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Actualités - COMMUNICATIONS ET DECLARATIONS

FESTIVAL FRAYKEH 2001 - « Asphyxies » de Man Drake, entre danse contemporaine et théâtre - Aragon en déconstruction

Depuis sa création en 1992 par Toméu Vergès, la compagnie Man Drake tente toujours de pousser à bout ses performances très expressives, à cheval entre théâtre et danse contemporaine. À Fraykeh, dans l’ancienne magnanerie de Mounir Abou Debs, le public libanais a découvert ce week-end Asphyxies : un étonnant duo danse/texte, violent, d’une technicité et d’une maîtrise parfaites, merveilleusement interprété par Toméu Vergès et Alvaro Morell. Un spectacle visuel et sonore inspiré du chef-d’œuvre érotique de Louis Aragon Le Con d’Irène, ainsi que de l’état d’esprit d’Aragon au moment de l’écriture de cette œuvre. Commandé à la compagnie Man Drake il y a quatre ans, pour le centenaire de la naissance de Louis Aragon, le spectacle Asphyxies se distingue des autres créations de Toméu Vergès qui comprennent en général plusieurs danseurs, ainsi que des décors. Là, la structure est légère : deux interprètes, et pas de décors. Pourquoi Vergès a-t-il choisi, parmi l’œuvre très vaste d’Aragon, Le Con d’Irène, récit qu’il avait écrit à l’époque surréaliste, mais qu’il n’a reconnu que dans les années 60 ? «Parce qu’il correspond à un moment très décisif de la vie d’Aragon, un moment de crise, de doute, de désespoir. Aragon avait été abandonné par sa femme. Il l’avait entendue faire l’amour avec un autre, dans la chambre d’à côté. Il était préoccupé par des problèmes sexuels. Il avait tenté de se suicider…». Asphyxies est donc un cri. La souffrance nue et violente d’un homme en proie à une déconstruction de son être, dédoublé. Le corps et l’esprit se fuient, se contredisent, se cognent, tentent de s’accorder… Tout est cassé, en lui et en dehors de lui : le temps, la lumière, l’écriture, les chaises. Sur scène, tandis que Toméu Vergès parle, Alvaro Morell s’agite dans des mouvements fous, saccadés, répétitifs. Il court, se tortille au sol, bondit, tournoie sur lui-même, se recroqueville. Vergès garde une attitude plus théâtrale en général, mais il est vite rattrapé par l’agitation suprême de son «autre face». Le spectacle est bourré de clins d’œil et d’allusions à Aragon et à l’époque surréaliste : l’homosexualité, jamais admise par le Parti communiste (à la mort d’Elsa, Aragon est parti avec un homme), les chaussures bleues (les dernières années de sa vie, il ne portait plus que des chaussures de cette couleur), le sol tapissé de journaux (allusion à l’Humanité), etc. Mais un public non averti reste à côté de la plaque. «Ce n’est pas grave», souligne Toméu Vergès, «car Asphyxies parle également de choses que tout un chacun pourrait vivre aujourd’hui. Des problèmes très terre à terre, mais dont il est très difficile de parler et que l’on tait. Personnellement, je pense qu’il est bon de faire sortir ces inquiétudes à la surface, de temps en temps. Le spectateur ne comprend peut-être pas bien, mais il réagit sûrement». De l’humour, la compagnie Man Drake en prévoit d’habitude une bonne dose dans ses spectacles. «Aragon ne nous a pas facilité la tâche», indique Toméu Vergès dans un sourire. Il s’en sort toutefois avec brio, par le biais de deux scènes assez loufoques, dignes de Charlie Chaplin. Dans la première, Morell se met à tout peindre en bleu, y compris lui-même. Dans la seconde, Vergès casse des chaises, avec rage, tandis que Morell, impassible, lui en apporte d’autres, encore et encore. Dans Asphyxies, l’éclairage et les jeux de lumière (Marianne Pelcerf) jouent un rôle essentiel. Tout comme la musique, signée Ève Couturier. «Il me fallait trouver des illustrations sonores par rapport au duo que représente cette pièce, entre texte et expression silencieuse de ce texte. Un environnement qui donne au duo une dynamique ; une musique qui ne soit pas narrative – puisqu’il y a un texte –, mais qui reste dans une abstraction. J’ai donc choisi des musiques contemporaines ainsi que des climats, qui ponctuent le spectacle». Asphyxies est un spectacle résolument moderne. Théâtre ? Danse contemporaine ? «Il faudrait redéfinir la danse contemporaine, qui ne veut plus rien dire de nos jours. Elle éclate de toutes parts, elle s’inspire des arts plastiques, du cinéma, du théâtre, et elle est donc plus dynamique que le théâtre. Mais ce qui m’intéresse avant tout, ce sont les interprètes. Ce ne sont pas uniquement des danseurs, et je refuse de ne voir en eux que des corps. Ce sont des personnes, uniques, avec une personnalité unique, une tête, un corps et des émotions. Et ce sont eux, avec leur façon d’être, qui font le spectacle, même si je suis là pour les diriger». Vergès et Morell sont tous deux Espagnols, de Barcelone. Avec Asphyxies , ils en sont à leur sixième collaboration, et on le sent bien. Ils s’accordent et se complètent quasi naturellement, pour 55 minutes de vérité.
Depuis sa création en 1992 par Toméu Vergès, la compagnie Man Drake tente toujours de pousser à bout ses performances très expressives, à cheval entre théâtre et danse contemporaine. À Fraykeh, dans l’ancienne magnanerie de Mounir Abou Debs, le public libanais a découvert ce week-end Asphyxies : un étonnant duo danse/texte, violent, d’une technicité et d’une maîtrise parfaites,...