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Actualités - OPINIONS

Maman, si tu savais

Maman, je pense à toi plus spécialement en ce jour de fête. Tu nous a quittés il y a de longues années et, depuis, plus rien ne ressemble à ce que tu as connu. Plus rien ni personne d’ailleurs. Ah si tu savais ! Tu es morte une fois, alors que nous mourons au quotidien dans ce pays de toutes les surprises, de tous les scandales, de toutes les magouilles, de toutes les vexations, de la plus grande pauvreté comme de la richesse la plus écœurante. Et ça se veut un pays. Tu ne saurais plus revenir chez nous, ni ailleurs tant le paysage a changé dans ce désert de béton désordonné qui fait la fortune de quelques-uns. Heureux temps où nous ouvrions grandes nos fenêtres pour respirer un air doux et pur. T’en souviens-tu ? Nous étions souvent réveillés par l’odeur des fleurs d’orangers venue des vergers pas si lointains. Aujourd’hui maman, il nous faut tout verrouiller, et même nous barricader pour éviter les effluves des poubelles à ciel ouvert de Dora et de Bourj Hammoud, ou les gaz toxiques dégagés par les voitures qui sont plutôt des épaves ambulantes. En somme, le Liban tout entier est malade de pollution alors qu’on pouvait facilement éviter cette épidémie avec quelques mesures élémentaires et un minimum de respect de l’homme et de la nature. Celle-là ne pardonne pas; elle reprend toujours ses droits en se vengeant. D’ailleurs, l’agression contre la population, elle, vient de toute part maman. La liste serait trop longue à énumérer. Et puis tu ne comprendrais rien à rien ; les choses ont tellement changé, tellement. Dans ce pays devenu un des plus chers au monde avec des salaires ridicules et une propension sans frein au gain facile et rapide, tu ne pourrais plus rien acheter; ni les produits de première nécessité, ni ceux dits de luxe. Tu n’aurais même plus à te sacrifier pour assurer un meilleur confort à ta famille maman parce qu’ il ne te resterait plus rien à sacrifier, dépouillée même de l’essentiel. Et cela, grâce à la gestion de responsables gourmands, ignorants incompétents et suffisants. Eux, par contre, ne se privent de rien. Crois-moi ! Tiens, on ne parle plus d’argent de poche de nos jours, la notion est devenue désuète. Il s’agit plutôt d’ assurer un réel salaire à sa progéniture pour lui permettre de vivre sa petite vie. Sans compter les frais d’un enseignement auquel s’attache le Libanais le moins nanti. Là alors, c’est une véritable catastrophe. Le pays qui a donné l’alphabet au monde ne peut plus l’assurer à ses enfants. Même au rabais. Tu sais, maman, ici le plus petit bobo devient sujet d’inquiétude. Car, aujourd’hui, se soigner relève de l’exploit. Pour tout résumer, il faut mourir ou avoir bonne santé. Aucune autre alternative n’est possible si on veut rester digne. Et tu l’étais ô combien. Au point que l’idée de renoncer à tes racines ne t’aurait jamais effleurée. Tu serais effarée aujourd’hui de voir comment, combien de nos jeunes n’ont qu’une hâte : partir, sans même emporter la patrie au bout de leurs semelles. La patrie... un terme vidé de sens ou presque à leurs yeux. Peut-on le leur reprocher, quand la démission se situe beaucoup plus haut ? Au haut des cieux reste, apaisée, maman. Ici, il n’y a plus rien à voir. Et plus rien à faire.
Maman, je pense à toi plus spécialement en ce jour de fête. Tu nous a quittés il y a de longues années et, depuis, plus rien ne ressemble à ce que tu as connu. Plus rien ni personne d’ailleurs. Ah si tu savais ! Tu es morte une fois, alors que nous mourons au quotidien dans ce pays de toutes les surprises, de tous les scandales, de toutes les magouilles, de toutes les...