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Actualités - OPINIONS

Bloc-notes - L’arabe et la soutane

J’avais seize ans. Je ne laisserai personne dire (etc., jeunes générations cultivez-vous (1)). Je n’étais pas en terminale, mais en philo. Et voilà que ma mère recommençait : elle avait écumé les ecclésiastiques orientaux de Paris, où nous passions l’année, pour m’annoncer que j’aurais un professeur d’arabe, un prêtre recommandé par monseigneur Nasrallah. «Il vient jeudi à trois heures, je lui ai expliqué le code, tu lui ouvriras». Partagée entre la curiosité et le regret de la séance de cinéma prévue et ratée, quand on tira trois fois sur la sonnette, j’ouvris la lourde porte sur un jeune homme en col roulé, veste de tweed et pantalon gris. Tout se mélangea dans ma tête : le cambrioleur, les prêtres ouvriers, Simone Weil et ma mère. Il me dit : je suis le père K.. Le nom était arabe, l’individu sans soutane, l’accent français. Ma mère, se croyant toujours tenue d’accueillir avec ébats nos rares visiteurs, lui expliqua d’une seule phrase qu’elle n’était pas libanaise, et pourtant plus libanaise que son mari, qu’il devait savoir le grec puisqu’il était melkite, et qu’ils s’entendraient donc, elle-même ayant le grec comme seconde langue, et ainsi de suite à n’en plus finir. Exit ma mère. Le père et moi, nous nous installons derrière une table sur laquelle étaient posés, à mon grand étonnement, des loukoums. J’avais beaucoup de questions à lui poser, moins sur le maf’toul bihi que sur le port de son habit civil et sportif, et sur Simone de Beauvoir (puisque ma mère, répétant les mots de Nasrallah, m’avait dit que mon professeur «préparait un doctorat de philosophie», détachant les syllabes de philosophie une à une pour intimider le démon qu’elle voyait en moi). Pour ce qui est de ma mère, il faut reconnaître à cette femme une certaine continuité de choix. Quand j’avais sept ans, c’est à Mgr Jean Maroun qu’elle s’était adressée pour enseigner la grammaire arabe à la petite fille en exil, même chose à neuf ans, et, même à Lausanne, dans le très catholique canton de Vaud, faute de curés libanais, elle avait trouvé un étudiant beyrouthin dont je ne garde aucun souvenir pour me conforter dans la langue de mes aïeux paternels. Ne croyez pas pour autant que je n’avais pas bien commenmcé. Avec Ah ya zein, Y’am el abaya, puis Koullouna avant chaque cours d’arabe, chez les religieuses, puis des poésies que me faisait réciter mon père (Atat al yatimatou, etc.). Même à Moscou, je chantais Nahnou al Chabab, lana al ghadou (Dieu me pardonne !) pendant un festival de la jeunesse en 1957. Puis l’arabe littéraire et moi, nous nous sommes dépris. La langue vernaculaire a fini par l’emporter, avec ses saveurs et sa réserve de jurons incomparables. Quoi de mieux pour se soulager d’une angoisse que «Ya Allah chou btekhlak hayallah», ce que me disait un professeur d’arabe PPS quand il trouvait un texte mal écrit... (1) Paul Nizan, «Aden Arabie» : «J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie».
J’avais seize ans. Je ne laisserai personne dire (etc., jeunes générations cultivez-vous (1)). Je n’étais pas en terminale, mais en philo. Et voilà que ma mère recommençait : elle avait écumé les ecclésiastiques orientaux de Paris, où nous passions l’année, pour m’annoncer que j’aurais un professeur d’arabe, un prêtre recommandé par monseigneur Nasrallah. «Il...