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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Droits de l’homme - Débat au barreau de Beyrouth - Des avocats dénoncent la pratique de la torture au Liban

«Je l’affirme avec beaucoup de courage et sincérité : la torture est, semble-t-il, pratiquée sur certains détenus au Liban, comme en témoignent certaines sources». Le coup d’envoi était donné. D’un ton grave, le ministre de la Justice Mohammed el-Jisr venait de reconnaître publiquement, devant un parterre de juristes et de défenseurs des droits de l’homme, que le Liban abrite et protège les tortionnaires. Le problème, dit-t-il, «est l’inexistence de preuves». Par ces quelques mots qui sont venus renforcer son allocution courageuse sur un thème encore tabou, le ministre a introduit, samedi dernier, un des débats les plus houleux qui se soit jamais déroulé au barreau de Beyrouth. Organisé par l’Institut des droits de l’homme à l’Ordre des avocats de Beyrouth, le séminaire devait traiter de «l’application de la Convention de l’Onu sur la torture». Mais ni les interventions ni les débats qui s’ensuivirent ne se sont limités au simple cadre juridique, le dépassant pour aborder des témoignages, incriminer les responsables, dévoiler les complicités et dénoncer les lacunes au niveau de la législation nationale. En effet, les défenseurs de la dignité humaine n’ont pas mâché leurs mots, fustigeant aussi bien les tortionnaires, leurs supérieurs hiérarchiques, que leurs complices dans les coulisses de la justice. «Certains avocats sont atteints de schizophrénie», lance Walid Atef, membre du comité de défense des libertés et des droits de l’homme à l’Ordre des avocats de Beyrouth. «Selon que leur client soit accusé ou qu’il se soit constitué partie civile, ils sont tantôt contre, tantôt en faveur de la torture et ne lésinent pas à encourager quelques gifles». Walid Atef ne manque pas de dénoncer au passage l’attitude de certains juges convaincus qu’il est impossible de dévoiler la vérité sur un crime autrement que par des moyens «persuasifs». Ils prennent pour principe celui de la culpabilité au lieu de l’innocence (alors que la règle admise est que tout accusé est innocent jusqu’à preuve du contraire), «l’aveu étant la reine des preuves», précise Walid Atef. «Nous oublions souvent que, d’après les lois en vigueur, l’aveu ne peut constituer une preuve valable s’il est arraché contre la volonté de l’accusé et par la force», a-t-il rappelé. Le jeune avocat a relevé parmi les déviations du système judicaire libanais l’usurpation par la police juridiciaire de prérogatives qui sont propres au parquet général. Le président de la cour criminelle du Mont-Liban, Joseph Ghamroun, dénonce à son tour le laxisme au niveau des enquêtes judiciaires, qui ont parfois abouti à des aberrations. Et le juge de citer l’exemple de deux récentes décisions judiciaires qui viennent d’innocenter deux personnes accusées de meurtre, qui ont été emprisonnées durant neuf ans. Les arrestations préventives Cependant, les lacunes de la loi ne s’arrêtent pas là. Car c’est au cours des arrestations préventives, qui s’éternisent dans le temps, qu’ont lieu les actes de torture les plus abjects. Une fois de plus, c’est le ministre de la Justice lui-même qui dénoncera ces errements. «Ceux qui transgressent la loi (…) sont vraisemblablement des professionnels. Ils réussissent à profiter des lacunes de la loi, notamment des arrestations préventives de longue durée. De même qu’ils confondent entre les notions d’accusé, de témoin ou de suspect», a-t-il dit. Il rappelle que ce problème devrait être en principe résolu dès l’adoption du nouveau code de procédure pénale qui prévoit un délai de 24 heures, renouvelable une seule fois pour les arrestations préventives. Celles-ci doivent désormais se faire en présence d’un avocat et d’un médecin. Mais, en attendant que ce nouveau code soit adopté, des mesures concrètes et urgentes doivent être prises afin de mettre fin aux exactions commises dans les bureaux d’enquête. La défense des droits des victimes, c’est Georges Assaf, président de l’Institut des droits de l’homme, qui s’en fera l’avocat. «Personne ne parle de la situation des personnes victimes de torture, souligne Me Assaf. Qui pourra soigner leurs blessures physiques et morales ? Et qu’en-est-il des compensations auxquelles elles ont droit ? Cette question est sciemment occultée», a-t-il affirmé lors de son allocution. Et l’avocat de rappeler que la Convention de l’Onu contre la torture (à laquelle le Liban est partie) prévoit «le droit d’obtenir des réparations et d’être indemnisé». De tels mécanismes doivent toutefois être prévus par la loi nationale. Me Assaf indique en outre qu’il n’existe aucune définition de la torture dans la loi libanaise. Les sanctions judiciaires sont par conséquent absentes. Seules des sanctions disciplinaires peuvent être prises à l’encontre des «contrevenants», la torture étant considérée comme un délit et non comme un crime. Me Assaf sera rejoint par M. Jisr, qui reconnaît que la législation est insuffisante, tant que les causes n’ont pas été traitées. «La torture se déclenche lorsque l’on tente de découvrir la vérité sur certains crimes. Dès cet instant, les écarts n’ont plus de limites», dit le ministre, qui estime que les victimes doivent absolument intenter des procès contre leurs bourreaux pour pouvoir apporter les preuves suffisantes pour incriminer les auteurs. Présentant les mécanismes internationaux pour la lutte contre la torture, Rolland Kessous citera la Convention de l’Onu et celle de l’Union européenne, «des textes révolutionnaires, car ils brisent la souveraineté des États, au nom du respect des droits de l’homme et de son intégrité physique». Membre de la Commission du Conseil de l’Europe pour la lutte contre la torture, Marc Neve a présenté les caractéristiques de la Convention européenne pour la prévention de la torture. Basée sur des visites effectuées sur le terrain, cette Convention se distingue par la mise en place d’un mécanisme non judiciaire à caractère préventif. Au cœur de la Convention se trouve le principe de la coopération entre le comité d’experts et les États nationaux. De là découle le caractère strictement confidentiel des travaux du comité, explique l’avocat. «La publicité ne sera faite que si un État ne coopère pas ou refuse d’améliorer la situation à la suite des recommandations du comité». Pour Georges Assaf, la lutte contre la torture ne saurait se faire sans une décision politique. S’il est vrai que le cadre législatif ne saurait résoudre à lui seul le problème, il est important de reconnaître la responsabilité de tous les acteurs, en premier celle qui incombe aux avocats et aux juges, a-t-il affirmé.
«Je l’affirme avec beaucoup de courage et sincérité : la torture est, semble-t-il, pratiquée sur certains détenus au Liban, comme en témoignent certaines sources». Le coup d’envoi était donné. D’un ton grave, le ministre de la Justice Mohammed el-Jisr venait de reconnaître publiquement, devant un parterre de juristes et de défenseurs des droits de l’homme, que le...