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Actualités - OPINIONS

Monsieur le Ministre

Je l’observe depuis déjà vingt ans, changeant de visage et cependant toujours le même. Je l’observe surtout depuis octobre. Depuis ce jour où pour la première fois, il a goûté le plaisir de s’entendre appeler Excellence. Les yeux cernés, l’air terrassé, les épaules voûtées. M. le nouveau ministre est déjà harassé. Le regard se fait lourd, l’accablement perceptible. Le pouvoir use très vite. Transformé en justicier, il s’en prend aux aînés, et fait assaut de moralité. Il a pris un poids considérable et son pouvoir s’en trouve manifestement dilaté. Dilaté au-delà du raisonnable. Devenu spécialiste de la science politique, il explique sur un ton paisible nos errements passés ; sonde les générations montantes et dissèque les passées. Pour nous rassurer : «Leurs âneries, personne ne les commettra de nouveau». Que d’autorité. Pacificateur, quand rien ne va plus, M. le ministre se veut confiant. «Le Liban est un lac calme qui frise parfois un mauvais vent». Un peut fort. Franchement, M. le ministre, on vous préfère dans la vie civile, dans ces bains de foule en bras de chemise quêtant les voix électorales, acclamant Mayez el-Bayah, déjeunant au Blue Note ou au Bistrot... Mais voilà, vous préférez écouter à en mourir (d’ennui) Mozart, passer vos dimanches à Mzar et pontifier dans l’harassante pose du «penseur» de Rodin. Ou encore, vous voilà, sorte d’Atlas, portant le monde à la télé. Ah ! la télé ! c’est devenu votre obsession. Depuis la première émission à laquelle vous avez participé. Sur la fonction maturante du ministre. Grisant ! là c’est vous qui parlez et le Liban entier qui vous écoute. Tout y passe : le Proche-Orient ; l’après Clinton ; l’économie mondiale ; la résistance des minijupes devant l’offensive des plissées longues... quel prestige auprès des amis... qu’on a perdus de vue ! Qu’il sera difficile le retour à la vie civile. Quand vous allez redécouvrir la méchanceté des hommes et l’ingratitude des chefs. Alors, faites plus simple, faites-nous rêver, occupez-vous de l’essentiel. Lésinez un peu sur la dose de commentaires accompagnant toute mesure microscopique (même si chaque ministre veut laisser sa marque, donc sa trace historique). Nous souhaitons juste vous voir régler quelques problèmes. Ceux de la pollution, de l’environnement, du courant électrique et des fausses factures datées d’une décennie ; de la justice, girouette ou caméléon (qui prend la couleur du temps) ; des impôts ; des conflits dans votre ministère ; de la lenteur administrative ; du chômage. Moderniser, réformer le pays. Et excusez ma familiarité, cessez de roupiller.
Je l’observe depuis déjà vingt ans, changeant de visage et cependant toujours le même. Je l’observe surtout depuis octobre. Depuis ce jour où pour la première fois, il a goûté le plaisir de s’entendre appeler Excellence. Les yeux cernés, l’air terrassé, les épaules voûtées. M. le nouveau ministre est déjà harassé. Le regard se fait lourd, l’accablement...