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Actualités - REPORTAGES

Justice - Les Forces libanaises auraient été infiltrées Pakradouni se défend et défend Geagea (photos)

Il en avait gros sur le cœur Karim Pakradouni depuis son audition en tant que témoin à charge par la Cour de justice, dans le cadre de ce procès, en décembre dernier. Mais, hier, il a pris sa revanche en plaidant pendant plus de six heures en faveur de son client, Samir Geagea, mais aussi pour sa propre réhabilitation, après les menaces de poursuites brandies contre lui par le procureur Adnane Addoum. Et c’est à du Karim grand cru que les magistrats ainsi que les nombreux présents, pour la plupart des partisans des Forces Libanaises dissoutes, ont eu droit hier. Si ses propos étaient plus politiques que juridiques, ils ont surtout rappelé à l’assistance son extraordinaire éloquence, comme au temps de la guerre, lorsqu’il était tour à tour conseiller, responsable de l’information, puis numéro 2 des FL, notamment en juin 1987, au moment de l’assassinat de Rachid Karamé. On savait que ce serait une audience pas comme les autres et malgré l’absence de la partie civile, qui depuis le début des plaidoiries des avocats de la défense ne fait plus le déplacement, l’assistance est venue nombreuse. Les partisans des Forces libanaises et les proches des inculpés occupent ainsi les bancs des deux côtés de l’allée principale, attendant que Me Karim Pakradouni prenne la parole. «J’en aurais pour six heures», annonce l’avocat à la Cour de justice. En fait, il dépassera un peu l’estimation prévue, renvoyant à aujourd’hui la plaidoirie de Me Issam Karam, le dernier des avocats de Geagea à prendre la parole. «Votre calvaire est donc ajourné», lancera Me Karam aux journalistes avec son humour particulier. Mais en guise de calvaire, c’est le procureur général Adnane Addoum qui souffre le plus. Handicapé par un lumbago, il ne parvient pas à trouver une position confortable, mais comme il veut écouter Me Pakradouni, il refuse de se retirer. Il tiendra jusqu’à la pause, vers 19h30, laissant ensuite Mme Rabiha Ammache représenter le parquet. L’ancien numéro 2 des FL entame sa plaidoirie sur un ton presque douloureux, remerciant certes la cour de l’avoir autorisé à être à la fois témoin et avocat de la défense (ce qui est une première au Liban et qui avait été vivement contesté par Addoum), mais évoquant les diverses attaques lancées contre lui par le procureur et les avocats de la partie civile. En s’apprêtant à développer ses arguments, il émet le souhait que ce dossier soit le dernier à être ouvert et «qu’enfin il y ait une véritable réconciliation, concrétisée par une loi d’amnistie globale». Criminel ou victime ? «Samir Geagea est-il un criminel ou la victime d’une injustice ?» Pakradouni pose la question et il lui faut près de 200 pages pour y répondre. Le ton est donné et il se veut sans rancœur ou amertume, même à l’encontre des inculpés et des témoins qui ont accablé le chef des FL dissoutes. Pour Pakradouni, ils ont leurs raisons pour avoir tenu de tels propos et, selon lui, nul ne peut savoir ce qu’une personne peut faire sous l’emprise de la peur, ou par esprit de vengeance. L’avocat se lance ensuite dans un long rappel des circonstances de la guerre. Il connaît d’ailleurs tellement bien son sujet qu’il ne prend même pas la peine de lire les papiers entassés devant lui. Il se plonge et plonge la salle dans un passé encore sujet à polémique, en précisant toutefois que l’essentiel est de ne pas s’y noyer. «La cour, dit-il, est compétente pour juger les crimes contre la sûreté de l’État. Mais pendant la guerre, il n’y avait ni sûreté, ni État». Et il s’empresse de montrer la situation d’insécurité qui a régné dans le pays pendant 15 ans, dressant une liste des assassinats et enlèvements qui les ont jalonnés. Pas de crime sans mobile Reprenant le principe qui veut que sans mobile, il n’y a pas de crime, l’avocat cherche d’abord à démontrer que Geagea n’avait aucune raison et aucun intérêt à tuer Rachid Karamé. Pour Pakradouni, l’acte d’accusation s’est basé sur des communiqués violents des FL contre Karamé, pour déduire que la milice a voulu tuer le Premier ministre. Mais il souligne le fait qu’à l’époque, les insultes et les attaques faisaient partie du langage courant dans la vie politique et il ajoute qu’on ne peut arracher un communiqué de son contexte. Évoquant le cas de l’aéroport de Halate, Pakradouni affirme que son ouverture était revendiquée par tout l’Est politique en raison de l’état d’insécurité dans l’enceinte de l’AIB et le long des routes qui y mènent. Il rappelle ainsi la série d’enlèvements sur la route de l’AIB ainsi que les actes de piratage aériens accomplis par des organisations islamiques et autres. Pakradouni parle encore du projet de solution établi par le président Camille Chamoun et M. Karamé, qui aurait selon l’acte d’accusation constitué un des mobiles du crime. Ce projet, dit-il, n’existait pas, ou alors il n’était qu’au stade embryonnaire et Geagea n’avait nul besoin d’assassiner Karamé pour le saboter. Évoquant les projets partitionnistes de Geagea tels que décrits par l’acte d’accusation, il déclare que cette accusation a toujours été lancée contre les leaders de l’Est, et en premier contre cheikh Pierre Gemayel. Tout cela pour dire que les FL n’avaient aucune raison de tuer Karamé, d’autant qu’il n’y avait aucun conflit personnel entre lui et Geagea. Mais un avocat de la partie civile fait remarquer que le mobile n’est pas un élément du crime. «Il constitue simplement, dit-il, une piste menant vers les coupables. C’est l’intention de tuer qui est un élément du crime, généralement établie par un faisceau d’indices». Pakradouni passe ensuite au second volet de son développement, basé sur le rejet de la théorie du chef absolu des FL. Il se lance alors dans un long exposé sur la notion d’infiltration, citant de nombreux exemples. Il raconte d’ailleurs si bien qu’on croirait vivre un roman d’espionnage et il conclut en lançant d’une voix tonitruante : «La plus grande infiltration est l’existence d’Israël dans la région». Entre deux messages politiques et quelques exemples du passé, Pakradouni cherche à montrer que si les plus grands services du monde ont été infiltrés, il n’y a aucune raison pour que les FL aient été épargnées. L’avocat revient à ce qu’il avait dit lorsqu’il a témoigné devant la cour, en accusant le Mossad ou même les Palestiniens d’avoir commandité le crime. Il conteste au passage les témoignages de José Bakhos et Robert Abi Saab, le premier étant terrorisé et le second étant mû par la haine. «D’ailleurs, se demande-t-il, pourquoi n’a-t-il pas été poursuivi, alors qu’il a reconnu s’être rendu en Israël ?» Mme Rabiha Ammache déclare alors : «Nous avons engagé des poursuites contre Robert Abi Saab», créant ainsi la surprise dans la salle et laissant Me Pakradouni sans voix pour quelques secondes. Pakradouni évoque le témoignage du brigadier inculpé Khalil Matar. Selon lui, ce dernier a été amené à accabler les FL, dans le cadre d’un vaste complot. «Mais, s’insurge un avocat de la partie civile, pourquoi Matar aurait-il accepté de passer près de trois ans en prison dans le seul but d’accabler les FL ?» Pakradouni rappelle simplement que l’ensemble du dossier est bâti sur des histoires, presque des ragots colportés par des témoins à la crédibilité douteuse. Et il conclut en lançant : «En acquittant Samir Geagea, vous innocenterez le Liban, au nom du peuple libanais». Geagea hoche la tête gravement. Demain, il prendra à son tour la parole en public, pour la dernière fois avant longtemps. De ce qu’il dira dépendra peut-être son sort, car comme le dit Pakradouni : «Le meilleur avocat de Geagea est Geagea lui-même».
Il en avait gros sur le cœur Karim Pakradouni depuis son audition en tant que témoin à charge par la Cour de justice, dans le cadre de ce procès, en décembre dernier. Mais, hier, il a pris sa revanche en plaidant pendant plus de six heures en faveur de son client, Samir Geagea, mais aussi pour sa propre réhabilitation, après les menaces de poursuites brandies contre lui par le procureur...