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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

LE FRANÇAIS EN FETE - Table ronde au CCF - La francophonie : le sens – et les différentes techniques – d’un combat

«La Francophonie : le sens d’un combat», c’était au CCF, rue de Damas, le thème provocateur, voire belliqueux, d’une table ronde qui a réuni des auteurs en langue française, autour du conseiller de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France, M. Alain Fouquet, institué en modérateur. L’ennemi désigné est – l’on s’en doute – l’anglais, qui par son invasion du monde moderne des transactions et des télécommunications pousse les francophiles à se mobiliser pour mettre sur pied des stratégies de défense. Nonobstant cet «esprit guerrier», l’échange d’idées et de points de vue (qui a eu lieu entre Mme Katia Haddad, auteur francophone et professeur de littérature à l’Université Saint-Joseph ; M. Gilles Pellerin, écrivain et nouvelliste québécois, et Jacques Pilet, chroniqueur au magazine suisse L’Hebdo) s’est fait néanmoins dans une atmosphère de concorde, sans batailles, ni éclats, mis à part les étincelles d’humour et les anecdotes qui ont émaillé la séance. Fort intéressante. Un simili intrus dans cette assemblée littéraire : le directeur du Bureau Moyen-Orient de l’agence universitaire de la francophonie (AUPELF), M. Michel Bennasar, qui a témoigné de la bonne santé du français au moyen de chiffres. «Je voudrais d’abord rappeler qu’il ne s’agit pas pour nous de combattre quelqu’un mais de combattre pour quelque chose. Comme l’a dit M. Boutros Boutros-Ghali : “La francophonie, ce n’est pas aller contre une langue, c’est défendre la diversité linguistique”. En tant qu’universitaire scientifique, je peux affirmer que le français reste la seconde grande langue scientifique au monde, après l’anglais. Dans le domaine culturel, c’est encore la première. L’AUPELF couvre quelque 450 universités (au sens large) dans plus de 40 pays à travers le monde, dont 9 institutions et centres de recherche au Liban. Dans ce pays, même s’il y a quelques inquiétudes à avoir, la langue française est encore bien vivante». Attachement et intérêt «Défendre la langue française, oui ; être sur la défensive, non !», c’est par ce «slogan» que Mme Katia Haddad, coauteur de plusieurs ouvrages sur la littérature francophone et notamment d’un dictionnaire de la francophonie, a attaqué son intervention. «Se mettre d’emblée dans une relation conflictuelle avec d’autres langues est, me semble-t-il, un point de départ erroné. Nous savons dans un pays comme le Liban qu’il est tout à fait possible que les cultures coexistent, qu’elles participent les unes des autres pour former une situation neuve, différente. C’est là l’un des intérêts du multilinguisme et du plurilinguisme, propres au Liban, a assuré Mme Haddad. Ne pas être sur la défensive revient à ne pas momifier la langue française. Accepter qu’elle puisse rendre compte du quotidien des gens ; qu’elle puisse évoluer et emprunter ; qu’elle puisse être infléchie (au moins par l’accent !) par les gens qui la parlent. C’est, après tout, le meilleur signe d’appropriation que nous puissions lui manifester. Il est ainsi tout à fait normal que nous introduisions dans cette langue un certain nombre d’expressions qui nous sont propres, qui n’existent pas ailleurs parce qu’elles ne correspondent pas à d’autres réalités. Le Liban est, par exemple, un des rares pays où l’on peut dire à quelqu’un : “ton téléphone n’accroche pas”. Il ne s’agit pas du tout ni d’une ligne occupée ni d’un téléphone en dérangement, mais d’un problème de réseau sous une telle pression, qu’il arrive que l’on ne puisse pas entrer en contact avec son correspondant. C’est en l’infléchissant de la sorte que nous manifestons notre attachement à la langue française, et par conséquent, que nous la défendons». Le français est certes une langue que nous aimons, mais la francophonie est aussi «une conjonction d’intérêts», a poursuivi Mme Haddad. Soulignant qu’ «il est de notre intérêt, nous Libanais, de parler le français. Le français et l’arabe étant deux langues diamétralement opposées au plan culturel. C’est-à-dire que le rapport au temps qui existe dans la langue arabe n’a rien à voir avec celui qui existe dans la langue française. En arabe, il y a trois modes pour exprimer le temps : le passé, le présent et l’impératif. Il s’agit en réalité de deux temps : le mode achevé et le mode inachevé, car dans la logique propre à la langue arabe, il n’y a pas de futur parce qu’il n’est ni achevé ni inachevé, il n’existe pas encore. En revanche dans la langue française, nous avons pour le mode indicatif seulement neuf temps, qui sont en rapport, de postériorité ou d’antériorité, les uns par rapport aux autres. Voilà la différence fondamentale entre ces deux langues. Et c’est parce que nous avons besoin à la fois de ce rapport un peu flou au temps, qui est notre identité et, dans le monde moderne d’aujourd’hui, du rapport plus précis au temps que les deux langues nous sont nécessaires». Et de conclure : «Défendre la langue française, oui. Mais la défendre pour ce qui nous intéresse en elle, et faire en sorte que chacun des pays de la francophonie puisse apporter son infléchissement à ce concept du français». Contre l’anglicisme – C’est avec passion et militantisme que l’auteur québécois, Gilles Pellerin (il a publié, entre autres, une Anthologie de la nouvelle Québécoise, et Récit d’une passion ; Florilège du Français au Québec), a réagi au propos de Katia Haddad : «Je n’hésiterais pas à revêtir la tenue de combat pour défendre le français. Bien qu’entièrement cerné par le monde anglo-saxon, nous traquons l’anglicisme avec vigilance. Nous parlons le français depuis trois siècles et demi, et nous avons gardé dans notre langage des mots du patois qui ont disparu en France. Au Québec, la personne qui dit computer (même avec la prononciation française) au lieu d’ordinateur subi les sbires de ses interlocuteurs. Je vous signale que vingt millions d’Américains apprennent le français et que 40 pour cent l’apprennent comme deuxième langue». Pour sauver l’avenir de la francophonie, Gilles Pellerin estime qu’«il faut faire en sorte de nouer des alliances culturelles entre les pays de l’ensemble du monde francophone». L’ennemi de la langue française est aux yeux de l’écrivain québécois, «nous-mêmes, lorsque nous cédons à la facilité, à la syntaxe approximative, à une sorte de paresse, de laxisme... Lorsque nous cédons la langue de la culture, du savoir, de l’humanisme et de la courtoisie, pour la langue de la consommation». Un bilinguisme pauvre Enfin, M. Jacques Pilet, qui est à la fois francophone et germanophone, et chroniqueur dans les deux langues, s’est déclaré lui aussi pour la sauvegarde du français, mais en évitant de tomber dans le chauvinisme linguistique . «Je pense que le purisme linguistique est un peu vain. Et je trouve, comme Mme Haddad, que la langue française s’enrichit souvent de sonorités, d’apports extérieurs de toutes origines. Néanmoins, il y a combat. Il ne faut pas donner dans l’angélisme et voir qu’il y a aujourd’hui des rapports de force, de grandes manœuvres au niveau de l’audiovisuel et des transmissions d’information, où la langue est un facteur important. Dans le domaine du cinéma par exemple, il y a eu un grand combat économique de la part des majors américaines». Mais à part ces raisons liées aux rapports économiques et politiques, la nécessité du combat «porte peut-être sur le type de société dans lequel on va vivre dans les prochaines décennies. On observe aujourd’hui, dans un très grand nombre de pays, la tentation de vivre dans le bilinguisme. Un bilinguisme qui consiste à cultiver sa langue maternelle, ou bien souvent son dialecte, et un anglais basique, fonctionnel, qui n’ouvre absolument pas sur la dimension littéraire et poétique de l’anglais, et qui est même considéré comme une menace pour la langue anglaise. Et ce bilinguisme est un appauvrissement culturel. C’est triste parce qu’une langue est plus qu’une langue, elle nous conduit à des appréhensions différentes du réel. Donc, oui, il faut se battre, tout à fait concrètement sur les terrains de la diplomatie et de l’économie, car le laisser-aller peut véritablement porter préjudice à la langue que nous aimons», a conclu M. Pilet. Z.Z.
«La Francophonie : le sens d’un combat», c’était au CCF, rue de Damas, le thème provocateur, voire belliqueux, d’une table ronde qui a réuni des auteurs en langue française, autour du conseiller de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France, M. Alain Fouquet, institué en modérateur. L’ennemi désigné est – l’on s’en doute – l’anglais,...