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Actualités - REPORTAGES

La communauté islamique contrôle le marché noir dans la capitale yougoslave Inquiets pour leur avenir, les musulmans de Belgrade ne font pas confiance à l'Otan

Au bout de l’avenue des Français, qui descend de la place de la République, il y a une rue perpendiculaire très animée à n’importe quelle heure de la journée. C’est le marché noir de Belgrade, le paradis du consommateur exigeant. On y trouve des dollars et des marks 50 % moins chers, de l’essence, devenue rare en temps de guerre, des cigarettes qu’on paie une fortune, du hasch, pour ceux qui veulent voyager en restant sur place... et des armes pour ceux, par exemple, qui n’ont pas la patience d’entamer une procédure de divorce. C’est une économie parallèle qui a considérablement prospéré depuis le début des événements et dont les énormes profits vont dans les poches de la communauté albanophone de la capitale yougoslave. Au marché noir de Belgrade on ne s’appelle pas Zoran ou Vlado, mais Taher ou Hashim. Si les albanophones du Kosovo poussés sur les chemins de l’exode vivent des moments très difficiles, on ne peut pas en dire autant de ceux de la capitale qui font des affaires en or. C’est vraisemblablement la raison qui explique sinon l’absence de solidarité, du moins le manque d’entrain vis-à-vis de la cause défendue par leurs coreligionnaires. Sur les deux millions d’habitants de Belgrade et de ses banlieues, les musulmans sont au nombre de 100 000, selon des sources officieuses, et de 200 000, selon le mufti Hamdi Yusufspahic. Ils sont pour la plupart albanophones originaires du Kosovo, mais aussi bosniaques, tziganes et autres. Intégration totale Cheikh Hamdi vit dans un modeste appartement mitoyen à l’unique mosquée de Belgrade, non loin du centre-ville. Sans son minaret elle ressemblerait plus à une église gothique qu’à un lieu de culte musulman. Sur le mur près de la porte d’entrée de la maison il y a encore les traces d’éclats provenant des trois grenades lancées par des inconnus en direction de la mosquée, il y a quelques jours. Le seul attentat antimusulman à Belgrade depuis le début des frappes de l’Otan. Le mufti Hamdi qui est bosniaque s’exprime dans un arabe parfait avec l’accent typique des musulmans non arabes. «Les musulmans de Belgrade n’ont pas leurs quartiers spécifiques, dit-il. Ils sont dispersés dans toute la ville et vivent en parfaite harmonie avec les autres composantes de la société. Ils sont totalement intégrés». Le dignitaire sunnite est farouchement opposé aux frappes de l’Otan et très hostile aux revendications sécessionnistes des albanophones du Kosovo. «Les musulmans sont les principaux perdants du démembrement de la Yougoslavie, affirme-t-il. C’était le pays européen qui comptait la plus forte proportion de musulmans jouissant des mêmes droits que les autres citoyens de la fédération. Les musulmans ont payé très cher le morcellement de l’ex-Yougoslavie : d’abord en Bosnie, qui n’aurait jamais dû opter pour la séparation, aujourd’hui au Kosovo, et demain peut-être dans le Sandjak (région de la Serbie à la frontière avec le Monténégro, peuplée à majorité de musulmans)». Une seule mosquée à Belgrade pour autant de fidèles ! Cheikh Hamdi sourit : «Le gouvernement ne nous autoriserait pas à en construire d’autres. De toute façon, nous n’avons pas demandé un permis. Le faire serait une provocation après ce qui s’est passé ces dernières années. Quand tout cela sera fini, je suis sûr que nous pourrons construire autant de mosquées que nous le voulons». Aussi bien cheikh Hamdi que les autres musulmans que nous avons rencontrés assurent qu’ils ne sont victimes d’aucune vexation en raison de leur appartenance religieuse. «Nous ne sommes ni harcelés ni aidés, explique le dignitaire. Nous sommes tout simplement traités comme les autres citoyens». Le mufti, qui a fait ses études de théologie à el-Azhar en Égypte, est très inquiet pour l’avenir. Selon lui, les événements actuels qui s’inscrivent dans le prolongement de ce qui s’est passé ces dernières années risquent d’avoir des conséquences très graves sur la présence musulmane en Europe qui remonte à plusieurs siècles. «Personne ne pourra nous convaincre que les États-Unis, la Grande-Bretagne et les autres puissances occidentales sont tellement soucieux du bien-être des musulmans, dit-il. Elles recherchent leurs propres intérêts qui n’ont rien à voir avec les nôtres». Chez les musulmans de Belgrade qui vivent dans cette région depuis des siècles et qui connaissent bien la mentalité de ses habitants, il existe une profonde conviction : les Serbes ne céderont jamais de leur plein gré une terre qu’ils estiment leur appartenir. «Ils n’ont pas cédé lors de la Première Guerre mondiale. Ils n’ont pas cédé devant Hitler et devant Staline, je ne vois pas pourquoi ils le feraient aujourd’hui», déclare Moustapha. Pour ce jeune boucher installé près de la mosquée de Belgrade, les «grandes puissances n’ont fait qu’exploiter le rêve indépendantiste des Kosovars pour servir leurs obscurs desseins». Un rêve qui s’est d’ores et déjà transformé en cauchemar pour plusieurs centaines de milliers de civils.
Au bout de l’avenue des Français, qui descend de la place de la République, il y a une rue perpendiculaire très animée à n’importe quelle heure de la journée. C’est le marché noir de Belgrade, le paradis du consommateur exigeant. On y trouve des dollars et des marks 50 % moins chers, de l’essence, devenue rare en temps de guerre, des cigarettes qu’on paie une fortune, du hasch,...