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Actualités - OPINIONS

SITUATION - Chrétiens et musulmans ne font rien pour mieux se comprendre - Le Liban figé entre deux obsessions

Le Liban donne en ce moment, et depuis un certain temps d’ailleurs, l’impression d’un pays qui avance à cloche-pied. C’est qu’entre le contentieux Taëf et le contentieux Sud, le politique bloque toute réflexion, et d’abord la réflexion sur l’identité nationale, si nécessaire au sortir d’une guerre où nous avons perdu jusqu’à la notion de ce que nous sommes. Fixés de manière obsessionnelle sur la Syrie et Israël, et divisés sur ces deux grandes questions, chrétiens et musulmans ne font rien pour mieux se comprendre, afin de ne pas avoir à admettre qu’ils sont si différents, et mettre en péril la fiction qu’ils forment une même société. Nous ne regardons pas notre histoire en face. Une brève revue des principales questions de l’heure le montre. SUD : l’euphorie trop brève de la libération passée, force est de constater que le Sud est de nouveau un abcès de fixation de la crise régionale, et non seulement un contentieux frontalier libano-israélien. Nous baignons dans une situation floue de «ni paix ni guerre» aussi mauvaise pour l’économie que pour le moral. Ce qui se passe à Kfarchouba est typique. Des habitants de ce village frontalier souhaitent l’installation d’un poste de la Finul, garant de sécurité. D’autres endossent les thèses de la Résistance islamique, et refusent le poste. C’est clair, les Libanais sont divisés au sujet de la poursuite de la résistance armée. Cette division n’est pas uniquement politique, elle est également sociale. Voici quelques jours, l’épouse d’un ancien milicien, actuellement emprisonné, rentre chez ses parents à Bint-Jbeil. Deux jours plus tard, elle est obligée de partir, à la suite d’une manifestation féminine hostile à sa présence organisée sous son balcon. Oui, ça peut arriver, l’exemple de la France sous l’occupation est là. Mais le problème, c’est que ce genre de ressentiment est entretenu et nourri. Or, on peut applaudir à la libération du Sud, sans nécessairement endosser le projet de libération de Jérusalem. SYRIE : les rapports avec la Syrie sont «gelés» en l’État. Le «retrait larvé» dont Nabih Berry a parlé ne s’est plus poursuivi. La mission de Fouad Boutros est suspendue. La visite en Syrie du patriarche Sfeir, à l’occasion – idéale – de la visite que Jean-Paul II compte effectuer en Syrie, début mai, est incertaine. Bref, il y a contestation sur l’application de l’accord de Taëf, ses termes ne sont pas respectés, mais il n’y a pas d’arbitre. Du reste, ce qui se passe en Syrie même est un bon indicateur de ce qui se passe chez nous. Le coup de froid au timide «printemps de Damas» est là pour prouver que la promesse d’un rétablissement des droits de réunion et d’expression demeure fragile. Ces droits demeurent bafoués au Liban même pour certaines fractions politiques de l’opposition. SITUATION RÉGIONALE : l’arrivée au pouvoir d’Ariel Sharon devrait normalement, s’il a une ombre de sagesse, renforcer les courants modérés dans le monde arabe, car l’escalade de la violence ferait parfaitement son affaire. C’est qu’il est nécessaire de redoubler de prudence avec un homme qui n’hésite pas à remettre en question tous les acquis de l’Autorité palestinienne depuis l’accord d’Oslo, et se promet de chasser Arafat de Cisjordanie, si ça continue. Les plus pessimistes parlent d’un nouveau projet d’exode auquel prépare tout ce qui se produit aujourd’hui. La «menace démographique» palestinienne expliquerait ce radicalisme dans la terreur. Sur le plan libanais, la présence d’Ariel Sharon serait plus dangereuse que celle d’Ehud Barak, expliquent les analystes, qui notent que Sharon connaît beaucoup mieux le Liban que son prédécesseur, pour y avoir serré beaucoup de mains dans les années 80. Cette connaissance lui permettrait de jouer plus habilement des contradictions libanaises que son prédécesseur SOCIAL : là aussi, on en est au même point, mais l’on s’apprête à reculer. Qui ne s’est pas étonné de cette grande voix qui s’est tue appelée CGTL ? C’est qu’une grande OPA sur la centrale a été lancée, dans l’indifférence générale. Acheteur : le mouvement Amal. Achetée : l’indépendance du mouvement syndical. Date : 15 mars, où des membres du conseil exécutif de la CGTL se réuniront sans mandat légal pour élire un nouveau président de la CGTL. Motif : Élias Abou Rizk a démissionné. Explication : Abou Rizk a présenté sa démission oralement, au lendemain de son échec aux législatives, pour se reprendre quelques jours plus tard, après avoir constaté les conséquences de cette déclaration impulsive. Trop tard. Pris au mot, sa démission orale a servi de prétexte pour enclencher un processus d’expulsion. Ne disposant plus de la majorité au sein du conseil exécutif, ce dernier a boycotté toutes ses convocations, de sorte que la CGTL est paralysée. Le ministre du Travail laissera-t-il faire? Aucun problème. Depuis dix ans, ce ministère est attribué à des personnalités d’une couleur particulière : Abdallah el-Amine, Assaad Hardane, Ali Kanso... Ce qui se produit est typique des régimes dits à parti unique, ou le syndical est au service de la politique. Exactement à l’inverse des régimes démocratiques, où l’émergence d’une société civile, d’un mouvement syndical, est considérée comme un signe de santé et constitue un contre-pouvoir au régime politique. ÉCONOMIE : jonglant avec les milliards, l’acrobate des taux d’intérêt déplace beaucoup de vent. À défaut de mouvement, il y a là l’illusion du mouvement. Le spectacle est agréable, à condition qu’il ne s’agisse pas d’un nouveau numéro d’illusionniste. Des coupes budgétaires se produisent, mais l’on attend toujours les compressions, et le taux de croissance. C’est aux chiffres que l’on pourra en juger. Mais nous sommes au milieu du gué, et ce n’est là ni le moment de changer de monture ni même celui de nous plaindre.
Le Liban donne en ce moment, et depuis un certain temps d’ailleurs, l’impression d’un pays qui avance à cloche-pied. C’est qu’entre le contentieux Taëf et le contentieux Sud, le politique bloque toute réflexion, et d’abord la réflexion sur l’identité nationale, si nécessaire au sortir d’une guerre où nous avons perdu jusqu’à la notion de ce que nous sommes. ...