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Actualités - INTERVIEWS

ENTRETIEN - Le quadruple assassinat de Saïda et l'attentat de 1985 Moustafa Saad : Les conclusions du juge Osman étaient proches des miennes

«Le juge Hassan Osman avait reçu des menaces lorsqu’il enquêtait sur la tentative d’assassinat dirigée contre moi. Et si on a aussi tué les trois autres magistrats, c’est peut-être pour camoufler les véritables mobiles de l’opération». Le député Moustafa Saad n’en démord pas, l’assassinat des quatre magistrats le 8 juin dernier à Saïda est lié à l’explosion de la voiture piégée le 21 janvier 1985 qui avait coûté la vie à sa fille Natacha et lui a ôté la vue. Il a déjà préparé les documents qu’il compte remettre au juge d’instruction Raymond Oueïdate qui a recueilli hier en soirée sa déposition écrite. Répondant directement au procureur Adnane Addoum qui avait qualifié ses accusations de «simples déductions politiques», Saad affirme : «Dans un sujet aussi délicat, je ne fais pas d’analyses. Je possède des données et j’établis des liens entre les faits. Je suis prêt à changer d’avis si on parvient à me convaincre. Mais jusqu’à présent, j’ai l’impression que l’enquête officielle n’a abouti à rien de concret». Il y a des hommes au destin tragique. Moustafa Saad en fait partie. Propulsé sur le devant de la scène en 1975, après l’assassinat de son père Maarouf, il échappe par miracle à la mort en 1985, lors de l’explosion d’une voiture piégée placée à l’entrée de son domicile. Sa fille Natacha a moins de chance, alors que lui est gravement atteint, ainsi que son épouse, Louba, d’origine russe. Après des soins longs et difficiles, dans plusieurs pays, suivi d’un bref retour à la vie normale, un cancer des poumons se déclare et Saad reprend le chemin des hôpitaux et des traitements pénibles. Affaibli, l’homme ne renonce pourtant pas à se battre. Et sa lutte contre la maladie ne l’empêche pas d’être combatif sur la scène politique, sans craindre de s’attaquer à des sujets – ou des personnes – plus ou moins tabous. Depuis dimanche, Moustafa Saad n’en finit plus de faire couler de l’encre, troublant une justice qui avait orienté son enquête sur l’assassinat des juges vers le camp palestinien de Aïn el-Héloué, où Abou Mahjane a établi sa petite république islamique, alors que le reste du camp est pratiquement contrôlé par les partisans de Yasser Arafat. Les autorités ont d’ailleurs bouclé les issues de ce camp, interdisant même la circulation des motocyclettes à Saïda et dans 12 villages voisins pendant deux mois… «Les SR sont puissants à Aïn el-Héloué» Moustafa Saad proteste contre ces mesures «injustifiées et injustes», dit-il. «Si vraiment, les auteurs de la tuerie de Saïda se trouvent à Aïn el-Héloué, les services de renseignements de l’État sont puissants à l’intérieur du camp. Ils devraient trouver le moyen de les arrêter, puisqu’ils ont réussi à enlever Ahmed Hallak, qui s’était réfugié dans la zone occupée pour le faire juger devant le tribunal militaire pour collaboration avec l’ennemi. (Hallak a été condamné à mort et exécuté)». De plus, Saad se demande pourquoi les autorités ne définissent pas l’appartenance politique des coupables présumés. «Il y a mille et une factions à Aïn el-Héloué. Il ne suffit pas de laisser entendre que les coupables sont Palestiniens. Il faut dire de qui ils relèvent. Ils peuvent être des agents du Mossad, de la CIA, de services de renseignements libanais ou séoudiens, je ne sais pas moi !» Dans ce cas, pourquoi a-t-il accusé les services libanais ? «Je ne les ai pas accusés. Dans ma conférence de presse, j’ai dit que les criminels doivent appartenir à de grands services. Je n’ai évoqué les services de sécurité que dans les mesures prises contre les motards et qui sont, à mon avis, totalement ridicules». Selon certains, «la bombe» qu’il a lancée serait une manœuvre des Palestiniens pour détourner l’enquête officielle. «J’ai entendu cette version. Mais franchement, je suis convaincu de ce que j’ai avancé et je ne l’ai pas fait à la demande de quelqu’un». Pour Moustafa Saad, les choses sont claires. «C’est une grosse affaire et le même plan se poursuit depuis des années. Pour moi, les faits sont liés et il s’agit toujours d’implanter les Palestiniens au Liban. En 1985, on avait voulu me tuer parce que j’étais contre cette implantation et contre l’exode des chrétiens de l’est de Saïda. Aujourd’hui, on veut de nouveau trouver une solution partielle à la présence palestinienne au Liban et pousser notre pays à se désolidariser de la Syrie. Voilà le fin mot de l’histoire.» Les mêmes objectifs C’est aussi la thèse officielle. Comment, dans ce cas, les services de l’État pourraient-ils être derrière la tuerie de Saïda ? «Je n’ai jamais accusé les services de l’État d’être derrière cette tuerie. Je sais seulement que la tentative de 1985 et celle d’aujourd’hui ont les mêmes objectifs : semer le trouble pour faciliter les concessions. En 1985, j’étais à la tête de l’Organisation populaire nassérienne. En tant que force de facto, nous avions mené notre propre enquête. Nous avions obtenu des aveux signés et filmés de certains officiers impliqués dans l’opération. Ce que nous avions su à l’époque, c’était qu’il y avait une coordination totale entre les services de renseignements de l’armée libanaise, dirigés par le brigadier Simon Kassis, des Forces libanaises, et le Mossad. À l’époque, le directeur des SR dépendait directement du président de la République, alors que ce n’est plus le cas depuis Taëf. Selon notre enquête, les SR libanais avaient pour mission de surveiller mes déplacements, alors que les FL et le Mossad devaient assurer les explosifs. Nous avions même appris que c’est Michel Zouein, officier des FL, mort aujourd’hui qui avait placé les explosifs dans la voiture qui avait été volée à Saïda. Et ces données ont été confirmées par le livre de Cobra, D’Israël à Damas. Lorsqu’en 1990, le magistrat Hassan Osman avait été chargé de l’enquête, je lui avais remis tous les documents et j’avais décidé de me porter partie civile contre les officiers incriminés, dont Simon Kassis et deux autres encore en fonction». M. Saad raconte ainsi qu’au début de juin, il avait rencontré le magistrat Osman qui lui avait déclaré qu’il était sur le point d’achever son enquête et qu’il avait abouti à des conclusions proches des siennes. «Il comptait ainsi inculper des officiers à la retraite et en exercice ainsi que des civils. Mais on l’a tué avant, parce que justement on voulait l’empêcher de publier ses conclusions. J’avais d’ailleurs appris qu’il avait reçu des menaces, lorsqu’il avait convoqué Kassis pour l’entendre en tant que témoin». Kassis et la nationalité brésilienne Mais quelle influence a aujourd’hui Kassis au sein des SR ? «Il est certain que tout l’appareil a complètement changé, mais Kassis a peut-être encore des hommes au sein de l’institution qui travaillent ainsi pour de grands services. Demandez-lui pourquoi il a acquis la nationalité brésilienne». Saad se demande aussi pourquoi quelques jours avant la tuerie de Saïda, les forces de sécurité ont appliqué une décision prise par l’adjoint du mohafez interdisant les vans vendant des boissons le long de la corniche, empruntée par les assassins dans leur fuite ? «Nous nous étions entendus avec le mohafez pour que l’application de cette décision soit reportée de deux mois, le temps de caser ces vendeurs. Mais la précipitation est curieuse. C’est comme si on ne voulait pas de témoins…». Est-il au courant des détails de l’enquête judiciaire ? «À mon avis, elle n’a encore abouti à rien de sérieux. De toute façon, je souhaite coopérer avec la justice jusqu’au bout. Tout comme j’appuie le président Lahoud (qu’il va rencontrer prochainement) et le président du Conseil. Je suis ouvert et prêt à changer mon opinion si on me convainc que les liens que j’ai établis sont faux. Mais jusqu’à présent, il n’en est rien. Contrairement à ce que déclare le procureur Addoum, je ne fais pas d’analyse politique, mais je possède des données et je lie les faits entre eux, c’est tout». Un nouveau magistrat sera-t-il nommé à la place de Osman pour poursuivre l’enquête sur son affaire ? «Je le crois, oui. Mais cela ne fait pas quarante jours que les magistrats ont été assassinés». Son frère Oussama et sa sœur Mona lui rappellent que ce sera bientôt l’heure du traitement quotidien. Moustafa Saad se lève. Il a encore une autre bataille à mener.
«Le juge Hassan Osman avait reçu des menaces lorsqu’il enquêtait sur la tentative d’assassinat dirigée contre moi. Et si on a aussi tué les trois autres magistrats, c’est peut-être pour camoufler les véritables mobiles de l’opération». Le député Moustafa Saad n’en démord pas, l’assassinat des quatre magistrats le 8 juin dernier à Saïda est lié à l’explosion de la...