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Actualités - REPORTAGES

À Grenade et à Gênes, au XVIe siècle, - les premiers pas de l’imprimerie arabe

Vivant une des expériences de tolérance et d’amitié les plus efficaces du monde contemporain, le Liban a quelque titre pour qu’un message de fraternité venant de ses rivages soit exemplaire. Ce message, il le lança au XIXe siècle lorsque la renaissance culturelle arabe (publications de textes anciens, grammaires, dictionnaires, romans, pièces de théâtre, encyclopédies, journaux) se déroula dans ses montagnes et constitua le point de départ d’une mise au point de la personnalité des pays de langue arabe qui se poursuit. Notre pays se plaçait dans la tradition de ces humanistes libanais qui avaient donné en Italie, au XVIe siècle, un essor considérable à l’imprimerie arabe auprès des Médicis, avaient suscité les impressions de la Typographie royale de France sous Richelieu et Louis XIV et avaient indirectement provoqué les impressions arabes de Bucarest, Jassy et Alep, auxquelles les noms de Constantin Brancovan, Jean Mazeppa, Jean Mavrocordato sont étroitement associés. Dans quelles conditions donc les premiers imprimés arabes apparurent ? La question est d’un intérêt considérable. Au XIIe siècle, les Arabes, à travers l’Afrique du Nord, avaient apporté à l’Europe le papier. Cette matière ressemblait au parchemin, mais sa fragilité était trop grande. Les colles végétales qui servaient alors à sa fabrication autant que sa structure cotonneuse rendait son usage délicat. En Italie et en Espagne, des moulins et des procédés nouveaux étaient mis au point au cours des XIIIe et XIVe siècle. On employa la colle animale et des gélatines, on fabriqua des maillets spéciaux pour triturer et broyer les chiffons, des presses pour satiner leurs surfaces. L’extension de la culture des chanvres et du lin, qui allait revêtir de toile et non plus de laine les habitants de l’Europe, permit enfin la diffusion d’un papier nouveau qui n’allait plus servir d’instrument très provisoire mais sur lequel on pouvait écrire pour longtemps comme on le faisait sur le parchemin. Les empreintes xylographiques Entre-temps, provenant d’Orient, les premières empreintes sur tissu étaient, au XIVe siècle, parvenues en Europe. La reliure des manuscrits utilisait déjà dans le bassin méditerranéen la technique de la plaque de métal gravé en creux de figures et de légendes, et que l’on apposait sur le cuir. Dans les manuscrits on commençait parfois à laisser en blanc l’espace de la lettrine des débuts de chapitre, non plus pour les livrer aux enlumineurs, mais pour y presser avec les encres de couleurs différentes une estampille gravée «dans le bois ou dans le métal». De la fin du XIVe siècle au milieu du XVe, on grave à travers l’Europe des blocs de bois représentant des sujets pieux, à textes courts, blocs que l’on appose, encrés, sur tissus ou sur papier. Ces empreintes dites xylographiques, au procédé d’origine chinoise, représentent les premières estampes et leur faveur se poursuivra sous des formes diverses jusqu’à nos jours. Elles sont la première manifestation de l’imprimerie, utilisant l’encre grasse et le papier. La mobilité des mots nécessaire à la composition de textes variés n’existe pas encore. On signale des empreintes xylographiques en arabe que l’on date d’ailleurs du IXe ou du Xe siècle. Ce sont des prières, des amulettes, des talismans. Or, depuis le XIIIe siècle, les orfèvres et les artisans du métal utilisaient des poinçons gravés en relief. Il sera très difficile de dire exactement à quelle date les premiers textes furent imprimés avec des caractères mobiles. On considère que cela se produisit entre 1445 et 1455. Gutenberg était d’ailleurs orfèvre comme Abdallah Zakher qui, trois cents ans plus tard, allait lui-même au Liban utiliser les poinçons d’un très beau caractère arabe. Durant toute la seconde partie du XVe siècle, les imprimés se rapprochèrent beaucoup dans leur présentation des manuscrits, car il était essentiel que les lecteurs, effarouchés peut-être par cette révolution graphique, ne s’aperçoivent pas trop rapidement que ces livres n’étaient pas l’œuvre de copistes. Voilà pourquoi on pria les enlumineurs un instant écartés lors de l’usage des empreintes pour lettrines de revenir et de charger les textes sortis de presse, d’antennes et de lettres dorées et fleuries. Oriental, Avicienne, dont les manuscrits en arabe avaient retenu toute l’attention du monde européen d’alors, fut le premier à avoir les honneurs d’une traduction latine. Imprimé à Venise, son œuvre allait être classique dans toutes les écoles de médecine et livrer jusqu’au XIXe siècle la pensée scientifique de nos régions au monde savant qui était déjà pénétré des grands textes humanistes traduits. Breydenbach publie le premier alphabet arabe Pour voir apparaître des caractères arabes dans un livre, nous devrons attendre qu’un religieux dominicain, nommé Martin Roth, imprime en 1486 chez Erchard Reuwich à Mayence, le fameux compte-rendu du Voyage et Pèlerinage d’Outre-mer au Saint-Sépulcre de la Cité Sainte de Jérusalem fait et composé en latin par Bernard de Breydenbach. Erhard Reuwich aurait été le dessinateur des planches de ce livre où est présenté pour la première fois dans un ouvrage imprimé un alphabet arabe complet avec la prononciation latine des lettres, un plan de Jérusalem et une charmante gravure représentant des Libanais baptisés Syriens, dans une vigne, coiffés de magnifiques turbans – première figuration de Jérusalem sans doute et de nos compatriotes certainement dans l’édition européenne. Il semble que le texte fut imprimé par P. Schoeffer. Il représente en tout cas le premier voyage illustré parmi les incunables et le premier ouvrage qui consacrera un important paragraphe aux maronites. Cela ne faisait malgré tout qu’un alphabet arabe reproduit. Aucun texte n’y apportait la moindre phrase construite. Il faudra attendre six années plus tard la reconquête de Grenade pour que la nécessité d’un texte arabe imprimé apparaisse en Europe. Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille par leur mariage avaient réuni les deux puissants royaumes qui allaient conquérir l’Andalousie. Ils entrèrent dans Grenade aux premiers jours de janvier 1492. Après les combats, Ferdinand, qui avait doté le jour même son ennemi Abou Abdallah de nombreuses terres sur la côte, l’avait embrassé et invité à revenir habiter Grenade. Abou Abdallah refusa et, quelques heures plus tard, considérant de la colline Padoul cette ville admirable, avait pleuré. C’est alors que sa mère, la sultane Ayesha, lui dit la phrase fameuse : «Pleure comme une femme la perte de ton royaume que tu n’as pas su défendre comme un homme». in Le Livre et le Liban
Vivant une des expériences de tolérance et d’amitié les plus efficaces du monde contemporain, le Liban a quelque titre pour qu’un message de fraternité venant de ses rivages soit exemplaire. Ce message, il le lança au XIXe siècle lorsque la renaissance culturelle arabe (publications de textes anciens, grammaires, dictionnaires, romans, pièces de théâtre, encyclopédies,...