Les décideurs appuient ceux sur qui leur choix se porte parmi les gens du pouvoir. Ils favorisent la victoire d’un tel sur un tel. Sans répit. Et au lieu de resserrer les rangs, ils s’acharnent à les diviser». «Est-il permis que cette situation se prolonge, surtout qu’elle a commencé il y a 25 ans et, qu’à cause d’elle, le Liban s’est mis petit à petit à perdre son identité, ses spécificités, ses institutions constitutionnelles et même son entité, notamment après la naturalisation d’un grand nombre d’étrangers qui avaient afflué au pays ?, se sont interrogés les évêques en faisant remarquer qu’un «grand nombre de Libanais déploient des efforts énormes pour obtenir une nationalité étrangère, quelle qu’elle soit» et que «d’autres emmènent leurs femmes à l’étranger où elles mettent au monde leurs enfants qui acquièrent ainsi une nationalité qui, estiment-ils, est de nature à leur assurer un avenir serein». «S’il en est ainsi, c’est parce que ces gens ont perdu confiance dans leur pays», ont-ils enchaîné. Qui est gagnant ? Qui est perdant ? Les évêques ont ensuite énuméré une multitude de problèmes qui se posent au Liban «et dans aucun des pays de la région, à l’exception de la Palestine où nous déplorons les massacres quotidiens dont son peuple est victime» : «L’implantation des Palestiniens, le conflit autour des hameaux de Chebaa et de Ghajar, la question du déploiement de l’armée au Liban-Sud, le fait que ce front soit le seul en effervescence alors que tous les autres fronts avec Israël sont calmes, l’affaire des Libanais du Liban-Sud, toutes appartenances communautaires confondues, qui se sont réfugiés en Israël ou qui croupissent en prison, la dette exorbitante que le Liban ne peut pas supporter et qui l’oblige à adopter une économie de guerre et de paupérisation alors que les pays de la région bénéficient d’une économie de paix et de prospérité, l’affaire des armes restées aux mains de certaines parties, contrairement aux dispositions de l’accord de Taëf et enfin, l’application sélective du document d’entente nationale qui nous pousse à nous poser les questions suivantes : Est-ce que cet accord est toujours en vigueur ou est-il définitivement mort ? Dans ce cas, faut-il croire que le Liban est condamné à vivre sous tutelle permanente, sous prétexte que ses fils vont de nouveau s’entretuer au cas où cette tutelle serait levée ?». Les évêques ont mis en garde contre les dangers de la tutelle syrienne : «Contrairement à ce que l’on croit généralement, le Liban est capable de régler tous ses problèmes au cas où on le laisserait les résoudre. Son peuple est pacifique et désire la réconciliation nationale mais il faut bien que la tutelle à laquelle il est soumis soit levée et qu’il puisse avoir la latitude d’exercer une démocratie authentique et de choisir ses représentants à la Chambre en toute liberté, sans interventions, sans promesses et sans intimidation. Jusqu’aujourd’hui, personne n’a songé à élaborer une loi électorale juste et durable, capable de donner le résultat souhaité. Si cette situation déplorable se poursuit, l’émigration restera le lot des Libanais, le jour viendra, à Dieu ne plaise, où l’on dira que le Liban était libre, souverain et indépendant, et ceux qui prétendent préserver le pays en maintenant la tutelle exercée sur lui seront la cause de sa disparition. Si le Liban disparaît, ceux qui espèrent l’engloutir ne seront pas contents. Ce seront eux d’ailleurs les perdants. Ils ne perdront pas seulement les bénéfices matériels et moraux qu’ils tirent du pays, mais ils seront affectés par les mêmes problèmes et c’est ce que nous ne leur souhaitons pas». La solution réside dans une fraternité authentique «Parmi les Libanais, ont ajouté les évêques, certains prétendent, et pour des raisons que nul n’ignore, que l’armée syrienne ne se retirera pas du Liban tant que le conflit israélo-palestinien persiste. Qui sait quand ce conflit prendra fin sachant qu’il dure depuis près d’un demi-siècle et que rien ne permet de prévoir qu’il sera réglé dans un proche avenir ? Il y a en contrepartie une réalité incontestable : le Liban était prospère pendant un quart de siècle et tout y allait bien en dépit de toutes les difficultés, avant que l’armée syrienne n’entre dans le pays». Poursuivant sur le même thème, ils ont déclaré : «Quelqu’un peut-il dire si l’armée syrienne s’est redéployée ? Dans quelle mesure ? Quel est le nombre de soldats qui continuent de stationner sur notre sol et jusqu’à quand ? Certains se font un plaisir d’annoncer que la présence militaire syrienne restera indispensable même si le conflit israélo-palestinien prend fin. De tels propos signifient la fin l’indépendance et de la souveraineté du Liban car le maintien des forces syriennes ainsi que celles des autres services qui en émanent et qui exercent une hégémonie sur la vie politique bloque la démocratie et anéantit les libertés». Et d’ajouter : «Que les corrupteurs et les corrompus parmi les Libanais et les Syriens (et nous ne sommes pas les auteurs de ces propos) continuent d’exploiter la présence militaire syrienne pour pouvoir bénéficier d’un partage de bénéfices en paupérisant le peuple et pour miner le système libanais est de nature à porter préjudice aussi bien à la Syrie qu’au Liban. La meilleure solution à cette situation anormale est de permettre au Liban d’assumer lui-même ses responsabilités et de gérer ses affaires, tout en maintenant une coordination avec la Syrie au sujet des questions d’intérêt commun, conformément aux règles qui régissent les relations entre les États. Nous en sommes convaincus. Ce serait comme deux frères qui vivent chacun dans une maison et qui gèrent chacun ses propres affaires sans que l’un ne se mêle des affaires des autres». Les évêques ont conclu en indiquant que «l’avenir et l’indépendance du Liban sont tributaires de la volonté, de la foi et de la solidarité de ses fils ainsi que de leur appui au droit», avant d’appeler le peuple, «toutes appartenances confondues, à renforcer sa confiance dans son pays et en lui-même, à resserrer ses rangs et à faire montre d’une solidarité fraternelle afin de pouvoir hisser de nouveau le Liban au rang des pays libres, souverains et indépendants».
L’État pourra-t-il continuer d’ignorer les appels à un retrait syrien du Liban et à un rééquilibrage des rapports avec Damas et faire semblant que tout se passe bien dans le pays? Pourra-t-il continuer de considérer l’insistance à une fin de «la tutelle» syrienne sur le Liban et les initiatives allant dans ce sens comme une atteinte – pouvant entraîner des sanctions...